Article rédigé par Catherine Rouvier, le 07 juin 2012
La recomposition de la droite est-elle possible à l’instar de celle réalisée pour la gauche par François Mitterrand en 1972 après 30 ans de division.
La gauche a acquis dans la douleur sa culture démocratique. Pendant ses longues années de division (1947-1972), la gauche a été sanctionnée par l'expérience de l’échec répété aux élections. Les socialistes étaient alors, comme la droite aujourd’hui, divisée entre des centristes se ralliant occasionnellement à la droite et des socialistes purs et durs rêvant d'union avec les communistes.
La recomposition a eu trois causes : la divine surprise de la mise en ballottage de De gaulle en 1965, l'effort consécutif pour s'unir afin de balayer le régime en 1968, le suicide politique du Général en 69.
Elle eut aussi un artisan : Mitterrand. En deux ans, il réussit à fédérer les innombrables groupuscules socialistes et communistes. En 71, au congrès d'Epinay, même les lambertistes ont intégré, en passagers clandestins, le navire amiral, cette vieille SFIO rebaptisée pour l'occasion Parti Socialiste.
Elle se déroula en deux temps. L'unité faite dans la famille socialiste, Mitterrand proposa aux communistes une plate-forme commune en vue des présidentielles de 1974.
Cette union, trop fraîche encore, échoua en 1974, mais frôla la victoire aux législatives de 1974 qu'elle remporta finalement en 1981pour 14 ans, dont 4 de cohabitation (avec une rallonge de cinq ans due au trait de génie de Villepin rappelant à travers les décennies celui de Mac Mahon en 1876, la dissolution de 1997 !)
L’ère Chirac
En 1995, Jacques Chirac touchait pour ce qui le concerne les dividendes de sa trahison de 1976 qui avait en partie coûté à Giscard sa défaite de 1981. Il touchait aussi le fruit de son action la plus stratégique de la première cohabitation : l'abolition du scrutin proportionnel pour les législatives qui avait sifflé la fin de sa représentation parlementaire pour le Front National.
Ce parti était né, symétriquement à l'unification de la gauche, en 1972. Les causes étaient les mêmes : l'affaiblissement, puis le départ de De Gaulle et la révolution avortée de 68.
Le Pen lui aussi avait fédéré les groupuscules allant des débris de l'Action française à ceux des poujadistes en passant par les indépendants les plus à droite, les catholiques choqués par le virage à gauche de l'Eglise de Jean XXIII et des partisans du maintien de l'Algérie dans l’Empire.
Il avait remporté son premier vrai succès aux européennes de 1984.
En 1986, il devenait urgent pour un Chirac visant la présidentielle de stopper son ascension qui eut pu mettre en péril la reconstitution, à travers « son » RPR, d’un parti gaulliste monopolistique. II n'avait pas favorisé par sa désertion de 1976 l'accession de la gauche au pouvoir afin d'être la seule opposition pour se voir dépossédé de ce titre par un avocat gouailleur et talentueux favori des plateaux télé… Pas de concurrence à droite ! Il sait que Le Pen est un tribun, qu'il pourrait entraîner les foules, mais il sait aussi qu'il a un tempérament de ligueur, de bretteur, pas d'homme de réseaux, de parti. Il lui manque, surtout, le réseau de l’ENA, véritable vivier de la classe politique française, dont Mitterrand n'était pas issu mais où il a su puiser la génération aujourd'hui au pouvoir : les Hollande, Royal, Aubry, Fabius…
Jamais, de 1988 année de l'éviction par changement du mode de scrutin des frontistes de la représentation nationale, à aujourd'hui via ses « enfants » Juppé Fillon etc… Chirac n'a relâché la garde.
En 1998, les régions, détenues par la droite (21 sur 22) tombent aux mains des socialistes du fait de l'éviction des présidents de région qui ont simplement « osé » des accords de report de voix entre conseillers RPR et conseillers FN au moment de leur élection.
La présidentielle de 2002 a cependant bien failli marquer la fin de cette hégémonie. Bâillonné, le peuple crie tout de même, et donne à Le Pen presqu'autant de voix qu'à Jacques Chirac. Et plus qu'à Jospin .... Là Chirac ose refuser le débat « républicain » de l'entre-deux tours, arguant d'un « non républicanisme supposé de son adversaire,. Il ose aussi appeler à sa rescousse une gauche qui retrouve ses accents « antifascistes » du beau temps du PCF d'avant 1939 pour appeler à voter pour lui sous couleurs d'arc républicain.
