Article rédigé par Alex et Maud Lauriot-Prévost, le 07 février 2014
Pourquoi le pape François s’est-il donc donné comme priorité, à peine six mois après son élection, de convoquer à Rome son premier synode extraordinaire des évêques, qui aura lieu en octobre prochain sur le thème des « Défis pastoraux de la famille dans le contexte de l'évangélisation » ? Une question légitime quand on sait que le style du pape le conduit à aller droit à l’essentiel, et de revenir à « l’urgence d’une première annonce : Jésus t’a sauvé [1] ».
LE PAPE FRANÇOIS est habité par un très grand zèle missionnaire auquel il veut associer toute l’Église. À cette fin, il s’investit auprès de tous : il stimule les courageux, il réveille les endormis, il bouscule l’entre-soi ecclésial, il dénonce la mondanité et le cléricalisme, il vilipende les tièdes ou les pisse-vinaigre qui « contredisent l’Évangile et ne sont plus habités par la joie de croire et d’évangéliser ».
Il veut entraîner pasteurs et baptisés dans une mission bien au-delà des cercles ecclésiaux, dans le but « d’annoncer l’Évangile de manière attractive et convaincante » à tous ceux que la pastorale missionnaire néglige sans doute bien souvent : les non-croyants et non-pratiquants, les périphéries existentielles, les pauvres et les blessés de la vie, …
Le cardinal Bergoglio a été un artisan déterminant dans l’élaboration du projet missionnaire d’Aperecida élaboré en 2007 par l’épiscopat sud-américain, puis dans la mise en œuvre de cet ambitieux programme d’une nouvelle évangélisation à l’échelle d’un continent ; les premiers fruits apostoliques sont édifiants et très encourageants.
Au regard de la lecture de son exhortation apostolique La Joie de l’Évangile parue à l’automne, François a très clairement l’ambition d’être l’artisan d’un « Aperecida universel » pourrait-on dire : continent par continent, mettre en œuvre une sorte de nouveau plan mondial de mobilisation missionnaire et d’évangélisation afin de rejoindre tous les hommes et d’en conduire le plus grand nombre au Christ.
Vraies et fausses barrières
Cependant, pour mettre en œuvre ce plan et atteindre ses priorités, le pape François a clairement identifié un écueil majeur qui peut entraver son grand dessein missionnaire : certaines règles et attitudes de l’Église se rapportant au couple et à la famille sont de véritables barrières ou fossés entre l’Église et le monde, ou en tout cas sont perçus comme tels par beaucoup. De ce fait, nombre de fidèles, de baptisés non-pratiquants ou de non-croyants se défient de l’Église, la quittent ou la tiennent à distance, tandis que les grands médias prennent un malin plaisir à caricaturer ou à déformer ses positions, à ringardiser voire à disqualifier les cathos du discours public sur ces sujets.
Il ne s’agit pas d’attendre que le pape François touche aux fondements et aux équilibres théologiques liées à la famille : son orthodoxie est dans la droite ligne de ses prédécesseurs. En revanche, c’est pour lui une nécessité d’actualiser certaines règles pastorales ou canoniques devenues inadaptées ou perçues comme injustement rigides, et plus encore peut-être, c’est pour lui une urgence de modifier certains comportements pastoraux qui donnent trop souvent de l’Église le visage d’une institution étriquée, sans miséricorde, ni compassion, sans attention ni amour.
Un quiproquo... paradoxal
Il semble clair que le premier souci de François en convoquant ce synode est de dissiper un malaise profond, que l’on pourrait qualifier d’immense quiproquo entre le monde et l’Église sur ces questions.
Ce quiproquo se manifeste aujourd’hui au travers d’un incroyable paradoxe :
♦ d’une part, bien au-delà des sphères chrétiennes, une très grande majorité de nos contemporains aspire plus que tout à « réussir » leur couple et leur famille selon le modèle que porte et défend l’Église avec beaucoup de force, et aujourd’hui, quasiment seul contre tous : alliance libre entre un homme et une femme, fondée sur l’amour et l’engagement, vivant une sexualité épanouie, ouverte sur la vie, dans une fidélité sans faille, en vue d’accueillir des enfants, de les éduquer et de les conduire jusqu’à l’âge adulte, puis se réjouir ensemble de voir naitre et grandir des petits-enfants, etc.
