L'Épiphanie, un mystère d’espérance
Article rédigé par Jean-Michel Castaing, le 31 décembre 2014 L'Épiphanie, un mystère d’espérance

L'Épiphanie est un formidable mystère d'espérance pour notre temps. Et cela pour au moins quatre raisons, révélées comme des messages à l’intelligence des hommes : l’appel de la vérité, l’intelligibilité de la Création, l’ancrage de l’universel dans le particulier, la transmission de la foi dans l’histoire.

1/ Le désir immarcescible de vérité

La première concerne le désir de vérité ancré chez les hommes. Notre temps est tenté par le conflit des civilisations. Il est certain que beaucoup de communautés restent crispées sur leurs traditions, en ignorant superbement la richesse de celles des autres. Or le récit de Matthieu, en racontant la visite des mages, contredit en partie ce constat d'enkystement spirituel.

En effet, qui étaient-ils, ces savants qui se mettent en route à la vue de l'étoile ? Ils appartenaient selon toute vraisemblance à une classe de devins ou d'astrologues attachés à une cour royale. Leur rôle ? Scruter le ciel dans le but de deviner si telle décision politique, ou telle expédition militaire, serait couronnée de succès. Ainsi, non seulement ils étaient étrangers, de par leur appartenance ethnique, à l'attente messianique du peuple de l'Alliance, mais de plus leur science était assez mercenaire, et ne possédait pas le caractère désintéressé de celle d'un Thalès ou d'un Ptolémée.      

Cependant ils vont se mettre en route, en quête d'une vérité qui les dépasse, et qui, de surcroît, n'est apparemment d'aucune utilité aux maîtres au service desquels ils officient. L'appel de la vérité est tellement puissant qu'il est capable, à condition de trouver des bonnes volontés pour cela, de pousser certains à passer outre leurs idiosyncrasies culturelles, ou leurs simples intérêts.

La lumière du Christ parle à tout homme, quelque puisse être la civilisation dans laquelle il a baigné auparavant. Il n'existe pas de fatalité culturelle. La nouveauté reste toujours en mesure de bousculer le « toujours-déjà-là » engoncé dans ses certitudes. Certitudes qui se révèlent parfois paralysantes lorsqu'elles confondent un peu vite traditions et vérité.

2/ Le livre ouvert de la Création

La seconde leçon d'espérance du mystère de l'Épiphanie concerne la lisibilité de la Création. Les mages venus d'Orient ne connaissaient pas l'oracle de Balaam, prophète païen, qui avait prédit : « D'Israël il se lèvera une étoile ». Cette prophétie était très ancienne. Balaam l'avait prononcée à l'occasion de la traversée du désert du peuple hébreu en direction de la terre promise. Elle ne datait pas d'hier, et n'avait aucune chance d'être connue de nos mages.

Néanmoins, à la vue d'une étoile, ces derniers se mettent en route. Cela signifie que la Création parle du Christ, sans qu'il soit besoin d'une référence à une tradition particulière pour en prendre conscience. De même que Dieu est omniprésent à son oeuvre, de même celle-ci porte, fût-ce encore implicitement, le message du Christ. L'étoile qui guide les mages en témoigne. Le cosmos n'est pas un rébus indéchiffrable.

Aussi, lorsque le Fils du Père vient en ce monde, il vient « chez lui », comme le dit le prologue de saint Jean (Jn 1,11). Il pourra donc parler de son mystère avec des comparaisons qui nous parlent, issues de la Création : eau, vent, pain, vin, etc. De notre côté, tout ce que nous aimons dans le monde peut devenir un tremplin pour s'approcher de Dieu. Celui-ci ne reste pas en état d'extériorité par rapport au cosmos dans lequel nous évoluons.

Ces signes du Christ déposés dans la Création, en plus de nous faire pressentir l'existence d'un Créateur, suscitent en nous l'intuition d'un Sauveur à attendre, un Sauveur qui soit pour une part issu de notre monde, et pour une part venant du Ciel. Cette étoile, qui précède les mages, fouette le désir d'aller à la rencontre de ce Sauveur, au lieu de se contenter de l'attendre les bras croisés.

