Article rédigé par Jean Flouriot, le 03 avril 2012
Existe-t-il une unique solution à un problème qui concerne 12 milliards d’êtres humains (à venir) répartis sur une planète dont l’une des caractéristiques principales est la diversité ?
Nous ne savons pas combien d’êtres humains pourraient nourrir la terre. Nous savons que, aujourd’hui nous sommes 7 milliards et que, en 2050, nous serons 9 à 10 milliards.
Le tableau suivant est extrait d’un rapport du Comité d’éthique et de précaution pour les applications de la recherche agronomique (COMEPRA) publié au mois de janvier dernier à propos des OGM végétaux. Il permet une compréhension rapide et synthétique de la réalité à laquelle nous sommes confrontés.
1. La situation actuelle
a) Sur notre planète, il y a aujourd’hui, 6,3 milliards d’habitants dont près de 5 milliards dans les pays en développement (taux de croissance 1,32%, taux pour les pays en développement : 1,6%).
b) La production agricole mondiale permet d’assurer un apport moyen journalier et par habitant de 2780 calories (3200 pour les pays industrialisés, 2650 pour les pays en développement). Le minimum « vital » est de l’ordre de 2300 calories. Il n’y a donc pas de déficit physique de la production agricole.
c) Si on ne se limite pas aux valeurs moyennes, on doit constater que 800 millions de personnes meurent de faim et qu’il existe dans le monde 2 milliards de sous-nutris. Sur le plan géographique, c’est l’Afrique qui pose le plus de problèmes (il faut lui adjoindre le Bengladesh, la Corée du Nord et certaines nations d’Amérique centrale). Ainsi 50% des habitants de l’Afrique ne bénéficient pas du minimum de 2300 cal. De surcroît, ces personnes démunies ont vu leur sort se dégrader de 1987 à 1997 alors que la situation moyenne mondiale s’est améliorée.
d) S’agissant de l’Afrique, on ne trouve aucune corrélation évidente entre la capacité des pays à nourrir leur population et les facteurs de production que constituent les sols arables et la disponibilité en eau. On peut cependant avancer les points suivants :
– Quelques pays sont particulièrement performants alors qu’ils disposent de peu de sol et de peu d’eau. L’avenir de leur sécurité alimentaire est très lié à la gestion de l’eau ;
– Une dizaine de pays ne réussissent pas à nourrir leur population alors qu’ils le devraient. Ils ont tous été le siège de guerres civiles ou de graves atteintes à la démocratie ;
– Beaucoup de pays font appel aux importations financées par diverses rentes au détriment de leur autonomie alimentaire.
e) A l’évidence toute amélioration des conditions physiques de la production agricole ne peut être que favorable aux pays en développement mais celle-ci dans bien des cas sera marginale par rapport à d’autres causes, économiques, sociales ou politiques. Le progrès technique est nécessaire mais il ne peut servir d’alibi aux pays industrialisés pour fermer les yeux sur d’autres facteurs de sous-développement sur lesquels ils ne sont pas sans influence.
2. Qu’en sera-t-il demain ?
a) La population du monde devrait avoisiner 7,8 milliards en 2025 (6,46 milliards dans les pays en développement) pour plafonner à 9,5 milliards avant la fin du XXIe siècle ;
b) Pour satisfaire au mieux la demande alimentaire, la production agricole doit répondre à deux enjeux : l’accroissement de la population et l’augmentation dans l’alimentation des produits d’origine animale (en fait augmentation dans les pays en développement et diminution dans les pays industrialisés). On est donc amené à situer la croissance annuelle nécessaire de la production végétale entre 2 et 2,5% d’ici à 2025 ;
c) Une telle croissance n’est pas hors de portée. Elle a été observée durant l’essor de l’agriculture européenne. Elle ne peut être obtenue que par la conjugaison de plusieurs facteurs dont :
– la croissance économique mondiale (capacité d’investissement),
– le transfert de technologies Nord-Sud,
– la formation des agriculteurs du Sud,
– l’innovation technologique.