♦ et d’autre part, ce modèle du couple et de la famille est massivement battu en brèche dans les faits car la réalité de la relation conjugale génère de grandes déceptions, de nombreuses souffrances : on constate avec tristesse que l’infidélité se banalise et s’accroît, que le taux de divorce ou de séparation flambe et atteint des sommets, que tant d’enfants vivent si douloureusement les ruptures de leurs parents, sont ballotés de plus en plus jeunes, entre père et belle-mère, mère et beau-père, etc.
Experte dans les voies de l’amour véritable
Non seulement l’Église est dépositaire du dessein de Dieu pour le couple et la famille, mais elle sait, plus que tout autre, décrypter les innombrables mirages que sont les voies trompeuses prônées par le monde et qui conduisent à tant d’échecs et de douleurs. Elle porte comme un trésor les voies de guérison, de croissance, de conversion de l’Eros conduisant « vers la béatitude à laquelle tend tout notre être » (Benoit XVI).
Elle met en garde, alerte, propose, … mais son message n’est pas entendu alors qu’elle seule porte si fortement ce si beau dessein auquel tant aspirent ; elle seule indique aussi précisément les écueils mais aussi les chemins sûrs pour vivre durablement cette bénédiction de la famille.
L’Église parle donc sans doute bien maladroitement de ce trésor, et le monde s’entête sans doute dans ses errements et ses a priori, mais ces deux-là ont tout pour se rencontrer : il existe donc là un immense malentendu que Jean-Paul II a commencé à dissiper, mais que François cherche aujourd’hui à résoudre. Sa profonde conviction est déjà limpide au travers de nombre de ses discours : l’amour conjugal et familial a besoin d’être sauvé lui-même par le Christ afin qu’époux, épouses, enfants, grands-parents retrouvent le chemin du pardon et de la guérison, de la joie, du bonheur et de la paix ; son évangélisation n’en est donc que plus urgente.
Revenir à l’essentiel
L’Église, si sensible aux détresses humaines, cherche à prévenir hommes et femmes de cet immense gâchis, entraînant de si grandes blessures et le cercle infernal de leurs répercussions. S’il est de son devoir d’alerter des dangers et des fruits amers du péché dans le couple et la famille, elle se doit surtout de conduire nos contemporains à vivre un chemin de Salut, et donc de guérison et de libération dans ces domaines.
En se penchant avec compassion sur leurs blessures, elle devient cet « hôpital de campagne après la bataille » si cher au pape car tant ont besoin selon lui de « soigner leurs blessures et de réchauffer leur cœur ». Il est donc de notre devoir de chrétien, dit-il, de « revenir à l’essentiel », et donc de porter cet Évangile du Salut à ces couples et familles, blessés par la vie, par des échecs ou ignorants ce trésor de la Révélation :
"« Le plus important est la première annonce : “Jésus Christ t’a sauvé !”[...] Il n’y a rien de plus solide, de plus profond, de plus sûr, de plus consistant et de plus sage que cette annonce […] qui doit être au centre de l’activité évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial. »
"
Ce futur synode porte donc un enjeu pastoral et humain de grande ampleur : sur ces sujets si délicats et sensibles, faire de l’Église une communauté confessante et aimante, sauvée et pardonnée, tendre et miséricordieuse, proposant au nom de Dieu et avec son concours, tous les soins urgents et les consolations nécessaires.
Le pape invite pasteurs et fidèles, non pas à se croire meilleurs, encore moins supérieurs, mais à témoigner humblement et avec assurance : « Moi aussi je suis un blessé de l’amour, dans mon couple, dans ma famille, dans ma vie : mais Dieu m’a aimé et pardonné, il m’a guéri et reconstruit ; je suis devenu libre ; je t’invite toi-aussi à être consolé et guéri par Dieu ! »
Que l’Esprit-Saint prépare son Église à relever ces défis missionnaires si chers à François !
Alex et Maud Lauriot-Prévost sont l’auteur de Evangéliser le Mariage et Jésus sauve ton couple ! (Editions Salvator, 2013).
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[1] Pape François, interview à la revue Etudes, 2013.