Article rédigé par Thierry Boutet, le 26 avril 2012
La stratégie de Marine Le Pen est claire. Elle l’a dit : elle souhaite obtenir un groupe à l’Assemblée. Alors que le FN s’est toujours posé en parti hors système, il peut espérer aujourd’hui intégrer le Palais Bourbon et le club des partis parlementaires. La question est pourquoi ?
Au vu du résultat du premier tour des présidentielles, avec plus de 6,4 millions de voix et 17, 9 % des suffrages, Marine Le Pen n’est pas loin de pouvoir espérer placer un certain nombre de députés dans la nouvelle assemblée. En effet, pour franchir le second tour des législatives et se maintenir, il faut franchir la barre des 12, 5 % au premier. Ainsi, partout où le FN a des candidats aux législatives et partout où ils auront plus de 12, 5 % des voix, une triangulaire entre le candidat du FN, celui de la droite et de la gauche deviendront possibles.
En 1993 le FN avait pu se maintenir dans 101 circonscriptions, en 1997 dans 133, en 2002 dans seulement 37 et en 2007 dans une seule, celle de Marine Le Pen. Le scénario de 2012 est bien différent. Selon un comptage du Journal Le Monde [1] le FN pourrait se maintenir dans 355 circonscriptions. Un chiffre sans doute exagéré car la participation risque d’être moindre aux législatives et parce que les candidats du FN aux législatives mobiliseront probablement moins que sa Présidente. Néanmoins, le FN a de la marge : en effet, Marine Le Pen franchit la barre des 20 % dans 43 départements, très largement au-dessus des 12, 5 fatidiques. Le FN dépasse 25 % des suffrages dans 59 circonscriptions et 30 % dans trois (la 3 ème du Vaucluse, et les 11 ème - celle de Marine Le Pen - et 12 ème du Pas-de-Calais).
Faire éclater la droite
En entrant au Palais Bourbon, Marine Le Pen espère faire « éclater la droite » et, dans la recomposition qui s’en suivra, constituer un pôle de droite musclé qui libérera le parti de son père de l’ostracisation dont il a été victime et lui permettra de peser sur les orientations politiques futures.
Avec cet objectif, la victoire de François Hollande paraît à beaucoup de membres du FN préférable à celle de Nicolas Sarkozy. Déjà, certains de ses portes paroles, à commencer par le Vice-président, ont dit qu’ils ne voteraient pas pour le candidat sortant mais « blanc ».
Cette politique du pire a néanmoins plusieurs inconvénients comme le souligne Denis Tillinac dans sa lettre ouverte à Marine Le Pen publiée dans le Figaro du mercredi 25 avril.
Pour la France d’abord. Permettre à la gauche de devenir hégémonique est une faute grave. La gauche est déjà majoritaire au Sénat, dans les médias, dans les régions, les syndicats et dans l’Education nationale. Lui offrir la présidence de la république et une majorité au parlement, c’est lui donner les pleins pouvoirs pendant cinq ans à tous les niveaux de l’Etat ; le temps de modeler la France selon la culture de Martine Aubry, de Jean-Luc Mélenchon, d’ Eva Joly. Une culture aux antipodes de celle du Front National. Celui-ci reproche à ses adversaires de sacrifier la France à leurs intérêts politiciens. Faire semblant de croire que le PS ou la droite c’est bonnet blanc et blanc bonnet pour en tirer un profit politicien ne témoigne pas non plus d’un grand souci de la France.
Respecter ses électeurs
L’électorat du Front National ne veut pas d’une France de gauche. Certes, c’est un électorat majoritairement populaire. Mais l’électorat du FN n’est pas celui de Mélenchon. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon voient d’un bon œil l’ouverture massive des frontières, la fin de toute espèce de différences. L’égalité et la lutte des classes sont leurs maîtres mots. L’ensemble de la gauche, ultra ou non, chante l’Internationale. Les électeurs du FN, à l’inverse, se reconnaissent comme appartenant au peuple de France, avec ses qualités et ses défauts. Ils ne sont pas les derniers à chanter l’hymne national. Qu’ils habitent ou non des beaux quartiers, qu’ils soient riches ou pauvres, Ils se réclament des valeurs sur lesquelles la France s’est construite. Le drapeau des électeurs du FN est tricolore, il n’est ni rouge ni noir ni vert, comme celui des électeurs de François Hollande. Favoriser la victoire de Hollande, c’est pour le FN trahir la France, c’est aussi trahir ses électeurs. Finalement, c’est agir comme ceux que l’on combat et à qui on fait la leçon.
Il est vrai que Marine Le Pen a forgé sa victoire envers et contre tous : contre les médias, devenus certes moins hostiles, contre les élites et une partie de la droite. Le FN est parvenu à reconquérir le vote populaire sur la gauche, à rendre à une majorité de la classe populaire le goût de défendre la France, son identité, son drapeau. Pourquoi remettre cette victoire dans les mains de ses pires ennemis et ne pas chercher à composer et séduire cette droite considérée comme « molle », mais dont le FN a de toute manière besoin si réellement son objectif est le pouvoir.
La seule opposition
Si la stratégie du FN n’est pas la révolution et le chaos, c’est maintenant qu’il doit le prouver. Il peut le démontrer aujourd’hui. Il est en position de force pour obliger la droite à plier et à lui ouvrir les portes du parlement. Il peut certes y parvenir si François Hollande devient Président de la République. Mais croire que sur les décombres de la droite traditionnelle il peut devenir durablement LA force d’opposition est une utopie qui profitera à l’extrême gauche qui, elle, ne risque pas de faire la même erreur. .
Les tendances lourdes de la société française ne changent pas rapidement. La France est de droite et de droite modérée. Elle s’est même droitisée comme le fait observer François d’Orcival : « toutes familles confondues, avec les contradictions et interdits que l’on sait, la droite a progressé de 4 millions de voix en 10 ans –c'est-à-dire de 33% » [2]. Si le FN favorise la victoire de Hollande, la gauche progressera davantage (et même mécaniquement grâce aux vote des étrangers) que si elle est battue le 6 mai. Car la droite parlementaire se recomposera en effet mais sans le FN. Pourquoi le ferait-elle après que celui-ci ait donné la victoire à la gauche ?
Marine Le Pen a déclaré au soir du premier tour : nous sommes la seule opposition. Demain ce ne sera plus le cas si elle dépose sa victoire aux pieds de ses plus farouches ennemis.
Marine Le Pen, les militants du Front National, ses électeurs sont face à leurs responsabilités. Ils peuvent se venger de la droite et de toutes les humiliations qu’elle leur a fait subir ou la convaincre de lui faire une place. Mais ce n’est pas la victoire de François Hollande qui favorisera l’accession du FN aux commandes de l’Etat.
Après avoir convaincu la partie la plus populaire de l’électorat, ce sont les classes moyennes et les élites que le FN doit convaincre. Il doit prouver qu’il peut devenir un parti de gouvernement, un parti responsable. Sa victoire l’engage.
Thierry Boutet
[1] Le Monde du 25 avril 2012
[2] Valeurs Actuelles du 26 avril 2012