Article rédigé par Marc Reynaud, le 23 février 2012
L’évangile et l’Eglise nous demandent de nous engager dans la voie d’un « développement intégral ». Mais ils ne nous demandent pas seulement de changer les structures ; ils nous invitent aussi à changer nos comportements. Après avoir examiné brièvement sur quelles valeurs doivent être fondées notre engagement pour un développement intégral, il nous reste à examiner quelques pistes de changement possibles.
Un chemin de conversion et d’évangélisation
« Tout véritable développement est fondé sur l’Evangile et trouve son aboutissement dans le Christ » (CV).
Pas de véritable développement sans transformation de notre cœur à l’exemple de Jésus et sans annonce de l’Evangile. A elles seules, les forces humaines ne pourront pas réaliser les changements de comportements que la situation mondiale exige aujourd’hui et c’est à chacun de nous d’agir là où il se trouve.
- « La solution ne passe pas seulement par les pouvoirs publics. A chacun de nous de nous convertir. Si rien ne change en nous, l’autre ne trouvera jamais sa place », nous rappelle le Père Devert, Président d’Habitat et Humanisme (Famille Chrétienne. N° 1664. 5 au 11 Décembre 2009)
- « Il nous faut accepter de repenser notre mode vie (les petits pas pour diminuer l’empreinte écologique) et plus profondément nos modes de production et de consommation » ( François Soulage Président du Secours Catholique. Messages. Septembre 2009)
- il nous faut prendre le risque « d’une mort sociale ». (cf l’exemple de Tolekan Ismailova du Kirghistan, présidente de l’association Citoyens contre la corruption, qui se bat pour la liberté d’expression dans son pays et pour les droits de l’homme (Secours Catholique. Messages. Février 2010)
Le respect de la vie
La promotion de la famille
Pour L’Eglise, le respect de la famille, de la vie, selon cette acception, est la seule voie pour qu’un développement soit véritablement durable.
Cette voie est exigeante, ne nous le cachons pas. Elle passe parla croix. Cet idéal est prophétique, il est atteint par des efforts continus dans la vérité et l’amour, par un chemin toujours personnel. A partir de l’enseignement des papes, des pistes concrètes peuvent être évoquées comme autant d’exemples : - l’amour entre un homme et une femme n’est pas que le fruit d’une attirance amoureuse spontanée mais également le résultat d’une construction volontaire renouvelée chaque jour.
- cette construction du couple et sa croissance dans l’amour doit être nourrie par une vie spirituelle adaptée à chacun mais constamment approfondie pour s’identifier de plus en plus à la Sainte Famille et y trouver les forces nécessaires de la persévérance.
- il est important de vivre autant que faire se peut dans un milieu porteur et partageant ces valeurs familiales pour être accompagnés (en bonne compagnie).
- activités, lectures, télévision, médias en général doivent être utilisés en cohérence avec ces objectifs. Ils participent de « l’écosystème » qui nourrit ou affaiblit cet idéal. De même que la nature a besoin de conditions ad hoc pour prospérer, de même le chrétien doit user de la vertu de prudence pour ne pas s’exposer à la tentation de renoncer à cet idéal ou de le réduire a minima.
- cela ne veut pas dire qu’il faille vivre dans un « ghetto chrétien ». Bien au contraire. Cela doit lui permettre d’aller au-devant des autres dans une démarche de « don et de communion » comme nous y invite l’encyclique. Comment espérer donner si l’on n’a rien à donner. Le premier don, c’est de partager sa richesse intérieure.
- l’éducation des enfants est un « art ». Nous faisons au mieux, en conscience. Aujourd’hui,les acteurs sociaux sont confrontés à une jeunesse très fragilisée par une éducation trop libérale, voire permissive N’hésitons pas à être exigeants, tout en étant juste et aimant, avec nos enfants.
- Comment accorder davantage d’attention aux « mères seules » (1 famille sur 5) et à leurs enfants ? Emplois, logements, services familiaux…
Un développement économique équilibré.
« Donner comme objectif prioritaire l’accès au travail »(CV)
L’emploi dans un contexte de mondialisation interpelle nos habitudes de consommation.
Les réponses sont complexes et les dispositions successives prises par les gouvernements n’ont pas apporté de résultats significatifs. Le problème ne serait-il pas, encore une fois, le cumul de nos choix de société en termes macroéconomiques et microéconomiques ? La mondialisation ne relève pas du fatalisme. Elle dépend de la volonté humaine (CV), des comportements de chacun d’entre nous.
Les finalités de la mondialisation ont besoin d’être réorientées vers le développement de tout l’homme et de tous les hommes. La « main invisible » du marché pour l’optimisation de l’allocation des ressources et de la répartition de la valeur ajoutée a fait la preuve, avec la crise actuelle, de ses limites. Ce n’est pas une remise en cause du principe de l’économie de marché (cf Centesimus Annus sur la distinction entre économie libérale et économie de marché). Mais Benoît XVI nous invite à changer de paradigme en re-équilibrant l’économie de marché par l’économie du don.
