Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 28 janvier 2012
Depuis plusieurs années, l’Association pour la Fondation de Service politique analyse la situation politique à la lumière des valeurs chrétiennes et le positionnement des catholiques pratiquants.
Au fil des études, plusieurs traits spécifiques se dégagent, qui ne répondent plus aux canons antérieurs et faussent les analyses de ceux qui en sont restés aux schémas anciens. Nous avons été les premiers à avoir attiré l’attention sur cette mutation. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de la confirmer et d’en mesurer l’impact, lequel ne sera pas petit sur le résultat de l’élection présidentielle et donc sur le discernement que nous aurons à opérer.
La sensibilité politique particulière des catholiques pratiquants
Les catholiques pratiquants sont plus sensibles aux sujets sociétaux que la moyenne des français[1]. Nous l’avons mesuré précisément. Je renvoie nos lecteurs aux articles publiés[2] pour m’en tenir ici aux conclusions. Dans l’ordre politique celles-ci sont au nombre de deux.
La sensibilité aux questions sociétales
La première est celle d’une moindre dépendance des catholiques pratiquants aux mots d’ordre des partis et d’une plus grande attention aux questions de société et aux enjeux de fond. En outre, cette sensibilité présente une dispersion entre les différents thèmes beaucoup moins grande que pour l’ensemble de la population : même les moins déterminants conservent une certaine importance.
Plus décisive encore est la structuration des sujets sociétaux auxquels les catholiques pratiquants attachent de l’importance. Bien entendu, viennent en tête, comme pour tous les Français, l’emploi, la sécurité, le pouvoir d’achat et la politique sociale. Mais on aurait tort de s’arrêter là : non seulement parce que leur prévalence est moins accentuée, mais surtout parce qu’ils sont immédiatement suivis des thèmes qui les différencient nettement. Pour s’en tenir à ceux que plus du tiers des catholiques pratiquants qualifient de déterminants, on trouve dans l’ordre :
- La liberté de choisir son école (46%) ;
- L’action de la France en Europe (44%) ;
- La politique familiale (43%) ;
- La fin de vie et l’euthanasie (37%).
Tous ont leur histoire, y compris le dernier qui émerge des débats récents et des prises de position explicites de l’Église auxquelles la révision des lois de bioéthique a donné lieu : les catholiques pratiquants semblent les avoir bien intégrés.
Un corpus politique propre
Est ainsi mis en évidence un corpus politique des catholiques pratiquants. Il n’est cependant pas totalement homogène et comporte deux clivages : un qui était attendu entre droite et gauche, un qui est nouveau autour d’un noyau central à l’intérieur du groupe.
Le clivage traditionnel droite/gauche se manifeste dans le choix des sujets sociétaux mis en avant. Chez les catholiques exprimant une proximité politique avec la gauche, les sujets à teneur économique et sociale prédominent largement et contribuent à rapprocher le groupe de la moyenne nationale. À l’inverse, chez les catholiques exprimant une proximité politique avec la droite, ce sont les sujets à teneur morale ou liés aux libertés qui prédominent et qui contribuent à différencier l’ensemble des catholiques pratiquants du reste de la population. Deux thèmes à fort contenu politique méritent une mention à part parce qu’ils constituent un marqueur : la sécurité et l’immigration. Dans les deux cas, leur prévalence reste nettement en retrait sur celle qu’elle a dans la population française qui affiche les mêmes affinités politiques. Chez les catholiques, la pratique religieuse semble directement corrélée avec une certaine réticence envers les choix partisans extrêmes, tandis que ceux-ci progressent avec l’absence de pratique. On en a régulièrement la démonstration.
L’analyse fait également apparaître un noyau central de pratiquants qui sont « très sensibles » aux sujets sociétaux, c'est-à-dire qui accordent un rôle déterminant non seulement aux thèmes traditionnels, mais aussi à tous les autres, y compris la place de la religion dans la société, le mariage, etc. Ce noyau n’est plus symbolique mais commence à être mesurable et donc significatif. Ainsi se dessine un clivage marqué entre les « sensibles » et les « insensibles ». On peut en déduire que les sujets sociétaux forment un bloc finalement assez compact et homogène, et que, pour ce noyau central de pratiquants, leur caractère critique est susceptible d’induire des comportements politiques différents de ceux de leurs aînés.
C’est ici que se trouve le phénomène le plus nouveau. Nouveau, le serait-il au point de ne pas encore se traduire visiblement dans le positionnement des catholiques pratiquants ? à première vue en effet, ce n’est pas sur ce terrain qu’ils ont bougé vis-à-vis de Nicolas Sarkozy au cours des derniers mois. Paradoxe des comportements politiques qui sont toujours plus complexes qu’on ne le pense ; mais paradoxe superficiel car, au fond, le lien est fort ; à condition de le reconnaître.
Les catholiques pratiquants décrochent de Nicolas Sarkozy
2009, le tournant du quinquennat
Un premier indice de leur glissement politique est apparu l’an dernier.
