Article rédigé par Hélène Bodenez, le 29 novembre 2014
TEMOIGNAGE | Accompagnant mes élèves de classes préparatoires en visite au Parlement européen le jour-même de celle du pape François, j’ai eu l’immense joie d’entendre des tribunes de l’hémicycle le grand discours que le chef des catholiques a prononcé à Strasbourg ce mardi 25 novembre (vidéo infra).
Le TGV n’est pas arrivé en retard ! Il était même en avance de deux minutes… Les check-points ont tous été traversés sans encombres, les portiques de sécurité n’ont pas sonné, les identités ont toutes passé les contrôles. Bref, quand nous avons pénétré dans l’enceinte tant désirée, nous y croyions à peine tant l’horaire était serré et la pression de la sécurité grande. Ne voyions-nous pas le pape arriver sur les écrans géants alors que nous n’avions pas atteint encore nos places réservées ? L’Hymne à la joie ne résonnait-il pas déjà pour l’homme qui avait écrit La Joie de l’Évangile ? Je me fis en tout cas, même en plein stress, la réflexion que jamais l’hymne européen ne s’était élevé pour une cause si juste.
Voilà, nous y étions, ce fut juste mais nous y étions, et de nos gradins nous vîmes tout à coup les eurodéputés affluer et s’asseoir à leur place donnant ainsi le signal que le pape approchait de l’hémicycle de manière imminente.
Soudain la silhouette blanche connue surgit devant nous : placés comme nous étions placés, nous la voyions en surplomb et de dos, quelque peu de profil de temps à autre quand il se tournait à gauche ou à droite de l’Assemblée.
Capacité innée de distinguer le bien du mal
« Vos paroles sont d’une importance énorme, nous offrent une orientation dans un temps de grande désorientation » commence le président du Parlement européen. Les paroles de Martin Schulz lâchent des mots vrais de bienvenue. Tout à l’heure, le pape reprendra le même thème, cher d’ailleurs au pape émérite Benoît XVI, avec la mention de la « boussole », évoquant ainsi très tôt dans son discours, dans ce qui relève de la dignité transcendante de l’homme, « sa capacité innée de distinguer le bien du mal », « boussole inscrite dans nos cœurs et que Dieu a imprimée dans l’univers créé ». Le pape ne pouvait bien sûr pas explicitement évoquer la foi, ni les commandements de Dieu, mais derrière cette image simple de la « boussole », de ce qui donne la direction sûre, les références sont bien celles-là et peuvent être comprises par l’auditeur de bonne volonté.
Parmi tant de paroles vivantes et vraies d’un discours de haut vol, le passage auquel j’ai été le plus sensible restera ce moment où le pape s’attacha à mettre en garde les députés européens contre une construction fictive de la démocratie européenne, contre ce qui pourrait bien être qualifié d’idéologie, loin de toute réalité, loin d’une Europe véritablement incarnée. Le pape craint que la folle modernité, privée de son « fonds chrétien », de ses « racines religieuses » n’aboutisse en définitive à un monstre froid, inhumain, injuste, hors-sol, comme y invite finalement le sens des expressions négatives et paradoxales employées, ces alliances de mots percutantes :
On court ainsi le risque de vivre dans le règne de l’idée, de la seule parole, de l’image, du sophisme… et de finir par confondre la réalité de la démocratie avec un nouveau nominalisme politique. Maintenir vivante la démocratie en Europe demande d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. |
Dans notre Europe moderne, le relativisme est, en effet, devenu l’horizon indépassable, fruit d’une vieille tolérance qui s’est métamorphosée toujours plus grimaçante au fil des siècles en une notion fripée. Sous couvert de liberté d’expression, elle décide autoritairement de la doxa, quitte à guillotiner à chaque instant la vérité.
Ne compte que la coexistence pseudo-pacifique de toutes les opinions, y compris les plus médiocres et les plus contradictoires, les plus mortifères surtout. Compte ainsi davantage la tolérance plus que l’objet même de la tolérance. Le relativisme est érigé en système où il ne faut surtout pas absolutiser la vérité, système qui falsifie sans vergogne les vérités les plus fondamentales comme l’ont montré les derniers rendus de la CEDH contrant les lois les mieux assises des États-membres (« mariage » gay, GPA). Mais qu’est-ce que la tolérance pour la tolérance sinon la tolérance absolutisée ? Ne serait-il pas temps d’en venir à relativiser le relativisme ? Quand le pape stigmatise l’Idée qui vient diminuer, délayer la réalité, il parle en sage, expert à débusquer les mêmes hérésies prêtes à renaître sans cesse, erreurs qui enfilent simplement des costumes nouveaux. Le mal en réalité n’a pas tellement d’imagination. L’œil d’un saint pape voit cela immédiatement. M’a frappée d’ailleurs son visage sérieux, si grave souvent.
"Le bon pape François ou le jésuite rugueux" ?
Si ce voyage-éclair a été suffisamment expliqué comme un voyage européen, sans but pastoral affiché, le pape François a malgré tout fait valoir son expérience pastorale pour donner du crédit aux paroles qu’il a dispensées généreusement au Parlement de Strasbourg.
De la même façon, tout en admettant la couleur uniquement européenne donnée à ce voyage, le chrétien aime malgré tout lire les signes des temps et un pape au cœur de l’Europe est un signe des temps. Même s’il ne dure que quatre petites heures. La liturgie du dimanche précédent ce voyage, celle du Christ-Roi, offrait le texte dérangeant du jugement dernier. Le 25 novembre, c’est le livre de l’Apocalypse qui était lu dans toutes les paroisses du monde, celle de la moisson et des vendanges, de la justice qui vient à la fin des temps. Le pape François n’avait pas de « faucille aiguisée », mais nul doute que ses paroles incisives, avertissent, semoncent ceux qu’il aime. Malgré son allure faussement bonhomme, comme l’a dit Odon Vallet dans un très bon « C dans l’air » (France 5) en trouvant que ce n’était pas « le bon pape François », mais « le rugueux jésuite » qui s’exprimait, le pape François intervient comme s’il y avait urgence, urgence que justice advienne pour que la paix advienne.
N’oublions pas : ce jour-là le psaume invitait à méditer ces versets : « Il jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa vérité ! » Hâtons-nous donc d’entendre l’avertissement. Heureuses ces oreilles qui ont pu écouter l’humble serviteur de la vigne du Seigneur. Et écouter vraiment n’est-ce pas déjà obéir et commencer à mettre en pratique ? H.B.
Sur ce sujet :
Le discours du pape François au Parlement européen
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