Article rédigé par Sabine Faivre, le 10 juin 2014
Comment casser la spirale négative de l’enfermement dans le ressentiment, génératrice de conflits, de crises, et au final, de désespoir ? La psychologie du pardon est une démarche subversive profondément libératrice, et désormais une discipline à part entière, au service des personnes mais aussi des sociétés.
S'IL FALLAIT CHERCHER UN SIGNE, une piste, une voie capable, à elle seule, de résoudre la plupart des problèmes qui se posent à cette société malade, à ce monde en guerre, à ces familles déchirées et divisées, à ces querelles politiques, à ces conflits internationaux, ce serait celui-ci : le pardon.
Non pas que le pardon soit en mesure de résoudre toutes les injustices, mais il permet de les dépasser pour construire un monde plus humain, un monde où la paix est le bien le plus précieux à atteindre, car de lui dépend, dans les familles, les communautés, la cité, les nations, la vie des hommes.
Nous devrions dire plus exactement : la survie des hommes. Car il apparaît que notre humanité est arrivée à un tournant de son histoire. Jamais les menaces, venant de tous les horizons, n'ont autant pesé sur elle. Crises en tous genres, climatiques, sociales, ethniques, crises d'identité individuelle et collective.
Or nous sommes aujourd'hui amenés à nous poser une question vitale : qu'est-ce que l'homme ? et que faire pour que l'homme retrouve toute sa dignité d'homme ? Que faire pour que nous parvenions, nous-mêmes, à retrouver notre identité, pour construire enfin un monde qui soit vraiment à la mesure de l'homme ?
La psychologie du pardon
La première des explorations, la première des aventures n'est pas extérieure à l'homme ; elle est intérieure. La réponse se trouve donc en l'homme lui-même, c'est à dire en chacun de nous.
Si nous voulons changer le monde, commençons par changer nous-mêmes. C'est ce que nous enseigne la psychologie du pardon.
Si je n'arrive pas à éradiquer ma colère, mes blessures, mon amertume : jamais je ne pourrai devenir un artisan de paix. Et cela commence donc au pas de notre porte.
Nous avons tous vécu à des degrés divers, des situations d'injustice. Nous portons tous à des degrés divers, des blessures, parfois des traumatismes. Hérités de notre histoire, des expériences que nous avons vécues. Et bien souvent, ces blessures affectives ou psychologiques affectent profondément nos vies, générant des replis, des peurs, des réactions disproportionnées, qui elles-mêmes génèrent des blessures chez d'autres etc., et c'est ainsi non seulement dans nos vies, mais aussi celle de nos familles, de nos amis, de nos lieux de vie et d'engagement, qui en sont affectés.
Enrayer la spirale du désespoir
Par ricochet, la blessure se transmet inconsciemment aux enfants, générant une spirale négative qui ne s'arrête pas.
Notre vision du monde est profondément affectée par ce que nous avons vécu, et nous construisons des schémas intellectuels (par exemple « tous les hommes sont infidèles », ou « on ne peut faire confiance à personne » ou « l'amour n'existe pas », etc.) qui nous font voir le monde à l'aune de nos expériences négatives.
Comment casser cette spirale négative, génératrice de conflits, de crises, et au final, de désespoir ?
Il ne s'agit pas de nier ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas de minimiser la blessure, ni même de l'oublier. Au contraire. C'est parce que je reconnais qu'il s'est passé quelque chose de grave, que je peux pardonner.
S'il fallait inventer une nouvelle notion, il faudrait définir la psychologie du pardon comme un « acte subversif » dans le sens du Bien.
Le pardon permet à l'homme de ne pas céder à ses penchants et ses instincts immédiats. De ne pas céder à la vengeance. De refuser la loi du Talion pour que cesse l'engrenage de la violence.
Prendre conscience de sa blessure
Lorsque nous pardonnons, nous prenons d'abord conscience de notre blessure. La première étape est d'avoir le courage de regarder cette blessure en face. Nous reconnaissons ainsi la légitimité de notre blessure. Nous en prenons acte, sans faux semblant, même si cela oblige à revenir sur des évènements douloureux, qu'on voudrait refouler voire oublier.
Et en creusant cela, nous nous rendons compte que notre blessure, profondément enracinée, s'est ramifiée, à l'intérieur de nous-mêmes. Atteignant notre psychologie, nos émotions, notre intelligence, et notre santé également. Guidant nos choix, motivant nos réactions, inspirant nos actions et nos pensées, envahissant nos rêves, dominant notre vie. A tel point que l'on finit par se rendre compte qu'une prison s'est peu à peu construite autour de nous.
La première motivation qui surgit alors est de casser les murs de cette prison émotionnelle. Pour s'accorder le droit de vivre, enfin. Cependant, pour casser cette prison, et donc pour revivre, la seule option possible est de regarder notre agresseur.
Ce changement de regard, qui passe de soi à l'autre, est au coeur de la démarche de psychologie du pardon, telle que l'a mise en pratique le Dr Robert Enright, pionnier de la thérapie du pardon aux USA depuis trente ans.
Nous apprenons à considérer cette personne dans sa globalité, comme personne humaine avant tout, et plus seulement à travers l'acte qu'elle a commis (sans excuser ni justifier son acte pour autant). C'est par ce décentrement que nous faisons cesser la spirale de la violence. Car nous la dépassons par quelque chose de plus grand.
À ce stade, nous décidons d'offrir un cadeau à cette personne, qui s'appelle le pardon.
Guérir de nombreux traumatismes
Le Dr Enright a démontré que la thérapie du pardon permet de résoudre de nombreux traumatismes, des syndromes post-traumatiques, des blessures psychologiques graves. Mais cela fonctionne aussi sur les injustices « du quotidien ».
Ce processus a été théorisé et expérimenté de façon scientifique, et il obtient des résultats spectaculaires, validé par l'America Psychological Association, référence internationale en la matière. À ce jour, le seul parcours qui existe dans ce domaine, est celui du Dr Enright, de l'Université de Madison. Le chemin est long, maintes fois repris, maintes fois abandonné. Mais au bout de cette route, il y a une libération, sans conditions.
L'effet le plus immédiat, quand nous parvenons à pardonner en totalité, après un tel parcours, est le soulagement. Nous vivons une « sortie de prison » émotionnelle. Et nous ressentons un sentiment de libération, de paix, profond et durable.
Si nous parvenions, chacun à notre niveau, à pardonner à ceux qui nous ont blessés, nous pourrions alors devenir de véritables artisans de paix. Nous pourrions alors témoigner, agir, éclairer les consciences, pour que le monde redevienne ce qu'il devrait être : pleinement humain car pleinement pacifié.
Sabine Faivre est enseignante, psychologue, en cours de spécialisation sur la thérapie du pardon, Université de Madison, USA (2014). A publié La vérité sur l'avortement aujourd'hui, Ed. Téqui, 2006.
***