Depuis de nombreuses années, l’IFOP [3] effectue des enquêtes approfondies sur le « catholicisme français ». L’édition de 2010 [4] a révélé un mouvement politique qui a justifié, de la part de l’institut de sondage, un commentaire particulier : « on assiste depuis l’automne 2009 à un décrochage spécifique du monde catholique » par rapport à Nicolas Sarkozy. La cote nationale de popularité du Président avait baissé fortement et très tôt pour toucher un pallier moyen à 37-38% à la fin de l’été 2009 ; par contre la baisse était restée limitée chez les catholiques pratiquants pour qui cette cote de popularité s’élevait encore à 52%, soit 15 points de plus, au même moment. Six mois plus tard, alors qu’elle était restée stable pour l’ensemble des Français, c’est chez les catholiques pratiquants qu’elle avait brutalement baissé de 5 points pour tomber à 47%. Que s’était-il passé ?
Jusqu’à l’été 2009, le comportement du Président, les épisodes successifs de l’ouverture, les initiatives lancées dans tous les azimuts agaçaient ; mais on lui pardonnait puisqu’il parvenait à faire bouger les choses là où ses prédécesseurs s’enlisaient dans l’immobilisme.
Tout à coup le vase a débordé, et c’est Frédéric Mitterrand qui l’a fait déborder doublement : par l’étalage complaisant et cynique de l’immoralité ; et en mettant en évidence le jeu de dupes qu’était l’ouverture. Si les électeurs de Nicolas Sarkozy avaient acheté la rupture d’avec l’esprit de mai 68 qu’il leur avait vendue pendant sa campagne, ils ne la voyaient pas comme cela.
Parallèlement, plusieurs affaires, secondaires si on les considère isolément, se sont conjuguées pour jouer dans le même sens. Citons pêle-mêle la tentative de désignation de son fils, Jean Sarkozy, à la tête de l’Établissement Public d’Aménagement de la Défense, qui a ouvert le soupçon de népotisme ; la nomination d’Henri Proglio, à la tête d’EDF, un « ami » qui entendait cumuler deux salaires ; le procès Clearstream, avec le retour en boomerang de la relaxe dont Nicolas Sarkozy paye encore le prix ; le déballage auquel cette affaire donne toujours lieu et la réapparition du monde interlope des intermédiaires douteux et des valises d’argent sale ; les affaires mêlées « Bettencourt » et « Woerth » avec ce qu’elles suggèrent (plus qu’elles ne démontrent d’ailleurs) d’imbrication du Président avec les « riches ». Alors que les réformes fiscales du début du quinquennat avaient mobilisé la gauche contre lui, mais pas au-delà, c’est à ce moment-là que le thème de l’« argent » a commencé d’impacter les catholiques pratiquants et qu’ils ont décroché.
Vie personnelle, argent et médias
Ils n’avaient jamais pensé que Nicolas Sarkozy fût un saint. Tout à coup, il s’est révélé vulnérable sur trois terrains qu’il a contribué à lier entre eux : sa vie personnelle, trop mise en scène ; l’argent qui semblait primer sur tout ; et les médias utilisés comme principal instrument d’influence. Leurs interactions réciproques et leurs liens avec l’exercice du gouvernement sont avérés depuis toujours. Mais ils se sont alors mêlés dans l’image de lui-même donnée par le Président. Et les voyant mêlés, même si sa vie personnelle est devenue plus discrète depuis dix-huit mois, il semble qu’une partie des catholiques pratiquants ait alors eu le sentiment qu’il en était devenu prisonnier. Les deux derniers en effet, l’argent et les médias, ont cette faculté d’enserrer leur victime et de la tenir autant qu’elle croit les tenir[5].
Le détachement des catholiques pratiquants s’est opéré en dépit d’un bilan qui, objectivement, ne devait pas les conduire à une telle prise de distance. Pensons à la liberté scolaire qui s’est plutôt accrue avec la réforme des universités, à la promotion d’une « laïcité positive » et à l’affirmation de la place des religions dans la sphère publique, au respect du mariage (malgré la promesse d’un contrat d’union civile qui n’a pas vu le jour) et au refus de l’homoparentalité, au refus de l’euthanasie et à la révision des lois de bioéthique dont le résultat est plutôt positif, à une politique familiale qui, dans ses grandes lignes, a été préservée. Qu’à cela ne tienne : le rejet de la personne de Sarkozy, de ses liens avec le monde de l’argent et d’un cynisme trop affirmé, ont a fini par l’emporter.
Les catholiques pratiquants feront-ils basculer l’élection ?
Un glissement électoral inattendu
La preuve en est donnée par le dernier sondage que l’Association pour la Fondation de Service politique vient de réaliser avec l’IFOP[6] : il met clairement en lumière l’impact électoral que le décrochage des catholiques pratiquants vis-à-vis de Nicolas Sarkozy pourrait avoir[7].
Au premier tour, les catholiques pratiquants placent encore le Président sortant en tête de leurs intentions de vote, à 38%, largement au-dessus de son score national qui est de 24%. Viennent ensuite François Hollande avec 22%, puis, à égalité avec 17%, François Bayrou et Marine Le Pen.
