Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin, le 10 février 2012
Troisième volet de notre étude sur le quinquennat écoulé en matière de respect du droit à la vie : l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Contrairement aux questions de bioéthique et d’accompagnement des malades en fin de vie, on peut estimer que le bilan de la majorité est nettement négatif.
Un état des lieux alarmant
Avec 222 800 IVG pratiquées en 2008 et 222 1000 en 2009 selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), on peut dire que l’avortement s’est installé durablement dans le paysage français et que le nombre d’actes pratiqués annuellement plafonne à des niveaux élevés si on le compare à d’autres Etats européens[1]. Le taux d’IVG concerne chez nous 15 femmes âgées de 15 à 49 ans pour mille, très largement au-dessus de l’Allemagne proche de 6 pour mille. En plus de notre voisin outre-Rhin qui a la plus faible fréquence de recours à l’avortement en Europe avec l’Italie, la France surclasse également la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, la Belgique, la Finlande, la Lituanie, l’Espagne, la Slovénie, la République tchèque, le Danemark, la Slovaquie et même le Royaume-Uni. Seuls la Lettonie, la Hongrie, la Bulgarie, la Suède, la Roumanie et l’Estonie font pire. Sans surprise, les taux les plus élevés se retrouvent dans les départements d’outre-mer, d’Ile-de-France et du Sud-Est de la France.
La DRESS fait état de statistiques très élevées chez les 20-29 ans avec respectivement des taux de 22 IVG pour mille dans la tranche des 20-24 ans et 27 pour mille dans celle des 25-29 ans, alors même que selon le dernier baromètre santé 2010 c’est justement cette population qui emploie le plus une méthode contraceptive (plus de 91 %). On a enregistré environ 12 000 IVG annuelles en 2008 et 2009 chez les 15-17 ans, les jeunes filles ayant une propension importante à recourir à l’avortement en cas de « grossesse non désirée » selon le jargon officiel. En comparaison, les jeunes Britanniques du même âge gardent deux fois plus leurs enfants alors même que les aides sociales sont moins développées que chez nous. La DRESS confirme ainsi l’estimation de l’Institut national d’études démographiques (INED) selon laquelle ce ne sont pas moins de 4 Françaises sur 10 qui auront recours à une IVG au moins une fois dans leur vie féconde.
L’autre information nouvelle révélée par la DRESS l’année dernière est l’explosion en France des IVG médicamenteuses, surtout en médecine libérale. Ainsi en 2009 l’IVG médicamenteuse a supplanté pour la première fois la méthode chirurgicale, la DRESS faisant état cette année-là en métropole de 108 247 IVG médicamenteuses contre 101 021 IVG « classiques ». Depuis que cette méthode a été autorisée en cabinet de ville par la loi Aubry du 4 juillet 2001, on note même qu’une IVG médicamenteuse sur 5 y est réalisée, soit 10% du nombre total d’avortements (22 702 sur 222 100).
Une fuite en avant idéologique
Face à des statistiques alarmantes qui cachent une multitude de drames humains, la droite a perdu une précieuse occasion de mener une réflexion novatrice pour permettre aux femmes d’éviter l’IVG. Au contraire, les responsables politiques de l’actuelle majorité n’ont eu de cesse de réquisitionner de nouveaux personnels pour répondre à une demande qui s’emballe.
Deux mesures sont emblématiques de cette fuite en avant idéologique. Le gouvernement a d’abord revalorisé à plusieurs reprises le forfait IVG afin de rendre financièrement attractive cette pratique pour les établissements publics et privés qui ont tendance à la délaisser. Quel économiste de la santé nous dira le coût faramineux de ce choix pour les comptes de l’assurance maladie ? Par ailleurs, avec le manque chronique de médecins effectuant des IVG en raison du départ des générations militantes et de la multiplication des professionnels objecteurs, les députés UMP ont tenté à deux reprises d’autoriser les sages-femmes à pratiquer les IVG médicamenteuses. Heureusement, le Conseil constitutionnel a à chaque fois annulé le dispositif pour vice de forme. Toutefois, on sait bien qu’il ne s’agit que d’une question de temps pour que cette mesure soit de nouveau à l’ordre du jour au Parlement, soit à l’initiative de la droite si elle était en capacité de gouverner en juin prochain, soit à l’initiative de la gauche qui milite également fortement en sa faveur.
