Article rédigé par Henri Hude, le 22 décembre 2014
Que savent-ils de la mort ces parlementaires favorables à de « nouveaux droits des malades et personnes en fin de vie » ? Suite de notre analyse des dogmatiques du désespoir.
Qu’est-ce donc que mourir dans la dignité, s’il n’y avait pas une dignité dans la vie même ? La mort, n’étant que l’extrémité de la vie ici-bas, doit avoir au moins la même dignité que la vie en elle-même. Pour mourir dans la dignité, il suffit donc de vivre jusqu’au bout.
Quelle dignité peut avoir un simple tas de matière, issu du hasard et voué à la décomposition ? Or si nous ne sommes que cela, si nous mourons tout entiers, ne parlons plus de vivre dans la dignité, ni donc d’y mourir. Mais en fait, nous croyons à notre dignité, cela montre que nous ne tenons pas le désespoir pour si raisonnable et que, dans le fond, nous croyons qu’il y a peut-être bien autre chose.
Quelle dignité y a-t-il à prendre une attitude artificielle ? La dignité est d’abord morale. Respecter la vérité, c’est bien plus que se tenir droit. Tout mépris de la mort suscite une certaine admiration, mais le courage ne suffit pas à faire une bonne action. Certains criminels de guerre étaient aussi des héros. Quand on ne ment pas, quand on ne se paye pas de mots, la personne vaut toujours mieux dans sa vérité que le personnage qu’elle préférerait jouer dans l’imaginaire.
Le témoignage du sens dans la fragilité est un cadeau sans prix fait à ceux qui restent ici-bas pour affronter à leur tour la vie.
Pourquoi souffrir deux fois au lieu d’une ?
La souffrance est douloureuse : c’est une évidence et une tautologie. Elle n’a pas de sens : ce n’est qu’une hypothèse.
Si on croit cette hypothèse vraie, la souffrance est deux fois douloureuse. Une fois parce qu’elle est douloureuse, une seconde parce qu’elle est absurde.
De quoi veut-on se libérer par la « bonne mort » ? De la simple douleur ? Mais pour cela, il n’est pas besoin de mourir. De l’absurde ? Mais ce n’est peut-être qu’une impression. Il vaut mieux guérir de cette impression.
C’est par l’amour qu’on en guérit. Peut-être aussi par la sagesse.
L’euthanasie devenue fait sociologique, ce serait en fait une psychothérapie collective contre la présence de l’absurde. Mais pourquoi ne pas guérir de l’absurde simplement par le petit acte de douter de l’absurde, qui suffit à libérer la joie de vivre et la puissance du sens.
Pourquoi se priver de sa mort naturelle ?
Celui qui appelle la mort du geste et de la voix se prive de tant de joies ultimes et si rares, d’échanges si vrais, de rapports si inoubliables, d’instants où, presque sans parler, par la simple pression d’une main, on se dit tout et où enfin on se comprend, alors qu’on avait perdu des années à ne plus se comprendre et à ne plus rien se dire…
Pourquoi ne pas redécouvrir ces moments, plutôt que de fuir par le non-sens du meurtre et du suicide finaux, une sinistre chute dans un non-sens, peut-être imaginaire ? Transfert imaginaire d’une tristesse et d’un manque d’amitié, dans la structure et l’orientation de la vie ?
Contre le dogmatisme du désespoir
Bref, ne pas agir comme si le douteux était certain. Ne pas agir comme si l’espoir était vain. Ne pas imposer aux autres cette croyance arbitraire. Ne pas leur donner le témoignage du non-sens. Accepter le questionnement.
Faire jouer l’esprit critique, c’est toujours une victoire contre la négation et le néant, à condition que nous sachions tenir la main de la personne qui souffre, et mettre en doute le doute unilatéral qui ne sait douter que de ce qui ferait sens.
En fait, nous aimons la vie, nous croyons qu’elle est bonne, et pas seulement parce qu’elle nous procure du plaisir, car nous pouvons nous sacrifier de bon cœur pour la vie qui monte et pour ce que nous aimons.
La mort peut être une naissance à une vie supérieure, à une existence céleste. Il faut en être resté à une physique de Meccano, datant du XIXe siècle, ou même de l'Antiquité, pour se croire sûr que la décomposition laisse tout tomber au néant.
Mesdames et Messieurs les députés, à supposer que vous ne sachiez pas davantage que vos tristes collègues ce qu’il en est de la mort, mais que vous soyez plus critique qu’eux, donc à supposer que seulement vous doutiez, que choisiriez-vous ?
On dit que la mort est pour chacun ce que chacun pense. Voire. La mort est ce qu’elle est, même si nous ne le savons pas. La question serait alors : « Dans le doute, que fait-on ? » Ou s’il faut parier, sur quoi parie-t-on ?
Le doute unilatéral, ce n’est pas un doute, c’est un préjugé de désespoir. Si ce préjugé était si vrai que cela, nous serions tous morts depuis longtemps.
Fraternité ou absurdité ?
Je vois bien qu’ils tiennent à ce que le suicide soit la façon commune de sortir de la vie. Mais je me pose alors cette question : pourquoi ces gens ont-ils à ce point besoin de croire au non-sens ? La France est-elle la République du non-sens ? Liberté, égalité, solidarité dans l’absurdité ?
Henri Hude est philosophe. Dernier livre paru : La Force de la liberté (Economica).
Article précédent :
Ils sont favorables à l’euthanasie : que savent-ils sur la mort ? (I/II)
Sur ce sujet :
Le rapport et la PPL Claeys-Leonetti
Notre dossier « Le droit de la fin de vie »
Mgr Dominique Rey : « Faire mourir n’est pas un soin »
Damien Le Guay : Le risque de la sédation euthanasique
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