L’ordre d’arrivée n’est pas une surprise : on sait depuis longtemps que les catholiques votent majoritairement à droite, et plus encore les pratiquants. Ces 38% sont en retrait de 4 points sur un sondage identique effectué en février 2007, où Sarkozy atteignait 42%. Les intentions de vote recèlent plusieurs surprises. La déperdition du Président sortant ne se fait pas au profit de Marine Le Pen, contrairement aux idées reçues : elle est en-deçà de sa moyenne nationale qui est à 19%, et stable par rapport aux intentions de vote dont son père bénéficiait en 2007, ce qui montre une fois de plus que sa dynamique est ailleurs. Quant à François Bayrou, il retrouve presque son niveau de février 2007 et son socle électoral traditionnel.
Le plus étonnant est la percée de François Hollande chez les pratiquants où il gagne 6 points par rapport à Ségolène Royal en février 2007 (contre 1 point seulement à l’échelle nationale). Pourtant ni les personnalités ni les thématiques ne sont les mêmes et la candidate de 2007 aurait dû les séduire davantage hier que son ex-compagnon aujourd’hui. Est-ce parce que François Hollande rassure ? Est-ce par « anti-sarkozysme » ? Les deux probablement. Quoi qu’il en soit, le résultat est là et suggère qu’un changement d’équilibre est peut-être en train de s’opérer.
650 000 électeurs pour faire la décision
Le second tour est encore plus frappant. À l’échelle nationale, en l’état actuel de l’opinion, François Hollande l’emporterait avec 57% des voix, Nicolas Sarkozy n’en recueillant que 43%. Même s’ils se prononcent encore très majoritairement pour celui-ci au second tour, les pratiquants font baisser leur pourcentage de 11 points par rapport au même sondage effectué en février 2007 où le futur Président était alors crédité de 72% de leurs intentions de vote. C’est considérable ! C’est sur ce segment, date à date et sondage sur sondage, que la chute de Nicolas Sarkozy est la plus importante. Là se trouve peut-être une des clés de l’élection de 2012.
En effet, on évalue les électeurs qui se disent catholiques pratiquants à 15% de la population, soit, en rapportant ce pourcentage au nombre d’électeurs inscrits, à environ 6,5 millions de personnes. Une précision s’impose ici : les catholiques qui se disent pratiquants équivalent approximativement à ceux qui vont à la messe au moins une fois par mois ; cette catégorie est quatre fois plus large que celle des « messalisants » (ceux qui vont à la messe tous les dimanches), même si elle les englobe[8]. Sur la base de cette estimation, 11 points de moins pour Sarkozy et donc 11 points de plus pour Hollande chez les catholiques pratiquants représentent plus de 650 000 voix qui, pour l’heure, basculeraient de la droite vers la gauche au second tour de l’élection présidentielle.
Or on sait qu’au second tour, l’écart final entre les deux candidats sera plus serré que ne le disent les sondages actuels. Autrement dit, ces 650 000 électeurs, qui représentent à peu près 2% du total, peuvent faire basculer un scrutin qui se jouerait à 52/48...
Suite de l'analyse de François de Lacoste Lareymondie : Les contingences de l'élection
[1] Sondage AFSP/La Croix effectué par l‘IFOP en juin 2011
[2] Cf. mon commentaire de ce sondage publié sur DECRYPTAGE le 14 septembre 2011.
[3] Cf. Le commentaire que j’avais publié sur DECRYPTAGE en janvier 2010 à propos de l’édition de 2009, à propos de certains aspects techniques : « le catholicisme en France en 2009 : une étude insatisfaisante ».
[4] IFOP – Analyse : le catholicisme français en 2010.
[5] Cf. mon article « le tournant du quinquennat » publié sur DECRYPTAGE.
[6] IFOP – Les intentions de vote des catholiques pour l’élection présidentielle de 2012 ; janvier 2012.
[7] Cf. mon analyse de ce sondage : « Les catholiques pratiquants feront-ils basculer l’élection ? »
[8] Pour des raisons statistiques, lorsqu’ils traitent des catholiques, les instituts de sondage utilisent des critères qui leur sont propres et déroutent les non-initiés. Non seulement la notion de « pratiquant » est assez éloignée de ce qu’on entend normalement, mais le recours à la notion de « catholique non pratiquant », c'est-à-dire les baptisés qui ne pratiquent pas du tout ou très occasionnellement, pose un sérieux problème. L’addition des deux est censée donner la catégorie « catholique » qui engloberait environ 60% de la population. Cet amalgame n’est pas conforme à la réalité et conduit à des conclusions de plus en plus erronées (ou manipulatrices) sur le plan sociologique et politique En effet, toutes les enquêtes montrent qu’il existe un clivage marqué et croissant entre pratiquants et non-pratiquants, les premiers tendant à se dissocier de la moyenne, et les seconds (par définition puisqu’ils sont majoritaires) à s’en rapprocher. S’il ne m’appartient pas d’en juger dans le domaine religieux, en revanche dans les autres domaines, la notion de « catholique » englobant pratiquants et non pratiquants n’a plus de sens. Nous en avons fait plusieurs fois la démonstration.