D’une manière générale, la droite aura plus que malmené la profession des sages-femmes ces dernières années. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) les a habilitées à prescrire l’ensemble des contraceptifs hormonaux, à poser les implants et insérer les stérilets. La nouvelle loi de bioéthique en a fait les nouveaux prescripteurs des examens de diagnostic prénatal en les obligeant à informer systématiquement leurs patientes de l’existence de ces tests. En voulant les autoriser à pratiquer des IVG, c’est toute une profession qu’on souhaite faire basculer dans le plus grand silence. Depuis l’aube des temps, la vocation des sages-femmes est en effet d’accompagner la grossesse et d’accueillir la vie. C’est d’ailleurs l’avis d’une majorité de Français qui considèrent à 56% (contre 41%) que « ce n’est pas le rôle des sages-femmes de pratiquer l’interruption volontaire de grossesse » (sondage IFOP pour l’ADV, septembre 2008).
Harcèlement contraceptif ?
S’il fallait citer un seul point positif de ce quinquennat, on pourrait avancer que le discours des responsables politiques de droite a sembler évoluer sur la question de l’IVG, dorénavant présentée et reconnue comme un échec, une épreuve voire un drame pour les femmes. La tonalité de ces propos a eu le don d’irriter le Planning familial qui a rappelé en plusieurs occasions que l’IVG n’était pas une tragédie mais un droit des femmes acquis de haute lutte. Moyennant quoi, l’avortement ne devait pas être appréhendé comme une pratique qu’il faudrait réduire comme si c’était un mal mais vu comme une donnée structurelle normale de la vie sexuelle et reproductive des Françaises. Les femmes apprécieront l’humanité et la compassion qui se dégagent de ce genre de proclamation. Toujours est-il que la droite a reconnu pour la première fois, certes timidement, que l’avortement n’était pas un acte aussi anodin qu’on le dit et que ses conséquences sur la vie des femmes ne devaient pas être sous-évaluées.
Pour autant, la réponse à ce constat a une fois de plus complètement manqué le fond du problème. Elle a en effet consisté à promouvoir toujours plus de contraception – alors que la France est l’un des pays du monde où elle est le plus diffusée – et à diversifier au maximum les moyens proposés, certains étant en outre clairement abortifs. Emblématique de cette logique du tout contraceptif a été la bénédiction du ministre de l’Education Luc Chatel à la mise en place du Pass contraception par le Conseil régional d’Ile de France présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon. Destiné aux lycéens, ce dispositif leur permet d’avoir accès gratuitement et à l’insu de leurs parents à des consultations médicales pour obtenir pilule, stérilet, implants et autres patchs pour une durée de 6 mois. Autre exemple qui illustre ce choix unidirectionnel en faveur de la contraception sensée enrayer la progression de l’IVG, la publication en 2010 par le ministère de la santé de plusieurs arrêtés ouvrant la possibilité aux infirmiers de renouveler des prescriptions de pilule datant de moins d’un an et l’autorisation accordée aux pharmaciens de dispenser des contraceptifs oraux lorsque la durée de validité d’une ordonnance médicale a expiré. Il n’est guère étonnant dans ce contexte du « tout pilule » que la députée UMP Bérengère Poletti vice-présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes ait proposé la délivrance gratuite et anonyme des contraceptifs oraux par les professionnels de santé et les pharmaciens, court-circuitant le rôle des parents et banalisant les relations sexuelles précoces.
Autant de mesures consternantes quand on sait que l’utilisation exponentielle des techniques contraceptives débouche sur un recours accru à l’IVG en cas d’échec – l’avortement apparaissant en définitive comme le meilleur moyen de finaliser son « projet contraceptif » – et qu’en outre 72% des Françaises qui subissent une IVG sont sous contraception (IGAS, Rapport 2010).
Une grande cause nationale ?
Dans ces conditions, il semble difficile à première vue d’envisager des perspectives d’amélioration, notamment en cas de victoire de la gauche aux prochaines présidentielle et législative. Pour autant, nous pensons que le respect du droit à la vie de l’enfant à naître doit devenir une grande cause nationale susceptible de rassembler des personnalités diverses comme on l’observe en Italie ou en Espagne.
Pour faire bouger les lignes, ne faudrait-il pas envisager la mise en œuvre d’Etats généraux de l’IVG sur le modèle de ce qui s’est passé en bioéthique et susciter dans le même temps la création d’une mission d’information parlementaire qui serait chargée d’auditionner des experts, juristes, philosophes, médecins, responsables d’associations ayant des points de vue différents sur la situation. Les religions devraient également être entendues pour apporter leur pierre à un débat qui ne peut plus longtemps rester au point mort. L’Eglise de France est particulièrement attendue par ses fidèles sur cette problématique. Revenir sur la loi Veil ne doit plus être un tabou. A ce titre, tout faire pour que les femmes enceintes évitent l’IVG doit devenir une urgence nationale. Le succès grandissant de la Marche annuelle pour la Vie témoigne d’un possible début de remise en cause du conformisme étouffant qui sévit sur ce sujet. Ce n’est pas le moment de baisser les bras.
[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), « Les interruptions volontaires de grossesse en 2008 et 2009 », n. 765, juin 2011.