Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 13 avril 2012
Nous sommes toujours responsables de notre avenir : que ce soit consciemment et par choix, ou bien passivement et par non-choix. Que les termes du choix nous plaisent ou non ; qu’ils soient clairs ou obscurs, aisés ou incertains.
L’élection présidentielle qui va se jouer dans quelques jours ne fait pas exception à la règle.
Au terme d’une campagne électorale qui n’en fut pas vraiment une – comme d’habitude diront certains – les enjeux de l’élection se discernent cependant assez facilement : enjeux immédiats que sont le traitement de la crise et la restauration des finances publiques, enjeux à long terme de la préservation ou de la subversion des fondements de la société. Aussi, l’abstention qui semble tenter nombre de Français n’est pas un choix responsable.
Une curieuse campagne
Il y a six mois, les jeux étaient faits : François Hollande, bien que sélectionné par défaut, était au faîte de la popularité, et Nicolas Sarkozy au plus bas de l’impopularité ; Marine Le Pen, après avoir réussi la reprise du flambeau paternel en même temps que la dédiabolisation de son parti, élargissait ses thématiques pour affermir son statut de joueur majeur ; les Verts avaient négocié leur alliance avec les socialistes au prix fort et entendaient se rendre indispensables dans une future majorité de gauche ; les autres candidats semblaient condamnés à faire de la figuration.
Par conséquent, point n’était besoin de faire campagne : il suffisait d’attendre que les urnes confirment les sondages, et pour le candidat socialiste de gérer son avance sans faire de vague, avec pour seule ambition de fédérer tous les anti-Sarkozy. De fait, à la différence des scrutins précédents, aucun thème majeur n’émerge et ne clive l’opinion, sur lequel pourrait se jouer l’élection. On parle un peu de tout, et donc de rien ; Nicolas Sarkozy mène son offensive avec un grand professionnalisme, mais il se contente de recycler ses thèmes de 2007 en faisant oublier qu’il est le sortant ; Jean-Luc Mélenchon parvient à donner la pleine mesure de son talent tribunicien en attirant à lui les débris d’une extrême gauche déliquescente en même temps que les « indignés » de tout poil. Cela suffit à l’un et l’autre pour renverser la dynamique à leur profit et pour placer leurs adversaires sur la défensive.
Quant aux grands enjeux de l’élection, au-delà des poncifs habituels, qui peut expliquer aux Français quels sont, et pour quoi, autant que pour qui, ils vont voter ? Pourtant ces enjeux ne sont pas minces !
La crise de la dette publique, escamotée
Lorsque l’agence de notation Standard & Poors a dégradé la note de la dette publique française au mois de janvier, on était en droit de s’attendre à ce que la question de la restauration des finances publiques devînt le centre du débat électoral. Logiquement, les candidats auraient dû s’en emparer et les clivages politiques se cristalliser autour des moyens d’y faire face.
Il n’en fut rien : tout s’est passé comme si la question n’existait pas, ou comme si les Français n’avaient pas à arbitrer entre les solutions possibles. Même François Bayrou n’en a pas vraiment fait son cheval de bataille, seulement un thème parmi d’autres.
Serait-ce parce qu’il y aurait unanimité sur le diagnostic et les remèdes ? Évidemment non. Plus sûrement parce qu’au fond, aussi bien dans la classe politique que chez beaucoup de nos compatriotes, prévaut un déni de réalité très profond : pour les uns, « il n’y a qu’à » faire payer les riches et augmenter le poids des impôts qu’ils auront à acquitter ; pour les autres, « il n’y a qu’à » relancer la croissance par davantage de dépenses. Nos lecteurs reconnaitront là les deux grands discours politiques qu’ils ont entendus depuis trois mois. Certes, à l’inverse des campagnes précédentes, on a davantage parlé de fiscalité ; mais ce fut toujours par le petit bout de la lorgnette, et toujours sur des perspectives d’alourdissement, comme si les impôts obéissaient aussi à la logique du « toujours plus ».
La comparaison avec nos voisins, qu’ils soient espagnols, belges ou italiens, qui ont mis cette question au centre de leurs débats afin de la résoudre en priorité, n’est pas flatteuse pour nous. Sur ce plan, nous ressemblons davantage aux Grecs…
Nous n’y échapperons pourtant pas et le Président qui sera élu le 7 mai, qu’il le veuille ou non, devra se saisir du rééquilibrage des finances publiques en toute priorité : dès la fin du printemps, et plus encore à l’automne, il sera attendu sur son premier budget par nos créanciers, par nos partenaires européens, et par Bruxelles évidemment. Saura-t-il y faire face ? Prendra-t-il les moyens d’un redressement durable ? En aura-t-il la capacité politique, celle de faire boire aux Français une potion amère à laquelle il ne les aura pas préparés, sans donner immédiatement le sentiment de se renier et de trahir ceux qui lui auront fait confiance ?
Sur ce plan, tous les candidats ne sont pas logés à la même enseigne : tous n’ont pas la même expérience ni la même capacité à décider ; tous n’y sont pas également préparés ; tous n’ont pas la même autorité politique, et ne l’auront pas dans six mois, dans leur propre camp, vis-à-vis de leurs alliés et aux yeux des Français… Il faudra s’en souvenir.