Le profit est un moyen et non pas une fin. Il doit être ordonné au bien commun (CV). Cela s’applique aux entreprises et à chacun de nous.
La mondialisation et ses conséquences sur l’emploi, ne concernent pas que les chefs d’entreprises. Car, en tant que consommateurs-clients nous sommes des prescripteurs pour les entreprises.
Le graphique ci-dessus montre que les soi-disant exportations chinoises qui détruiraient nos emplois, ne sont au final que les exportations depuis la Chine de nos entreprises produisant en Chine. Ainsi avec notre argent, en achetant des produits « made in china », nous encourageons nos entreprises à se délocaliser pour nous permettre de bénéficier des prix les plus bas. Pour avoir le meilleur « pouvoir d’achat » à court terme, nous acceptons, de fait, de perdre des emplois à moyen terme. Mais nous acceptons aussi, dans le même mouvement que nos revenus servent à financer l’énorme balance commerciale excédentaire de la Chine, qui avec les milliers de milliards de dollars et d’euros qu’elle a accumulés depuis 10 ans, peut devenir propriétaire des plus belles de nos entreprises. -acceptons-nous de ne plus acheter systématiquement le moins cher, pour ne plus favoriser, de fait, des produits étrangers importés ? En achetant un produit étranger nous exportons de la valeur ajoutée, donc des emplois, et nous faisons disparaître des PME françaises. - Favorisons les producteurs locaux : prenons l’expérience de Solid’Arles depuis 3 ans (14 rue Kennedy, quartier Griffeuille, Arles). Ce point de vente solidaire et coopératif de fruits et légumes, situé dans un quartier populaire d’Arles, mets en liaison directe paysans et consommateurs. Déjà 36 producteurs dans un rayon de 50km, jouent le jeu et 200 arlésiens ont adhéré à la démarche dont 20% à tarif réduit. Le message passe par une communication festive avec des ateliers pour enfants, des rencontres, des fêtes de saisons comme le festival de la soupe.
- Pour les produits manufacturés, favorisons ceux fabriqués en France ou en Europe, ou encore le bassin méditerranéen car nous formons une communauté de destin. Par exemple, la grande majorité des jouets (80/90%) viennent de Chine. Les conditions de travail des employés du jouet sont déplorables, non conformes aux réglementations. Bien qu’ayant adhéré au dispositif « CARE Process » (mis en place par la fédération internationale des industries du jouet. ICTI), les deux usines enquêtées (2009) révèlent des pratiques frauduleuses de dissimulation des conditions de travail. Le rapport accuse les multinationales qui imposent des délais restreints et des prix extrêmement bas (article dans Messages de Février 2010. Secours Catholique).
- Soutenons les organisations de consommateurs pour une production éthique. En ayant cette attitude nous contribuerons à modifier les règles de rémunération des acheteurs des grands groupes qui, pour quelques % d’écart de prix, choisissent un fournisseur chinois en concurrence avec un fournisseur français. La différence est tellement faible qu’au final le prix ne changera pas pour le consommateur.
- exigeons par le biais des associations de consommateurs un étiquetage permettant un achat responsable et en particulier indiquant de façon visible l’origine de fabrication réelle. En effet, quand on croit acheter un produit français ou européen, il a bien souvent été fabriqué dans un pays à bas coûts.
- Acceptons de payer le juste prix des produits venant des pays en voie de développement, en respectant les labels du commerce équitable pour que les producteurs locaux reçoivent leur juste part de valeur ajoutée.
- Profitons des avantages fiscaux (50%) pour créer des emplois de services à la personne (ménages, soins, formation, jardinage), quand cela nous est possible financièrement.
L’emploi interpelle aussi nos décisions d’épargne et d’investissement
La question n’est pas d’être riche ou non. La question est dans quelle condition la richesse a été acquise et l’usage qui en est fait : « nous devons rechercher un nouveau style de vie où nos choix […] d’épargne et d’investissement soient fondés […] sur la recherche de la communion avec les autres hommes pour une croissance commune »(CV).