Cependant, la Création, laissée à elle-même, ne nous dira pas tout. Nous avons besoin d'une révélation venant directement de Dieu. C'est pourquoi l'étoile conduit les mages à Jérusalem afin qu'ils soient instruits des Écritures d'Israël. Sans leur aide, jamais ils n'auraient été en mesure de parvenir au bout de leur course.

3/ Universalité et particularisme

Afin de déchiffrer le langage de l'étoile, les mages sont en effet obligés de faire escale à Jérusalem. Ici se loge la troisième leçon d'espérance du mystère de l'Épiphanie. Pourquoi nos chercheurs de Dieu ont-ils besoin des Écritures d'Israël afin de connaître le lieu de naissance du Sauveur ? Parce que Dieu, en plus de respecter son Alliance, n'est pas seulement une vague divinité abstraite et universelle. Bien qu'Il soit le Père de tous, Il ne désire pas gommer l'ancrage particulier des traditions religieuses. Il respecte le génie propre à chaque peuple.

Ainsi les mages, par leur détour à Jérusalem, prennent conscience que le Dieu de l'Alliance n'est pas un Dieu qui se fait connaître comme une vague entité universelle, indistincte. Il est plutôt le Dieu qui, en Jésus, s'incarne en un peuple particulier. De même, Il respectera les cultures de tous les peuples dans leur particularité.

L'Épiphanie signifie que la tension entre universalisme et particularisme est parfaitement vivable. La religion peut éviter ces deux écueils entre lesquels la navigation devient de plus en plus délicate de nos jours : l'uniformité arrogante et l'émiettement communautariste.

4/ Importance des médiations

Le détour des mages par Jérusalem, dans leur quête du Roi des Juifs, manifeste enfin également cette vérité importante : selon le judéo-christianisme, le lieu fondamental de la Révélation n'est ni la nature, ni la conscience, mais d'abord l'histoire. Voilà pourquoi il était nécessaire que les mages passent par la case de la capitale religieuse d'Israël.

Le Dieu biblique, dans sa transcendance, n'est pas immédiatement accessible. L'homme ne peut accéder à Lui que si Lui-même se révèle. De plus, Il respecte les médiations. Ce qui explique que les mages aient besoin de compléter le message implicite de l'étoile par celui, plus explicite, des Ecritures. Si la nature et la conscience sont de l'ordre de l'immédiat (ce qui n'enlève rien à leur importance, surtout pour cette dernière), en revanche l'histoire et le langage sont des médiations qui disent Dieu par un apprentissage ou une pédagogie qui « prend du temps ». Le Dieu biblique est un pédagogue, qui ne déverse pas Ses volontés en un instant, d'en haut, avant de s'éclipser.

Ces médiations, loin de représenter une entrave, sont au contraire un signe de respect des réalités créées de la part de Dieu, comme de la temporalité humaine. De plus, elles constituent un garde-fou contre toutes les interprétations délirantes de son mystère. Que l'on songe par exemple à l'actualité inquiétante du fondamentalisme islamique, qui ignore à la fois la dimension historique du texte sacré comme les multiples gloses auxquelles il a donné lieu.  

Le mystère de l'Épiphanie possède encore d'autres richesses. J'ai pointé ces quatre raisons d'espérance parce qu'elles me semblent plus actuelles que jamais. La vérité n'est pas synonyme d'intolérance, et peut être cherchée en dehors de notre sphère culturelle native. Le monde parle de Dieu à qui sait voir et écouter. Nous pouvons croire en un Dieu unique tout en respectant les traditions particulières de chaque peuple. Enfin l'importance que Dieu accorde aux médiations nous dit que la religion biblique ne court-cuite pas les réalités humaines, mais reste un puissant facteur d'humanisation.

 

Michel Castaing est essayiste. Il a publié 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).

 

 

Illustration : Lorenzo Monaco, Adoration des mages, vers 1421-1422 (Florence, Galleria degli Uffizi).

 

 

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