La revanche des « idées-refuge »
C’est le second paradoxe de cette campagne : la revanche des « idées-refuge ». Je désigne par là ces idées, quelles qu’elles soient, dont on s’abreuve pour compenser le refus de regarder la réalité en face.
Il n’y a pas d’autre explication, me semble-t-il, à la percée de Jean-Luc Mélenchon. La thématique pseudo-révolutionnaire, les propositions démagogiques non chiffrées, la reprise des slogans du parti communiste, lui permettent de faire croire que l’on peut rêver à bon compte. Seule certitude : quand ses électeurs déchanteront au lendemain de l’élection, quel qu’en soit le résultat, le réveil sera douloureux et le risque de « troisième tour » social n’est pas à prendre à la légère.
La facilité avec laquelle nombre de candidats ont donné leur aval à de multiples réformes « de société » relève du même constat. Je sais que pour beaucoup, la loi et les institutions n’ont plus de valeur exemplaire et doivent simplement suivre les mœurs. Je sais aussi que la tentation est grande de satisfaire toutes sortes de revendications catégorielles ou communautaires, pas seulement pour glaner quelques voix, mais tout simplement parce que le bien commun du pays ne leur est plus perceptible. Et tant pis si ces revendications bouleversent les fondements même de la société : que l’on pense au mariage homosexuel, à l’homoparentalité, à l’euthanasie, à l’école libre et à son financement, à la politique familiale, mais aussi au respect des plus pauvres et des plus fragiles, etc.
Dans ce domaine, nous ne devons pas nous faire d’illusion. Non seulement tous les candidats ne sont pas, non plus, équivalents (il suffit de les écouter et de lire leurs programmes), mais on peut être assuré que les promesses faites seront tenues car elles ne coûtent rien et leur satisfaction servira de compensation lorsque la réalité se vengera ailleurs. Elles serviront de refuge, non plus aux illusions perdues, mais aux désillusions non assumées. Or, contrairement aux erreurs économiques et financières qui sont toujours réparables, lorsque l’ont met à terre les fondements mêmes de la société qui devraient demeurer en-dehors du champ politique, la blessure est beaucoup plus grave, voire mortelle.
Prenons garde à ce que ces « refuges » ne deviennent pas nos tombeaux et à ce que nous n’y apportions notre pierre.
La mauvaise tentation de ne pas choisir
Ne pas voter alors, ou voter « blanc », pour ne pas se « salir les mains » ?
Des sondages qui ont alimenté la campagne jusqu’à l’excès, je retiens une seule chose pour le moment : le risque d’une forte abstention. Sa croissance à toutes les élections, même présidentielles, est continue depuis trente ans et comporte de multiples explications : désaveu des politiques qui n’inspirent plus confiance, lassitude des promesses non tenues, perte du sens du bien commun au profit des intérêts particuliers, etc. Globalement, nous sommes témoins d’un profond désenchantement vis-à-vis de la politique et, plus précisément, des discours idéologiques trop souvent scandés sur le thème inusable du « changement de société », alors que les vrais enjeux du moment, plus prosaïques et plus ingrats, sont rarement évoqués, submergés par les discours artificiels fabriqués par les « communicants ». L’élection présidentielle de 2007 a-t-elle introduit une rupture dans cette tendance, ou fut-elle une simple parenthèse ? Sur le moment, compte tenu des personnalités des principaux protagonistes et du contexte, on a pu penser que le sursaut de participation avait inversé la tendance ; aujourd’hui, je serais davantage enclin à privilégier la simple parenthèse.
Mais peut-on dire « à quoi bon » ?
Qui ne voit que s’abstenir, c’est quand même choisir ; ou plus précisément accepter d’avance de se ranger dans le camp du vainqueur, quel qu’il soit et quoi qu’il advienne. Car il y aura forcément un vainqueur et l’abstentionniste aura simplement abdiqué sa responsabilité de contribuer au bien commun ; en oubliant de surcroît que, présentement, l’élection présidentielle conditionne celle des députés qui suivra immédiatement. Voter « blanc » n’a pas une signification différente : seule diffère la modalité et, sans doute, la motivation de l’électeur ; mais de cette motivation, il ne reste rien qu’un geste inabouti.
Or aucun candidat n’est strictement équivalent à un autre ; fût-ce à un niveau médiocre, il y en a toujours un qui est plus proche que l’autre du bien possible à faire, ou mieux à même de le laisser faire par chacun de nous à notre niveau.
Une vérité devrait pourtant être acquise : en tant que citoyens, nous ne sommes jamais déchargés de notre part de responsabilité dans le vote en faveur d’un candidat qui, en tout état de cause, aura la charge du bien commun de notre pays ; c’est même notre responsabilité la plus élémentaire et la plus largement partagée. Le choix électoral ne s’effectue jamais de façon idéale, mais toujours dans la contingence d’une situation donnée, entre un nombre limité de candidats imparfaits ; il ne relève pas d’un absolu que l’on pourrait croire définitif, mais d’une option concrète qui vaut ici et maintenant, pour les quelques années qui suivent.
Rien de plus, mais rien de moins.
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