2007-2012
La tactique de Sarkozy sera différente. Inspirée de celle de Pasqua, préposé en son temps au « siphonage » des voix FN, elle va consister à faire une campagne à tirer des larmes du plus endurci des anti-gaullistes sur le thème de la nation, de la sécurité, et du « La France on l'aime ou on la quitte » équivalent sarkozien du « je vous ai compris » gaullien. Elle réussit parfaitement en 2007. Echaudés par l'épisode destructeur de 2002, les électeurs de « Jean Marie » croient pouvoir voter « utile » cette fois.
Ils furent refaits dès la formation d'un gouvernement « d'ouverture » ( à gauche bien sûr), et confirmés dans leur infortune par la lecture de la lettre de Guy Mocquet, sans doute destinée à prouver aux communistes que leur péché de jeunesse - l'alliance Hitler - Staline, cause de l'acte qui causera la perte du jeune Guy Mocquet : la distribution de tracts pacifistes et d'appel à la grève et au sabotage des usines d'armement en plein effort de guerre de notre industrie - était oublié. Le fructueux dialogue gaullo-communiste de la libération comme de la guerre d'Algérie ou d'Indochine pouvait reprendre …
La tradition monopolistique chère à Chirac fut elle aussi respectée. Avalés par l’UMP, monstre neogaulliste naissant, les libéraux attendent encore, 10 ans après leur fusion dans ce « grand tout », de pouvoir en constituer officiellement un des courants. De l'UDF il ne reste plus que le vaillant Bayrou /Astérix, tellement exposé aux foudres de César qu'il a finalement cherché refuge chez son adversaire. Les centristes, derrière un docile poisson pilote, Borloo, ont renoncé à toute indépendance. Les outsiders, Dupont Aignan, Boutin, Philippe de Villiers ont été soit résolument écartés soit réduits à l'impuissance, achetés par ces « hochets de vanité » dont parle Montaigne.
Mais le FN était, décidément, plus coriace. Refus par Marine Le Pen de la « main tendue » par le président Sarkozy au lendemain des élections régionales, moins naïve ou moins conciliante que son père. Dénonciation par elle aussi de la « droitisation » tacticienne de Sarkozy et de l'UMP via sa « droite populaire ». Traquage de la vérité des chiffres sous les effets d'annonce pour la dette ou l'immigration… Le clou de cette « opération vérité » a été, le premier mai, la révélation du cynisme sarkozien qui, tout en droitisant son discours plus loin même que celui du FN, avouait qu'en cas de choix possible entre ce même parti et les socialistes, il s'abstiendrait ou voterait blanc tandis que nombre de ses lieutenants, eux, avouaient carrément voter socialiste… L'exaspération mariniste a rencontré l'exaspération Bayrouiste. Le piège des cocus et des déçus s'est refermé, arrachant a Sarkozy le million et demi de voix qui lui a manqué pour rééditer l'exploit de 2007.
Une nouvelle donne
Le jeu est maintenant ouvert. Ou les candidats UMP acceptent de renoncer à leur monopole à la fois interne (constitution de « courants », motions, concurrence des chefs, primaires ) et externe (accords électoraux possibles avec des entités distinctes mais alliées comme l'ARES des radicaux ou le rassemblement national à venir autour de Marine le Pen ), ou bien le parti, faute d'un chef charismatique à la Sarkozy ou fédérateur à la Chirac-Juppé n'est ni l'un ni l'autre, souvenons-nous des grèves de 1995 et de l'échec de 1997- sera le jouet d'une guerre des présidentiables (Fillon, Coppé) qui l'affaiblira, voire le divisera dix ans durant.
Dans ce contexte , la naissance le 24 Mars dernier du parti de la Souveraineté, de l'Indépendance et de la Liberté ( SIEL), premier parti composé d'anciens adhérents de divers partis de droite gaulliste et non gaulliste, voire de partis de gauche (PS , MDC ) à passer des accords électoraux avec le FN au sein d'un Rassemblement qualifié de « bleu marine » pour les législatives, revêt la signification spéciale d'un ballon d'essai. D'une passerelle possible entre les deux fractions éclatées de la droite.
Si l'essai reste circonscrit dans ce périmètre duel initial, alors il faudra attendre que le Rassemblement s'étoffe et grandisse en attirant de plus en plus d'électeurs pour atteindre la dimension de 3ème force dont rêve Marine le Pen et emporter possiblement la victoire.
S'il est suivi de rapprochements, même timides et isolés, à l'occasion du second tour des législatives, comme après un long divorce, la famille « droite » amorcera une possible « recomposition »…