On peut se demander si l’apport d’innovation est vraiment nécessaire et si le transfert de technologies (se fait-il aujourd’hui ?), n’est pas suffisant (nous rejetons bien sûr l’idée, parfois véhiculée de façon assez indigne, que les pays en développement trouveraient dans un retour à l’archaïsme la solution à tous les maux).
En fait, oui car la croissance de l’agriculture va se heurter, comme dans les pays industrialisés au mur des grands équilibres environnementaux de notre planète (ressources en eau, disponibilité des sols, biodiversité, …).
d) Dans ce contexte les biotechnologies peuvent jouer un rôle mais il doit être ciblé et évalué avec réalisme. Un exemple peut éclairer ce propos c’est celui de l’eau. L’eau sera d’ici 2025 l’élément limitant de la production agricole. Il est donc a priori légitime de soutenir des programmes d’amélioration génétique, y compris par génie génétique, qui permettent d’économiser la consommation d’eau en agriculture. Or chacun sait que dans beaucoup de pays, y compris industrialisés, 75% de l’eau est perdue entre le point où elle est recueillie et le point où elle est utilisée. Économiser, par exemple, grâce à des OGM, 20% de la consommation en eau des plantes est quelque chose de bien venu, mais ne représentera guère, globalement, que 5% d’économie. Il est donc prioritaire d’agir par divers moyens (formation, technologies du transport de l’eau) sur les 75% de pertes, or le risque est grand qu’on puisse laisser croire à des décideurs politiques que le choix des biotechnologies est une solution miracle et qu’ainsi soient affectés des moyens financiers hors de proportion avec l’objet poursuivi au détriment de solutions plus efficaces.
Comme le précisent les auteurs de ce tableau, il n’y a pas de « solution miracle » et les techniques de production ne sont pas seules en cause.
Il faut remarquer que la situation du monde n’est pas si dramatique que semblent l’envisager les chrétiens indignés. Benoît XVI est plus optimiste : « Il est vrai que le développement a eu lieu et qu’il continue d’être un facteur positif qui a tiré de la misère des milliards de personnes et que, récemment encore, il a permis à de nombreux pays de devenir des acteurs réels de la politique internationale (Caritas in Veritate § 21) ».
Même en ce qui concerne le problème de la faim, la situation s’est améliorée : en 1950, il y avait environ 3 milliards d’hommes sur la terre dont 1/3 souffraient de la faim, aujourd’hui nous sommes 7 milliards dont 15% souffrent de la faim. Il y a toujours 1 milliard d’affamés mais le nombre des « bien-nourris » a doublé.
Pour ce qui est de la France, il faut se rappeler que l’agriculture du XIXème siècle et celle de la première moitié du XXème, encore toutes proches de ce que préconise l’agroécologie (peu d’engrais, pas de traitements phytosanitaires, faible mécanisation, main d’œuvre très nombreuse, commercialisation en partie limitée au marché local) ne nourrissaient pas une population de 40 millions d’habitants. Aujourd’hui nous sommes plus de 60 millions et notre agriculture exporte…
Pour ce qui est des affamés, rappelons que les plus nombreux (environ 600 millions) sont en Asie, en Chine et en Inde, dans des pays en fort développement économique : le problème n’est-il pas celui de leur organisation sociale ?
En Afrique, la proportion des mal-nourris est plus importante mais, là encore, les insuffisances du développement agricole ne sont-elles pas liées à l’organisation sociale et politique ?
Les scénarios de l’avenir (Agrimonde) établis par l’INRA et le CIRAD (cf mon article 9 milliards d’hommes) nous orientent vers des techniques plus « écologiques » et des genres de vie plus sobres (dans nos pays, pas en Afrique) mais ne sauraient se passer d’investissements, d’innovations techniques, de recherche, de formation et d’organisation des marchés.
Benoît XVI ne nous dit pas autre chose dans Caritas in Veritate :
« L’idée d’un monde sans développement traduit une défiance à l’égard de l’homme et de Dieu. C’est donc une grave erreur que de mépriser les capacités humaines de contrôler les déséquilibres du développement ou même d’ignorer que l’homme est constitutivement tendu vers l’« être davantage ». Absolutiser idéologiquement le progrès technique ou aspirer à l’utopie d’une humanité revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité (§ 14). »
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