Morale et politique : la leçon de la Sainte-Baume
Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 04 septembre 2015 Morale et politique : la leçon de la Sainte-Baume

La présence de Marion Maréchal-Le Pen, samedi 29 août 2015, à un débat organisé par le diocèse de Fréjus-Toulon a soulevé un tollé. En invitant l’élue FN du Vaucluse à la Sainte-Baume, le sanctuaire de Marie-Madeleine, Mgr Rey donne une leçon politique : la grandeur de la politique est morale, mais elle ne peut défendre la morale en cessant d’être politique.

C’EST LE GRAND MAL français : dans le pays de l’idéalisme cartésien, on confond morale et politique, et surtout moralisme et politique. L’incantation des grands principes tient lieu d’efficacité politique. Plus vos principes sont purs et intraitables, plus vous êtes légitime. Il ne s'agit pas de résoudre des problèmes, de faire progresser le bien dans le champ miné du possible, mais de dire le bien et condamner le mal.

Cette confusion a de fâcheuses conséquences. En cantonnant les principes aux discours et à l’anathème, on réduit la décision politique à une affaire de techniciens et de gestionnaires. Et quand les principes fonctionnent comme des impératifs catégoriques a priori, propres mais inatteignables, on gouverne dans l’émotion et le mensonge. Le résultat est constant : on obtient le contraire des résultats escomptés.

Les bonnes consciences

Voyez le drame des migrants. La photo atroce d’un petit bonhomme noyé sur les côtes turques bouleverse l’Europe entière et les indignés s’affolent. Mais ce sont les bonnes consciences qui ont laissé pourrir la situation, provoquant ces exodes en masse, avec leur lot de malheurs et d’accidents tragiques. Pour les indignés, la mesure du problème est l’horreur de l’événement, pas la réalité du bien commun. En opposant le juste droit des personnes à l’injuste réalité politique de la vie des peuples, on s’enferme dans des problématiques insolubles. Pour être morale et généreuse, la politique doit prendre des décisions par définition imparfaites, parfois douloureuses, parce que collectives.

Toutes choses égales, le tonnerre de critiques indignées contre l’invitation de Marion Maréchal-Le Pen à l’université catholique de la Sainte-Baume illustre cette confusion entre morale, moralisme et politique. Non seulement le moralisme n’est pas la morale, mais la politique qui refuse la réalité au nom de la morale n’est ni morale, ni politique. Le Front national existe-t-il, oui ou non ?

En brisant le tabou du dialogue interdit, Mgr Rey a donné une leçon politique aux professeurs de morale qui refusent le réel qui ne leur plaît pas.

Une société archaïque

Qui veut faire l’ange fait la bête. En France, ce n’est pas un hasard si les adorateurs de la laïcité sont des idolâtres du pouvoir politique sans limites, si les prêcheurs de l’égalité à l’école creusent les inégalités scolaires, si les défenseurs de « l’accueil de l’étranger » fabriquent à la chaîne des miséreux sans toit, sans travail et sans racines. Mais comme le réel résiste, on donne dans la surenchère hystérique avec l’incantation des « valeurs »… et le bannissement de l’opinion non-conforme, car il faut bien se justifier.

Surtout, il faut trouver un responsable pour expliquer ses échecs.

La société postmoderne est une société archaïque qui a besoin de son bouc-émissaire. Et dans une société archaïque, on ne dialogue pas avec le bouc-émissaire. Le danger, c’est l’« autre ». Celui qui ne marche pas dans la combine. Celui qui casse l’ambiance du consensus dominant autour des bien-pensants.

Les médiations nécessaires

Ce moralisme politique n’a rien à voir avec la politique.  La politique cesse d’être politique quand elle ne vise plus le bien de la communauté dans son ensemble. Si le bien moral se choisit librement par chaque personne, il ne peut pas être choisi collectivement de façon unanime. D'où la nécessité, dans une société libre, d'utiliser des médiations pour conduire la collectivité vers le bien.

C’est le rôle apaisant et constructif de la culture, de la loi, mais aussi du débat des idées, des contacts entre les partis politiques, des échanges culturels et sociaux au sein des corps intermédiaires. Une politique morale et non moraliste ne sépare pas les principes de l’action, des circonstances et des hommes, et se pratique dans la liberté.

