Article rédigé par Cléon, le 02 mars 2012
Un ami magistrat nous fait parvenir ce billet d’humeur sur le délabrement de notre système judiciaire. Pour des raisons évidentes cet ami a souhaité conserver l’anonymat.
La situation sur le terrain ? Elle ne fait qu'empirer: la question du manque de moyens n'est pas résolue et est très réelle, s'y ajoute le manque de motivation et de valeurs claires et communes. A quoi servons-nous ? Quel idéal de justice et de bien commun servons-nous ? la société hédoniste de Michel ONFRAY? Le melting pot ? La simple coexistence des individualismes ? Les pouvoirs publics et le Ministère ne nous envoient aucun message sur le fond, y compris sur des problèmes précis qui mettent en jeu les valeurs fondamentales, je pense par exemple aux délégations d’autorité parentale entre couples homosexuels ou à l'adoption par des couples homosexuels ou par un membre d'un tel couple qui se présente comme célibataire.
Certains contentieux, qui révèlent de plus en plus dramatiquement les dérives et désespérances de la population, risquent de déborder. La justice pénale est faiblement efficaces et cela devient alarmant dans certaines villes où la délinquance se durcit et où la drogue se banalise; certaines juridictions sont déjà débordées et ne peuvent qu'espérer "gérer" comme on dit. Beaucoup de mesures du gouvernement n’ont aucune efficacité sur le fonctionnement de la justice et encore moins, en amont, sur les maux de la société (les peines planchers par exemple, l'augmentation de la délinquance sexuelle). Toute une délinquance se durcit et s'organise, réseaux mafieux, bandes, trafic de stupéfiants; on ne pense qu' à mettre des cautères sur des effets en évitant la réflexion sur les causes...la souffrance et la violence des jeunes, les séparations familiales, le surendettement endémique de certains milieux populaires touchés par le chômage, la banalisation de l'esprit de fraude et de la résignation à l'assistanat, les frais et poursuites qui accablent les pauvres, le crédit à la consommation usurier, des pans entiers de populations qui ne connaissent que confusion et chômage...le placement de nombreux enfants en danger devient théorique, des services d'aide sociale à l'enfance mettent un an à placer un enfant...nous sommes en aval, sans prise sur les maux qui nous accablent, avec de moins en moins de moyens et de convictions. Dans de nombreux cas, souvent au détriment des plus modestes, le recours à la justice devient problématique : contraventions réprimées par ordonnances pénales jusqu' à la 5° classe, injonctions de payer en masse, imputations des paiements sur les intérêts, tribunaux d'instance aux délais décourageants, fermeture du tribunal proche, tutelles débordées.
Au-delà du quantitatif, ce qui fait le plus mal, c'est le lien qui s'impose entre des causes structurelles qui deviennent grosses comme des nez au milieu de la figure, qui gonflent nos contentieux, et les souffrances humaines qu'elles induisent et le sentiment de démission de la société sur le fond. Séparations familiales, démission des adultes, absence de discours de la société sur la vérité et le sens de la vie, omniprésence des tentations (alcool, pornographie, drogue, fuite dans le virtuel, bêtise télévisuelle...), faiblesse de l'éducation, mentalité dépressive.
On ne fera rien de sérieux pour la Justice si on ne travaille pas sur les causes des maux...il y a des colères qui montent...le rapport de la Défenseure des enfants de 2007 a été emblématique à cet égard : un terrible constat, soigneusement détaillé, sur la grande souffrance d'environ 15 % des grands ados, mais aucune analyse des causes...on les voit toujours arriver, qui, à la correctionnelle, qui au juge des enfants, qui au JAF, qui au délégué du Procureur...
Bref la justice se sent coincée entre la faiblesse de ses moyens et de ses valeurs et l'ampleur des causes en amont auxquelles on ne s'attaque pas sérieusement. Voici en bref, le vécu d'un magistrat sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, mais cette situation remonte a bien avant lui.
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