Article rédigé par Joël Sprung, le 30 avril 2012
Les articles des chrétiens indignés sur l’écologie ont provoqué un certains nombres de réactions positives et négatives. Nous avons le désir en dehors de toute polémique de poursuivre ce débat entre des chrétiens se réclamant de la doctrine sociale de l’Eglise et ayant des références anthropologiques communes mais des approches différentes des questions agricoles et environnementales. C’est pourquoi nous publions leur réponse à certaines des critiques dont ils ont été l’objet.
Il y a quelques temps, nous proposions un article sur l’agroécologie, qui a suscité plusieurs réactions critiques. Ces critiques sont légitimes et nous les entendons. Tout comme nous continuons d’espérer que soit entendu l’avertissement concernant « les menaces engendrées par le manque d’attention – voire même par les abus – vis-à-vis de la terre et des biens naturels »[1] . Soucieux de l’homme, de la terre et des biens naturels, nous le sommes, comme nous l’indiquions déjà dans notre article « L’écologie humaine dans ses implications ultimes : sobriété, solidarité et respect de la vie ». Afin de lever une fois de plus cette « ambiguïté », nous ne sommes ni malthusiens au sens ici où nous considérerions la race humaine comme une menace pour la terre, ni une secte d’adorateurs de la déesse mère Gaïa, valorisant quelques néopaganismes ou spiritualités préchrétiennes. Nous nous gardons de tout syncrétisme, des mouvances steineriennes, des écoles arcanes et autre Lucis Trust, comme de toutes les racines et produits de la théosophie. Fidèles au Christ, vrai Dieu et vrai Homme, fils de ce Dieu qui nous a confié sa Création, nous ne sommes guère plus « prophètes de malheur » que ne l’était le bienheureux Jean-Paul II quand il parlait de « crise écologique » ou que son digne successeur Benoît XVI quand il le reprend dans les mêmes termes.
Le caractère moral de la crise écologique
Pour le premier, « certains éléments de la crise écologique actuelle font apparaître à l'évidence son caractère moral. Il faut y inscrire en premier lieu l'application sans discernement des progrès scientifiques et technologiques. Beaucoup de découvertes récentes ont apporté à l'humanité des bienfaits indiscutables; elles manifestent même la noblesse de la vocation de l'homme à participer de manière responsable à l'action créatrice de Dieu dans le monde. On a cependant constaté que l'application de certaines découvertes dans le cadre industriel et agricole produit, à long terme, des effets négatifs. Cela a mis crûment en relief le fait que pour aucune intervention dans un domaine de l'écosystème on ne peut se dispenser de prendre en considération ses conséquences dans d'autres domaines et, en général, pour le bien-être des générations à venir. La destruction progressive de la couche d'ozone et l'" effet de serre " qu'elle provoque ont atteint désormais des dimensions critiques par suite du développement constant des industries, des grandes concentrations urbaines et de la consommation d'énergie. Les déchets industriels, les gaz produits par la combustion des carburants fossiles, la déforestation incontrôlée, l'usage de certains types de désherbants, de produits réfrigérants et de combustibles de propulsion, tout cela, on le sait, nuit à l'atmosphère et à l'environnement. Il en résulte de multiples altérations météorologiques et atmosphériques dont les effets vont des atteintes à la santé jusqu'à l'immersion possible, dans l'avenir, des terres basses. »[2]
Pour le second, vingt ans plus tard, « Cet appel est encore plus pressant aujourd’hui, face aux manifestations croissantes d’une crise qu’il serait irresponsable de ne pas prendre sérieusement en considération. Comment demeurer indifférents face aux problématiques qui découlent de phénomènes tels que les changements climatiques, la désertification, la dégradation et la perte de productivité de vastes surfaces agricoles, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques, l’appauvrissement de la biodiversité, l’augmentation des phénomènes naturels extrêmes, le déboisement des zones équatoriales et tropicales ? »[3]
Nous avons fait le constat par ailleurs que le génie des chrétiens engagés au service de la cité était souvent des plus remarquables, quand il s’agit par exemple de proposer des solutions systémiques pour lutter contre l’avortement. De même quand il s’agit d’innover, d’inventer des solutions respectueuses de la nature humaine pour lutter contre l’épidémie du Sida, en préférant les modalités d’une authentique écologie humaine au tout-préservatif. De même encore quand il s’agit de promouvoir une paternité responsable et des méthodes novatrices de régulation naturelle des naissances, au contraire des techniques de contraception. Ou encore quand il s’agit de proposer des alternatives audacieuses à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, avec l’utilisation des cellules iPS[4]. Pourquoi les techniques agricoles devraient, moins que les techniques médicales, être remises en question, quand il s’agit de promouvoir la paix et la dignité humaine ? C’est donc dans la tradition d’une inventivité nourrie d’espérance et d’un discernement inspiré, que nous voulons simplement apporter cette pierre au service du développement intégral de l’homme au moment de faire face à la crise écologique. Le sujet dépasse largement les clivages et pourrait même être, comme un surcroît de fécondité, l’occasion d’un rassemblement politique et social des chrétiens autour de ces questions. Un rassemblement de tous les hommes de bonne volonté autour de cette même cause qui touche aujourd’hui l’humanité au plus intime de son activité économique.
