Article rédigé par Bruno de Seguin Pazzis, le 24 novembre 2016
[Source : Liberté politique]
Desmond Doss, fils d'un ancien soldat de la Première Guerre mondiale, s’engage lorsqu'éclate la Guerre du Pacifique. En tant qu'objecteur de conscience, il souhaite s'engager mais refuse de tuer ou de porter une arme au combat en raison de ses croyances religieuses. Après de difficiles négociations avec l'armée, il est finalement affecté au poste d'auxiliaire sanitaire et se retrouve sur le terrain au pied de la falaise d’Hacksaw à Okinawa. Avec : Andrew Garfield (Desmond T. Doss), Vince Vaughn (le sergent Howell), Sam Worthington (le capitaine J. Glover), Teresa Palmer (Dorothy Schutte), Hugo Weaving (Tom Doss), Luke Bracey (Smitty), Rachel Griffiths (Bertha Doss), Nathaniel Buzolic (Harold Doss), Matt Nable (le lieutenant-colonel Cooney), Milo Gibson (Lucky Ford), Richard Roxburgh (le colonel Stelzer), Ryan Corr (le lieutenant Manville), Goran D. Kleut (Andy « Ghoul » Walker), Firass Dirani (Vito Rinnelli), Luke Pegler (Milt « Hollywood » Zane), Ben O'Toole (le caporal Jessop), Robert Morgan (le colonel Sangston), Richard Pyros (Randall « Teach » Fuller), Ben Mingay (Grease Nolan), Harry Greenwood (Henry Brown), Damien Thomlinson (Ralph Morgan), Rhys Bellamy (Desmond Doss, jeune), Desmond Doss (lui-même dans les images d'archives). Scénario: Andrew Knight, Robert Schenkkan et Randall Wallace. Directeur de la photographie : Simon Duggan. Musique : Rupert Gregson-Williams.
Récompense : Meilleur réalisateur aux Hollywood Film Awards (2016)
La Passion de Desmond Doss selon Mel Gibson…Desmond T. Doss a réellement vécu. Fils d’un charpentier (cela ne s’invente pas !) de Lynchburg en Virginie, Desmond est un fidèle de l’église des adventistes du septième jour. Il en résulte qu’il est acquis à l’objection de conscience et à l’interdiction de tuer. Il devra confronter ses convictions religieuses aux dures réalités de la guerre du Pacifique. Affecté comme infirmier, il se comportera en héros lors de l’assaut de Hacksaw à Okinawa contre les japonais, sauvant pas moins de 75 de ses camarades dans des conditions désespérément dangereuses. Onze décorations lui ont été attribuées dont la « Medal of Honor », la plus haute distinction militaire des Etats-Unis, décernée pour des faits de guerre exceptionnels et qui, en dehors de Desmond Doss, premier à la recevoir, n’a été remise à ce jour qu’à deux autres objecteurs de conscience. Cinéaste de la bravoure et de l’héroïsme (Braveheart en 1995, Apocalypto en 2006), mais aussi de la foi chrétienne (La Passion du Christ en 2004), Mel Gibson pouvait-il ne pas s’emparer d’un tel sujet lui permettant de traiter ensemble deux sujets qui lui sont chers ? Après neuf années de silence, il revient avec une œuvre très forte avec laquelle il confirme si cela était nécessaire sa maîtrise de la mise en scène et de l’esthétique, sa capacité à donner de la profondeur à ses personnages et celle de donner une dimension spirituelle à son propos. Tu ne tueras point est très solidement construit en deux parties bien distinctes qui correspondent chacune à la moitié du film. Dans une première partie le cinéaste décrit ce qui dans l’enfance et la jeunesse de Desmond l’a amené à ce choix de l’objection de conscience, nuançant le fait que celui-ci n’est pas uniquement dû à ses convictions religieuses mais à un contexte familial où il est éprouvé par la violence dès le plus jeune âge. Mel Gibson montre ensuite comment le jeune homme qui s’est enrôlé courageusement va courageusement porter ses convictions jusqu’au bout durant sa période de formation militaire à Fort Jackson en Caroline du Sud.
