Article rédigé par Damien Le Guay, le 19 décembre 2014
Quelques jours après la remise du rapport Leonetti-Claeys sur la fin de vie à François Hollande, l’auteur du Fin mot de la vie (Cerf) Damien Le Guay s'interroge dans le Figaro-Vox sur les risques d'un texte ambigu.
[Figaro Vox, 15/12/14] — Ce rapport, remis au président de la République, devrait servir de base au débat parlementaire et à la loi qui suivra. S'il est balancé, plutôt équilibré, avec l'insistance sur de nouveaux droits pour le patients, personne ne sais, par avance, ce que le Parlement en fera. Nous entrons-là dans une zone de turbulence politique où certains, pour mettre en avant des « marqueurs de gauche », pourraient vouloir en profiter pour détricoter la loi Léonetti (qui sert de cadre, depuis 2005, à la fin de vie en France) au profit d'une « sédation euthanasique ». Nous verrons bien. Mais le risque est grand.
Deux rapports en un
I - Pour le rapport lui-même, remis le 12 décembre, faisons part de notre étonnement quant aux 46 auditions. Les religions ont été auditionnées — sauf les musulmans. Mais, à côté de l'audition de monseigneur d'Ornellas (seul représentant de l'Eglise Catholique), constatons l'audition de sept représentants des francs-maçons. Cette disproportion, voulue par Alain Claeys, explique, peut-on penser, le difficile accord avec Jean Leonetti — l'autre auteur du rapport.
Il est donc permis de penser qu'il y a « deux lectures » possible de ce rapport, aussi différentes que l'intention de deux parlementaires. Et ces deux-rapports-en-un incite à penser que l'équilibre est instable et pourrait, lors du débat parlementaire, pencher d'un côté ou de l'autre.
Autre point (point peu repris par la presse) : le constat accablant (déjà fait par ailleurs) sur le peu de moyens des soins palliatifs. 80 % des médecins n'ont pas été formé à la prise en charge de la douleur. 63 % d'entre eux n'ont pas reçus de formation sur la limitation des traitements. Quant au cloisonnement entre le « curatif » et le « palliatif » il persiste et est toujours aussi regrettable. Pour mieux « accompagner » les patients, il faudrait remettre a plait la « tarification à l'acte » — qui favorise les actes médicaux au détriment des actes palliatifs. Ainsi, le « mal-mourir » persiste. Rien n'a été fait pour y remédier, pour limiter la mort aux urgences, pour lutter contre « l'obstination déraisonnable », pour favoriser la HAD - l'hospitalisation à domicile. Rien.
Nouveau droit ?
Le développement des Directives Anticipées (déjà permises mais bien peu pratiquées) est en soi une bonne idée surtout s'il s'agit de bien connaitre le patient. Mais il ne faudrait pas qu'elles puissent faire perdre aux équipes soignantes le sens du jugement, leur savoir-faire et ce par une application trop stricte d'un droit. N'oublions jamais que nous ne connaissons pas celui que nous serons face à la maladie — et non à son idée. Quant à la désignation d'une « personne de confiance », elle pourrait se généraliser — ce qui permettrait de mieux connaitre la volonté de celui qui n'est plus en mesure de parler.
Reste le point central du rapport : comment respecter la volonté du patient quand il est au bord de la vie et donc de la mort. Il réaffirme différents déjà acquis — mais sans doute mal appliqué — : le droit à la limitation ou à l'arrêt des traitements, « le droit de ne pas souffrir », le droit de limiter « l'acharnement thérapeutique » et « l'obstination déraisonnable » Ceci conduit nos deux rapporteurs à proposer la création d'un nouveau droit : celui « à la sédation profonde et continue jusqu'au décès » pour les « personnes atteintes d'une maladie grave et incurable ». Cette sédation-là serait encadrée, limitée.
Écran de fumée
II - Comme toujours, le diable se cache dans les détails. On peut à juste titre se réjouir d'une amélioration des processus de sédation et ce avec un encadrement strict. Mais, cette nouvelle forme de sédation sera-t-elle « un droit » de confort ou visera-t-elle à « donner » la mort ? (Là est le fameux « double effet »). On peut se réjouir de mieux connaitre, avec les Directives Anticipées, les intentions des patients, ce qu'ils sont et pensent par avance. Mais les rendre « contraignantes » va-t-il conduire à maintenir ou à abolir la liberté d'appréciation des équipes soignantes ? Vont-elles être un droit opposable (qui pourraient se retourner contre le patient lui-même) ou indicatif. Quant au « plan pour les soins palliatifs » sera-t-il conséquent, large, bien pourvu ou, au contraire, s'agit-il, encore une fois, comme avec Madame Bachelot, d'un écran du fumée où l'on se paie de mots.
Tous ces réglages fins, s'ils sont modifiés, peuvent changer « l'état d'esprit » de la loi sur la fin de vie. Disons-le autrement : soit le cadre reste le même avec des « avancées » de confort, soit, sans le dire, la loi Léonetti sera dénaturée. Il faut craindre un glissement euthanasique qui installerait au-delà d'un accompagnement d'humanité un « faire mourir ».
Le mal-mourir
Or, la question prioritaire n'est pas celle de l'euthanasie (qui, concernerait au mieux 5 000 cas en France) mais, bien plutôt, celle du « mal-mourir » en France. 300 000 de nos concitoyens meurent d'une manière inhumaine. 80 % de ceux qui pourraient avoir accès aux soins palliatifs en sont exclus. Et plutôt que de s'attaquer à cette indignité nationale, à ces réformes de structure -toutes indiquées dans le Rapport Sicard de décembre 2012 —, certains préféreraient faire un « coup politique », une « réforme sociétale ». Le débat ne fait que commencer. Puisse la sagesse prévaloir. Est-ce là un vœu pieux ou une manière de s'en remettre à ce que la politique à de plus noble ! L'avenir le dira.
Damien Le Guay, philosophe, président du comité national d'éthique du funéraire, membre du comité scientifique de la SFAP, enseignant à l'espace éthique de l'AP-HP, vient de faire paraitre un livre sur ces questions : Le Fin mot de la vie - contre le mal mourir en France, aux éditions du Cerf.
Sur ce sujet :
Notre dossier "Le droit de la fin de vie"
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