Loi Veil : les sophismes du discours
Article rédigé par Bruno Couillaud, le 26 novembre 2014 Loi Veil : les sophismes du discours

La France commémore le 40e anniversaire du discours de Simone Veil du 26 novembre 1974, pour la présentation et la discussion de la loi qui sera votée le 17 janvier 1975. Ce bouleversement législatif a convaincu sur la foi de raisonnements et de formulations qui ont abusé l’intelligence du législateur. Quarante ans après, qui peut prétendre ne pas être troublé encore par la confusion des mots à propos de l'IVG ? Décryptage du philosophe Bruno Couillaud, depuis ses Manières de penser (F.-X. de Guibert, 2013).

ON NE SERA PAS SURPRIS de retrouver au premier rang des arguments du ministre de la Santé Simone Veil en faveur d’une législation autorisant l’avortement, ceux-là mêmes qui relativisent l’humanité de l’embryon : « promesse de vie », « en devenir », porteur des « virtualités de l’être humain qu’il deviendra ». En quoi peut-on soutenir que ces formulations sont fallacieuses ?

Au mépris du bon sens

Tentons un exercice : n’y aurait-il pas dans ces arrangements de mots censés faire progresser le raisonnement de quoi faire souffrir cruellement le bon sens ? Extraits :

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« Enfin, le troisième absent, n'est-ce pas cette promesse de vie que porte en elle la femme ? [...] Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l'embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l'être humain qu'il deviendra. Mais il n'est encore qu'un devenir, qui aura à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie.

[...] La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer : c'est le fait qu'une femme ne prend pleine conscience qu'elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu'elle ressent en elle les premières manifestations de cette vie. Et c'est, sauf pour les femmes qu'anime une profonde conviction religieuse, ce décalage entre ce qui n'est qu'un devenir pour lequel la femme n'éprouve pas encore de sentiment profond et ce qu'est l'enfant dès l'instant de sa naissance qui explique que certaines, qui repousseraient avec horreur l'éventualité monstrueuse de l'infanticide, se résignent à envisager la perspective de l'avortement [1]. »

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Quatre raisonnements trompeurs

Voyons, lecteur attentif, si vous sauriez repérer et analyser des expressions ou des raisonnements sophistiques, c’est-à-dire fallacieux, c’est-à-dire trompeur !

♦ « Promesse de vie » : sophisme qui identifie l’absolu et le relatif ; car l’embryon est réellement un vivant, de façon absolue pourrait-on dire ; s’il possède encore une promesse, c’est celle d’une vie mature, développée, donc d’un point de vue relatif et c’est d’ailleurs la même vie qu’au début.

Il aurait fallu dire « une vie pleine de promesses » !

« L'embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l'être humain qu'il deviendra. » Même tabac : « être humain » désigne une nature concrète, un sujet, individuel, identifié, et actuel ; les virtualités sont relatives à son développement à venir, il deviendra grand, beau, fort… mais pas « être humain », il l’est déjà !

Il aurait fallu dire « l’embryon porte en lui toutes les virtualités de l’adulte qu’il deviendra » !

« Il n'est encore qu'un devenir » et plus loin « ce qui n'est qu'un devenir ». Non ! il est un sujet, bien présent quoiqu’« en devenir » et non « encore qu’un devenir » ; confusion de l’absolu et du relatif là aussi.

Il aurait fallu dire « il est encore en devenir ».

« Un être vivant qui sera un jour son enfant » : oui, à condition de tenir « qui sera » pour une expression relative à la conscience de la mère, alors que dans l’absolu, il l’est déjà. La filiation assumée, psychologique, s’enracine dans une filiation réelle, ontologique et qui la fonde. Précisons que pour une adoption il y a abandon de filiation juridique et acquisition d’une nouvelle filiation, mais la filiation réelle demeure et devra, le moment venu être assumée et dépassée psychologiquement, mais par l’enfant cette fois.

Il aurait fallu dire « un être vivant, son enfant qu’un jour elle verra naître » !

La formulation vraie

Récapitulons ce qu’il aurait fallu dire :

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« L’embryon, une vie pleine de promesses… porte en lui toutes les virtualités de l’adulte qu’il deviendra… Certes il est encore en devenir… mais cet être vivant, c’est son enfant qu’un jour la femme verra naître. »

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Mais on parle alors de la vie d’une tout autre manière et il devient difficile d’imaginer autre chose qu’une loi pour la protéger !

À suivre…

 

Bruno Couillaud,
 26 novembre 2014

 

Manières de penser
 Arguments et tromperies en bioéthique
 F.-X. de Guibert, 2013
 293 p., 25 €

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[1] Simone Veil, Assemblée nationale, 1e séance du mardi 26 novembre 1974. Interruption volontaire de la grossesse. —  Discussion d'un projet de loi (p. 6999-7002).***