Tout ceci, plus qu’au prix de simples railleries, mais à celui de brimades très violentes qui marquent le début de son chemin de croix, positionnent la figure christique du personnage, et achèvent en même temps d’attacher le public à cet homme hors du commun, même si c’est au prix de quelques lourdeurs. Sans aucune transition, la seconde partie plonge brutalement le spectateur dans l’horreur de la guerre dont il ne sortira quasiment qu’une heure après complètement « groggy », ou presque, tellement s’y succèdent des scènes de guerres plus hallucinantes et réalistes les unes que les autres. La presse cinématographique bobo ou germanopratine qui n’apprécie que très peu Mel Gibson, concentre ses attaques sur ce point : « (…) Sous prétexte de tirer le portrait d’un objecteur de conscience héroïque pendant la Deuxième Guerre mondiale, le réalisateur signe un film abject et complaisant (…) » écrit Jean-Claude Raspiengeas dans La Croix, « (…) Tel l’amateur de beurre, Mel Gibson, réalisateur prosélyte et assoiffé de sang, voudrait, tout en triomphant au box-office, élever l’âme et satisfaire les plus bas instincts du spectateur. Ce tour de force déjà accompli avec « La Passion du Christ », il espère le rééditer avec « Tu ne tueras point », qui, contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre, laisse sur le carreau un nombre colossal de personnages et de figurants (…) » surenchérit Thomas Sotinel dans Le Monde, « (…) Comme dans ses réalisations précédentes, le cinéaste laisse libre cours à sa fascination du sang, son goût de la violence et son obsession du sacrifice. C’est pénible, déplaisant et, franchement, le message évangélique de Mel Gibson, on s’en talque le nombril avec le pinceau de l’indifférence (…) » ajoute François Forestier dans Le Nouvel Observateur, « (…) Tu ne tueras point relève presque du cas psychiatrique et fait basculer le cinéma de Gibson dans l'ère du "catho-porn", cet Hollywood parallèle destiné à remplir les multiplexes de l'Amérique bigote (…) » conclut Les Inrockuptibles, après avoir titré « Mel Gibson se vautre dans un délire gore ». Ces deux derniers ont au moins saisi la présence d’une dimension spirituelle même si celle-ci les rebute ! Si en effet cette seconde heure de film comporte les scènes de guerre vraisemblablement les plus hallucinantes de l’histoire du cinéma (Croix de fer (1977) de Sam Peckimpah et Il faut sauver le soldat Ryan (1998) de Steven Spielberg, pour ne citer que ces deux-là, sont largement dépassés), cette violence exacerbée, et qui exacerbe les plumitifs, n‘est pas complaisante malgré les apparences.
Tout comme dans un souci de vérité, il s’était attaché à montrer la violence supportée par Jésus dans La Passion du Christ, Mel Gibson, s’applique à montrer celle de la guerre parce que « c’est une nécessité pour faire comprendre l’enfer de la bataille » confie-t-il. Et encore « ma description reste en dessous de la réalité » ajoute-t-il. Tout comme les faits héroïques de Desmond Doss qui sont illustrés sont eux aussi en dessous de ce qu’il a réalisé. Pour s’en persuader, il suffira au spectateur de lire le texte de la citation pour la « Medal of Honor ». Oui, cette seconde partie est une véritable fresque sur l’horreur de la guerre dont la violence est sublimée par un traitement esthétique très remarquable avec une photographie impeccable, de sorte qu’en dépit de quelques longueurs, on peut parler d’un chaos d’une beauté effroyable. Mais bien plus encore, cette violence est sublimée par le courage des combattants qui est exalté en même temps que celui de Desmond Doss. « Seigneur, aide-moi à en rapporter encore un » fait-il penser en voix off à son héros à chaque fois que celui-ci est parvenu au prix d’efforts surhumains à faire descendre un blessé de la falaise d’Hacksaw (d’où le titre origine du film Hacksaw Ridge). Cette falaise n’est autre que le Golgotha de Desmond Doss qui fait écho à la falaise de Lynchburg qu’il grimpait si facilement dans son enfance et plus tard avec sa fiancée. Le cinéaste Mel Gibson a pris de l’ampleur, il utilise l’ellipse, le ralenti et même la poésie dans certains passages sur l’enfance de Desmond Doss, ou encore dans la manière de filmer la tyrolienne qui descend de la falaise un Desmond Doss blessé et qui stagne et donne l’impression de vouloir remonter comme pour le transporter vers les cieux parmi les anges…
Il y a dans Tu ne tueras point à la fois quelque chose du Clint Eastwood d’American Sniper (2014) avec l’exaltation du patriotisme d’un homme ordinaire et du Terrence Malick de La ligne rouge (1998) avec la dimension évangélique et l’utilisation de la voix off qui livre la pensée du personnage. Sur un registre certes plus populaire, dépourvu de tout intellectualisme, délivrant un message non simpliste mais limpide. Andrew Garfield (The Social Network de David Fincher en 2010), l’interprète de Desmond l’accrédite très bien : « (…) rien d’intellectuel, rien de dogmatique dans son choix (celui de Desmond) : ça vient de son ADN spirituel (… ». Cette démarche chrétienne d’un homme de foi qui a mis en pratique son credo et l’amour de son prochain envahit tout le film de Mel Gibson (« (…) Son parcours ressemble au chemin de croix du Christ. Finalement, il va à la guerre armé de sa seule foi. Mais une foi à déplacer les montagnes (…) ») et en fait un film basé sur la foi, un « faith based movie » qui s’intègre dans ce mouvement informel du même nom dont le film La Passion du Christ est en fait à l’origine et qui se développe à relativement vive allure Outre-Atlantique avec des réussites variables, mais un mouvement qui creuse un sillon qui arrive jusque dans la vielle Europe, et qui pourrait irriguer le cinéma du vieux continent en inspirant à des cinéastes de répondre à une attente des spectateurs las de la médiocrité de la plus grande partie de ce qui sort sur les écrans. On aimerait avoir plus souvent des biographies filmées de personnages aussi positifs, exemplaires, qui ont poussé le talent qu’ils ont reçu jusqu’au bout en faisant le don total de leur personne. Mel Gibson, cinéaste et homme de foi sans concession, comme son héros, inscrit Tu ne Tueras point en lettres de sang dans le registre des films épiques et chrétiens.