Le dialogue ou la guerre

Il en est de même en politique internationale, où la relation avec le protagoniste, ami ou ennemi, a les mêmes obligations : une diplomatie moraliste, comme la diplomatie des droits de l'homme, se bloque dans les principes au lieu de défendre prosaïquement les intérêts de son pays.

Avec l’ennemi, son choix est pur, mais nul : ou le refus du dialogue, ou la destruction de l’adversaire. Sa seule issue est la guerre. Et à défaut, comme les solutions militaires sont toujours difficiles à faire admettre (hors les confortables bombardements), il reste l’attentisme qui renforce l’ennemi. L’exemple de la politique étrangère de M. Fabius à l’égard de la Syrie de Bachar al-Assad le montre sans peine, comme le fut celle de M. Juppé avec Kadhafi.

Puritanisme idéologique

En France, ce moralisme politique est pratiqué ad nauseam, et le cordon sanitaire dressé autour du Front national procède de ce puritanisme idéologique.

Qu’on sache, ce n’est pas le FN qui est responsable de la montée du chômage, de l’insécurité, des drames de l’immigration. Ce n’est pas le FN qui a déstabilisé les pays musulmans où sont persécutés les chrétiens d’Orient. Ce n’est pas le FN qui a voté les lois sur le divorce, l’avortement, l’euthanasie, la dénaturation du mariage. Le FN n’est pour rien dans les inégalités produites par les délires idéologiques du pédagogisme officiel de l’Éducation nationale. Le FN n’est pour rien dans l’explosion de la dette publique.

Ces fiascos, ces dérives libertaires, ce sont les partis de gouvernement qui en sont responsables ; en quoi sont-ils plus convenables que d'autres ?

On peut penser que les remèdes proposés par le Front national ne sont pas acceptables, voire dans certains cas pires que le mal — c’est un autre sujet — mais ce n’est pas en refusant de discuter avec le parti-miroir de ses échecs que l’on va progresser. Ce serait au mieux une fuite en avant de plus, et le paravent commode de ses lâchetés.

Refuser l’extrémisme de l’exclusion

Les élus du Front national sont les élus d’un parti reconnu par la République, et choisi par de plus en plus de Français exaspérés par la politique des partis convenables, et la morale commanderait de refuser la discussion avec lui ? C’est cet ostracisme intransigeant qui est pire que le mal, comme si la violence et le refus de la réalité étaient les seules réponses possibles.

La prudence politique, qui conjugue le nécessaire et le possible, se pratique toujours en tension autour d’un certain juste milieu. Ce juste milieu n’a rien à voir avec le consensus mou, mais il refuse l’extrémisme de ces opposants qui s’excluent l’un l’autre. Mgr Rey n’a pas dit autre chose en affirmant que « le refus du dialogue entretient le fanatisme ».

Les conditions du dialogue vrai

La première condition du bien commun est la paix civile, la première mission du politique est de réaliser les conditions de la paix civile. On reproche au Front national d’entretenir un climat de peur et d’exclusion, mais qui a peur de qui ? Commençons par ne pas avoir peur de la réalité, et d’affronter la réalité politique telle qu’elle est. En recevant une élue politique en situation d’exercer des responsabilités importantes, en lui donnant l’occasion de s’exprimer, de confronter ses points de vue avec les catholiques et d’autres élus, l’évêque rend un service politique dont la communauté nationale devrait se réjouir, a fortiori s’il contribue à casser une dialectique de la proscription qui exacerbe les tensions sans rien résoudre.

En outre, l’évêque de Fréjus-Toulon est strictement resté dans son rôle comme créateur de liens, sans céder d’une manière ou d’une autre sur les exigences non-partisanes de sa fonction ni sur le contenu de l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église. Comme l’a dit Mgr Macaire, évêque de Fort-de-France, et ancien prieur du couvent dominicain de la Sainte-Baume : « L’Église est la seule à pouvoir discuter avec tout le monde sans perdre son âme. » L’Église de France peut aider la société française à sortir de ses archaïsmes antipolitiques, non en baptisant les partis, mais en rétablissant les conditions d’un dialogue en vérité entre tous, sans concession.

 

Philippe de Saint-Germain

 

Pour aller plus loin :
Le débat politique de l'université de la Sainte-Baume (video)

 

 

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