- 50% des propriétaires d’actions considèrent que la finalité de la Bourse est de spéculer pour gagner rapidement de l’argent (Les Echos du 30 04 2010. Sondage INS Sofres. Juin 2009). Les statistiques économiques démontrent, sans appel, que le partage de la plus value est devenu inéquitable et entraîne une concentration du profit sur le capital. En recherchant des rendements toujours plus avantageux, supérieurs à l’inflation et à la croissance du PIB, nous créons des revenus sans contrepartie réels. Nous contribuons à pousser les grands actionnaires des entreprises internationales à réclamer des retours sur capital supérieurs à 10%. Nous contribuons ainsi à instrumentaliser l’entreprise comme productrice de « cash » et non pas comme outil au service du bien commun. Nous sommes des spéculateurs. Pour obtenir la meilleure rentabilité de nos placements nous ne contribuons pas au développement économique et donc à la création d’emplois ; nous alimentons la « grande loterie » qu’est devenue la sphère financière. Nous créons des revenus sans contrepartie réelle, nous disposons d’un profit sans travail. Les placements en bourse, en obligations, en assurance vie, etc, vont essentiellement financer les grands groupes internationaux du CAC 40, l’immobilier des grandes entreprises et les dettes des Etats. Les financements à destination des PME représentent la part congrue. Or, à investissement équivalent, ce sont les PME qui créent le plus d’emplois, ceux qui nous manquent. Cela pose donc la question de la réorientation de notre épargne vers les PME et en particulier, pour aller dans le sens de l’Encyclique Caritas in Veritate, vers les PME insérées dans l’économie de communion. Il appartient aux acteurs chrétiens de l’économie et de la finances de créer et de faire connaître des véhicules financiers, suffisamment fiables pour une « gestion de père de famille », répondant à ces critères.
- Pour ceux qui payent =l’ISF, profiter de la défiscalisation pour financer des PME, et donc créer de l’emploi. L’effet de levier sur l’emploi, pour un même montant donné, est plus efficace en finançant les PME qu’en finançant une association ou une fondation pour un objet caritatif. La justice précède la charité. Il s’agit moins de vouloir supprimer les outils financiers que de remettre en cause leur mauvais ’usage.
Un mot sur l’endettement
La crise actuelle est une crise de l’endettement excessif des ménages, des entreprises, des financiers-spéculateurs, des collectivités locales, des Etats. Nous voulons tout, tout de suite, sans passer par la « case » épargne. Et ce, autant pour un investissement que pour un bien périssable. Nous avons tous voulu depuis 30 ans vivre au-dessus de nos moyens en dépensant plus que nos revenus réels et en anticipant une croissance forte et permanente de nos revenus individuels ou/et collectifs.
Or une croissance continue largement financée par l’endettement est impossible. Il arrive un moment ou cette croissance ralentit ou stagne et il devient alors impossible de rembourser les dettes. C’est le surendettement pour les particuliers, la faillite pour les entreprises, la banqueroute pour les Etats.
En tant que chrétiens nous ne pouvons pas rester indifférents à ces comportements. Ils sont moralement discutables car ils sont fondés sur le « toujours plus d’avoir » et ne favorisent pas le « savoir attendre ». Ils sont des facteurs de pauvreté très graves, car une crise affecte toujours en premier les plus fragiles et amplifie leur détresse. De plus, ils créent des processus de concentration de richesses dont nous avons le spectacle chaque jour.
L’endettement comme substitut au revenu ou comme mode de financement courant est antinomique avec la recherche de la justice. Cela évite de se poser les bonnes questions sur la répartition de la richesse et sur les conséquences pour les générations suivantes.
- à titre personnel essayons de n’emprunter que pour investir. Si nous sommes obligés d’emprunter pour un achat de bien de consommation, faisons-le avec prudence (c’est une des vertus du Saint-Esprit), sans être séduits par les sirènes des professionnels du crédit, pour ne pas risquer de mettre en danger le budget familial pour une envie et non pas une nécessité.faisons pression sur les professionnels du crédit, par l’intermédiaire des associations de consommateurs, pour supprimer ou faire évoluer les publicités alléchantes sur le crédit facile, présenté comme une recette et non comme un financement qu’il faudra rembourser avec un coût élevé.
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arrêtons de faire pression en permanence sur les élus pour obtenir des équipements ou des services supplémentaireset, dans le même temps, exiger d’eux qu’ils n’augmentent pas les impôts. Les élus ont très bien compris qu’il est possible de donner satisfaction à ces deux sollicitations incompatibles en empruntant et donc en renvoyant l’effort de financement réel à plus tard ou sur les générations à venir.
L’effet cumulé de ces comportements à toutes les échelles a conduit, en 30 ans, « à ruiner nos enfants » pour reprendre le titre d’un petit livre de l’économiste Patrick Artus. Il serait contre-exemplaire que les chrétiens ne soient pas les premiers interpellés par cette situation et ne soient pas des contributeurs actifs pour imaginer et mettre en œuvre des réponses concrètes et immédiates qui passent par un renoncement à certaines facilités en commençant par les plus aisés. - le retour à une vie simple et frugale, comme nous y invite la Conférence des Evêques de France, constitue le cœur de la réponse et de la solution.
Chemins à poursuivre…
Respect de la vie, promotion de la famille, recherche d’un développement économique plus équilibré par une attention plus grande aux conséquences de nos choix en termes d’achats, d’épargne et d’endettement, autant de chemins concrets de changement. Il reste à envisager deux autres domaines où nous pouvons aussi changer nos comportements : le logement et le respect de l’environnement.
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