Discernement éthique et scientifique
La tentation du messianisme nous menace tous, particulièrement en temps de crise, et cela aussi nous l’entendons. L’invention des semences à haut rendement, les engrais de synthèse ou la gamme des produits phytosanitaires, toutes ces techniques qui ont permis la révolution verte n’ont-elles pas été élevées par beaucoup à cette dignité de messie, de sauveur, comme une idole des temps modernes ? Peut-être même est-ce là ce qui rend l’examen d’alternatives si délicat, et provoque tant de crispations. Nous nous contentons simplement de regarder avec préférence, et de faire découvrir les pratiques susceptibles de servir l’homme plus globalement, et pointons les limites de celles qui sont au bénéfice réducteur de quelques aspects seulement de son développement. C’est au développement intégral de l’homme qu’il nous faut souscrire. C’est pourquoi nous entendons comme légitimes les données et les faits qui tendraient à prouver que les pratiques agricoles industrielles remplissent plus parfaitement la fonction de nourrir tous les hommes. Mais pour ce débat légitime, qui doit conserver sa neutralité scientifique, nous avons indiqué des rapports et résultats de recherches scientifiques récents qui doivent être étudiés méthodiquement, sans préjugés idéologiques.
De même que nous avons le devoir de porter un discernement attentif sur les menaces largement décrite de nos pratiques agricoles, comme la pollution des eaux aux nitrates, très dangereuse pour les nourrissons. Nous devons entendre avec intérêt quand des voix scientifiques nous informent que la non-reproductibilité des semences n’est pas une fatalité[5], et qu’il est possible de délivrer les producteurs de la dépendance des grandes firmes semencières. Il nous faut regarder aussi la perte de la densité nutritionnelle de nos productions à haut rendement, ou quand privilégier la rapidité et la quantité met en péril la santé des consommateurs à long terme[6]. Nous avons cité, parmi les scientifiques qui nous interpellent, Lydia et Claude Bourguignon, microbiologistes des sols, anciens chercheurs à l’INRA muselés quant aux résultats de leurs recherches, qui nous alertent sur la menace pour la vie de nos sols. Nous relevons encore les propos de Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherche à l’INRA, lui aussi muselé, qui évoque à sa manière ce que nous avons décrit comme une culture de mort, jusque dans la guerre du langage où les industriels des biotechnologies (technologies de la vie) consacrent l’essentiel de la recherche et du développement à ce qu’il renomme nécrotechnologies : ces produits en « -cide », insecticides, pesticides, fongicides, etc… Jean-Pierre Berlan rejoint particulièrement la doctrine sociale de l’Eglise quand il évoque la nécessité de remettre de la gratuité dans l’agriculture, en particulier concernant les semences. Et en effet, nous croyons devoir nous détourner avec urgence de cette grave dérive qu’est la brevetabilité des semences, qui nuit gravement au droit à l’alimentation pour tous et à l’autonomie des agriculteurs. Notre responsabilité est grande, à nous chrétiens, de nous investir résolument dans la recherche et le progrès vers un système agroéconomique plus au service d’une véritable écologie humaine.
