Article rédigé par Jean-Yves Naudet, le 24 janvier 2014
Entendre un président socialiste français vanter l’économie de l’offre et critiquer la relance par la demande a quelque chose d’agréable et de surréaliste à la fois ; avoir des doutes sur la réalité de cette conversion et rester sceptique relève du bon sens. Non seulement la politique de l’offre se réduit dans le cas d’espèce à peu de choses, mais encore l’accent mis sur les contreparties enlève toute portée à cette prétendue économie de l’offre.
QUELLES CONTREPARTIES ? François Hollande avait été clair dans sa conférence de presse du 15 janvier, et ensuite dans ses vœux aux acteurs économiques et sociaux : le pacte de responsabilité, centré sur la baisse des charges sur les entreprises et donc du coût du travail de 30 milliards, ne se produira qu’en échange de « contreparties ». C’est tellement important que l’on va créer un « observatoire des contreparties » présidé par le Premier ministre (étrange conception de la simplification que de créer des organismes nouveaux, dont un « conseil de simplification » !).
A priori, pour les Français, ces contreparties pourraient sembler de bon sens : créer des emplois, prioritairement pour les jeunes et pour les seniors, des emplois de qualité et moins précaires et des investissements plus nombreux en France, de façon à relocaliser les activités sur le territoire national : de quoi réjouir M. Montebourg. Celui-ci s’est lancé aussitôt dans la surenchère : un million d’emplois avaient laissé entendre certains responsables patronaux ; deux millions répond notre ministre du Redressement productif. Au fond, l’idée du pacte est celle d’un donnant-donnant : on vous « donne » 30 milliards, vous nous donnez en échange ces contreparties.
Ce discours n’a suscité que peu de réactions négatives, les « experts » approuvant cette conversion présidentielle et certains hommes politiques de l’opposition se contentant de crier « au voleur » : il nous a volé notre programme, étrange façon d’essayer de récupérer les électeurs perdus en disant que l’adversaire a « piqué notre programme » ! Rares ont été ceux qui ont été plus loin. Et pourtant…ce donnant/donnant sonne étrangement.
Les chefs d’entreprises sont-ils des fonctionnaires ?
Passons sur le « cadeau » de 30 milliards. Que diriez-vous si on vous prenait de force 1000 euros, puis que, dans un élan de bonté, on vous en rende 100, vous faisant ainsi un « cadeau ». Réduire les charges, c’est tout sauf un cadeau : c’est rendre une petite partie de ce que l’on a prélevé (le terme de prélèvement obligatoire est significatif).
Surtaxer les entreprises pour ensuite les taxer un peu moins est une étrange façon de faire des cadeaux. Quant au montant, une lecture attentive du discours présidentiel montre qu’il ne s’agit pas de 30 milliards, mais de 10, car les 20 milliards de crédit d’impôts déjà accordés il y a un an ne seront pas renouvelés et seront juste remplacés par une partie de la suppression des cotisations familiales : 30 – 20 = 10 !
L’essentiel n’est pas là. Admettons : il y a une promesse de baisse de charges. Le surréaliste est dans l’idée de contrepartie : non seulement un ou deux millions d’emplois, mais pas n’importe lesquels, non précaires, pour les plus jeunes ou les seniors, etc. Quelle conception de l’économie enseigne-t-on à l’ENA ? Celle de la macroéconomie, où l’on calcule des flux globaux, et le principe des vases communicants : tant de charges en moins cela fait telle somme, donc tant d’emplois ? Celle d’une économie où les entreprises n’existent pas de manière autonome, mais sont soumises aux organisations patronales : les énarques voient-ils les chefs d’entreprise comme des fonctionnaires hiérarchiquement soumis au MEDEF ou la CGPME, qui leur intimeraient l’ordre de créer tant d’emplois et tels emplois précis ?
La référence aux partenaires sociaux
Voilà une conception de l’économie proche de l’économie de plan, avec des directeurs d’entreprise qui sont des fonctionnaires. Un entrepreneur n’obéit pas aux ordres de son organisation professionnelle : il sait ce qu’il doit faire compte tenu de ses projets, de ses moyens, de l’état du marché ou de la concurrence, de ses charges, qui sont un élément parmi d’autres, de sa capacité à innover, des risques qu’il veut ou peut prendre, des obstacles bureaucratiques ou réglementaires et de millions d’éléments qui échappent même aux énarques.
Quel chef d’entreprise serait capable de dire : dans trois ans, j’aurai créé tant d’emplois ; et quelle organisation patronale pourrait-elle s’engager sur ce terrain pour des millions d’entreprises, dont chacune a ses spécificités et son autonomie ?
Cette conception est à rapprocher de la référence permanente aux « partenaires sociaux », cœur de la social-démocratie chère au président Hollande. Des syndicats « représentatifs » (le sont-ils ?) prennent des engagements au nom des salariés, et des syndicats patronaux feront de même pour les entreprises.
Mais ils n’ont pas de pouvoir hiérarchique et aucune entreprise ne créera un emploi sur injonction si cela ne correspond pas à ses besoins ou projets ; c’est encore plus vrai quand on dit quelle catégorie de demandeurs d’emplois satisfaire en priorité ou encore combien investir en France !
Les contreparties, c’est la négation de l’économie de l’offre
Tout cela repose sur une conception de la vie économique qui rappelle les systèmes où tout se décidait au sommet. Même si les organisations patronales s’engageaient sur cette voie et signaient de belles promesses, il n’y a aucune chance que les entreprises suivent, sauf si c’était leur choix, compte tenu des circonstances économiques du moment ; mais dans ce cas, même si la signature n’avait pas eu lieu, les emplois auraient été créés : c’est comme le plan comparé par Jacques Rueff à Chantecler, le coq qui croyait que c’était son chant qui faisait se lever le soleil.
Les contreparties de F. Hollande, c’est ou totalement irréaliste, ou Chantecler. On peut souhaiter — c’est le but — des créations d’emplois, mais pas l’imposer dans une économie de marché.
Il y a autre chose. Bien sûr, il y a un problème d’échelle : 30 milliards de charges en moins, c’est loin du big bang, pour un pays qui a 10% du PIB de dépenses publiques en plus que l’Allemagne, soit 200 milliards ; mais plus fondamentalement, cette conception de la vie économique est aux antipodes de l’économie de l’offre.
Car l’économie de l’offre, c’est quoi ?
C’est l’idée non seulement que l’offre va créer sa propre demande, comme le Président l’a rappelé, mais c’est surtout le fait qu’on libère l’offre de deux contraintes majeures : les impôts excessifs et les réglementations paralysantes. C’est rendre aux entreprises la liberté d’entreprendre. C’est le contraire de ce qu’imagine François Hollande : des entreprises obéissantes, une vision globale et macroéconomique.
L’économie de l’offre, c’est l’action de la liberté sur chacun de nous, entrepreneurs, salariés, épargnants,… Il s’agit de stimuler, par la liberté, l’incitation à produire, entreprendre, investir, épargner, travailler, innover, etc. C’est le contraire d’une régulation globale, le contraire d’un vaste accord national entre l’Etat et les partenaires sociaux.
Les contreparties ? C’est la négation de l’économie de l’offre.
Jean-Yves Naudet est professeur des universités, président de l’Association des économistes catholiques.
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