La question de l’information
Enfin, il est vrai que nous faisons part de notre inquiétude, nous aussi, à propos des dialecticiens qui aiment à couper les micros de ceux qui s’opposent à eux. Nous avons évoqué des chercheurs de l’INRA systématiquement muselés pour leurs discours non conformes. Mais que penser aussi d’un empire agricole comme Sofiprotéol[7] et du fait que l’essentiel de la production de ce gigantesque propriétaire terrien est destiné à l’industrie pétrolière et chimique, en particulier des biocarburants, plutôt que de l’alimentation humaine ? Voilà un exemple de ce dont nous parlions dans notre précédent article, à propos du choix de nourrir le parc automobile plutôt que les populations les plus vulnérables. Pesant quelques 5,6 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2010[8], dont 2,36 milliards pour les seuls Diester industrie et Diester Industrie International, bénéficiant d’un avantage fiscal évalué par la Cour des comptes cette année à 1,8 milliards d’euros aux frais du contribuable français[9], Sofiprotéol est également associée à des sociétés de biotechnologie, de distribution de semences et de pesticides, et exerce une domination tentaculaire sur tout le secteur agricole français, pour finalement faire recette pour plus de la moitié de son chiffre d’affaire dans la vente d’huiles à des industries qui n’ont aucun rapport avec l’alimentation, de près ou de loin. Sofiprotéol pourrait être un exemple isolé, et à sa manière il est unique puisque le président de Sofiprotéol, Xavier Beulin [10], n’est autre que le président de la FNSEA, élu par les syndicats d’agriculteurs. Nous ne cherchons pas là à désigner un bouc émissaire, mais un grave problème structurel. Nous posons simplement cette question parmi d’autres : n’y a-t-il pas là un vrai danger économique et écologique à affronter enfin en vérité, pour nous chrétiens ?
Nous en sommes convaincus, et nous ne sommes pas les seuls. En témoigne la toute récente publication de la conférence des évêques de France, fruit de deux ans de travail: « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » [11]. Pour n’en citer qu’une des conclusions, qui sera notre dernier mot et résume à elle seule l’appel que nous avons voulu lancer à nos frères chrétiens : « Notre humanité a un urgent besoin de gens responsables et solidaires, d’économistes et d’ingénieurs, de juristes et de politiques, d’éducateurs et de paysans, d’artistes, de poètes et de mystiques réconciliés avec leur condition d’enfants de la terre. Elle a besoin de vrais jardiniers. »
Joël Sprung, pour la fraternité des chrétiens indignés
Retrouvez tous les articles de la Fraternité des chrétiens indignés dans notre dossier spécial :
[1] Lettre de Benoit XVI pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix le 1er janvier 2010 : Si tu veux construire la paix, protège la création.
[2] Lettre de Jean-Paul II pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix le 1er janvier 1990 : La paix avec Dieu créateur, la paix avec toute la création
[3] Lettre de Benoit XVI pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix le 1er janvier 2010 : Si tu veux construire la paix, protège la création.
[4] Cellules souches pluripotentes induites, qui sont des cellules souches adultes présentant les mêmes avantages que les cellules embryonnaires sans les problèmes éthiques que pose l’usage de celles-ci.
[5] Cf. Lettre ouverte aux semeurs OGM, de Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherche à l’INRA
[6] Cf. Faudra-t-il bientôt manger cinquante fruits et légumes par jour ?, par Agnès Rousseaux
[7] Leader français dans les huiles de tournesol, de colza ou encore de soja. Egalement « Leader européen de la production de biodiesel », selon ses propres termes, grâce à ses filiales Diester industrie et Diester Industrie International. http://www.sofiproteol.com/groupe/strategies/
[8]http://www.sofiproteol.com/groupe/chiffres-cles/
[9]http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/Rapport_thematique_politique_publique_aide_aux_biocarburants.pdf
[10]Cf la page de Xavier Beulin sur le site Internet de Sofiprotéol : http://www.sofiproteol.com/groupe/dirigeants/xavier-beulin-president-de-sofiproteol/
[11] Collection « Documents d'Église », 80 pages, 3 € En librairie le 20 avril 2012