Dans Le Monde du 28 février, Henri Tincq publie des extraits de la lettre d'Édith Stein adressée au pape Pie XI en avril 1933 dénonçant la persécution antisémite en Allemagne. L'existence de cette lettre conservée dans les archives Pie XI (1922-1939), désormais accessibles aux chercheurs, était bien connue des historiens.

Son contenu est maintenant révélé. Édith Stein y dénonce " l'idolâtrie de la race ", menace mortelle pour le judaïsme et l'Église. Pour H. Tincq, " ce document prouve, s'il en était besoin (sic), combien l'Église, au plus haut niveau, était informée des exactions nazies – et s'est tue ".

Affirmer comme le fait ce journaliste que l'Église s'est rendue complice de l'antisémitisme à prétention raciste voire du racisme tout court, par son silence, est une violation pure et simple de la vérité qui déshonore sa profession et le journal qu'il représente. Les documents pontificaux n'ont cessé de dénoncer cette idolâtrie de la race bien avant l'encyclique Mit Brennender Sorge sur le nazisme parue en 1937 et lue dans toutes les églises d'Allemagne au nez et à la barbe de la Gestapo.

Non seulement Tincq se tait sur cette encyclique dont le retentissement a été considérable comme en témoigne toute la presse de l'époque, mais il se tait, cette fois sans doute par ignorance, sur tous les textes, avertissements pontificaux qui le précèdent.

Rappelons les principaux textes qui sont pour la plupart disponibles dans la Documentation catholique des années trente et que je cite pour plus de facilité à partir d'un recueil des textes pontificaux paru chez Plon en 1939 (1).

Dès février 1934, la congrégation du Saint-Office met Le Mythe du XXe siècle de Rosenberg à l'Index des textes prohibés. Dans le premier numéro de Sept du 3 mars 1934, l'article de Georges Goyau reproduit le contenu de la condamnation romaine : " Le Saint-Office, en condamnant le livre de Rosenberg, souligne que cette religion formule le principe que voici : "Une foi mythique nouvelle surgit aujourd'hui : la foi mythique du sang, foi en vertu de laquelle on croit que la nature divine de l'homme peut être défendue par le sang ; foi appuyée par une science très claire par laquelle il est établi que le sang septentrional représente le mystère qui se substitue aux sacrements antiques et les dépasse" (2). "

Le 24 février 1934, Pie XI qui entreprend les procès en canonisation de nombreux Allemands pour des raisons qui sont liées au contexte tragique des persécutions en Allemagne déclare au sujet du racisme hitlérien que " nous vivons des temps où la fierté raciale est exagérée jusqu'à un orgueil des pensées , des doctrines et des pratiques qui n'est ni chrétien ni humain ".

Le 1er mars 1934, Pie XI parle de nouveau du racisme. À l'orgueil d'un racisme il oppose l'humilité du capucin canonisé Conrad de Parzham. Pâques 1934, le Saint-Père dénonce dans une lettre écrite de sa main à la jeunesse catholique d'Allemagne " cette nouvelle conception de vie s'éloignant du Christ et ramenant au paganisme ".

Le 6 mai 1935 il dit à un groupe de pèlerins allemands qu'on veut au nom d'un soi-disant " christianisme positif " déchristianiser l'Allemagne et le ramener à un paganisme barbare. En même temps, le cardinal Pacelli (futur Pie XII), secrétaire d'État du pape Pie XI, s'adresse au cardinal Schulte, archevêque de Cologne, à l'occasion de son jubilé et parle de l'" orgueil luciférien ", des " faux prophètes ". Il ajoute en faisant référence implicitement à Hitler assimilé à Julien l'Apostat : " "Galiléen, tu as vaincu", cette parole d'un néo-païen sera un jour aussi répétée par ses successeurs du temps présent. Que les fidèles catholiques de l'archidiocèse et de toute l'Allemagne y pensent quand les cloches de la cathédrale de Cologne portent la bonne nouvelle du jubilé épiscopal dans les vallées et montagnes de la Rhénanie. "

En août 1935, Pie XI reçoit à Castel Gandolfo un groupe de jeunes pèlerins venus du diocèse de Trèves. Il leur souhaite la bienvenue : " Le nom d'Allemagne évoque en Nous beaucoup de choses, mais aussi des choses bien tristes. Il est triste en effet d'avoir à penser que certains hommes ont déchaîné une lutte contre Dieu et contre Jésus-Christ, une lutte pour un nouveau paganisme. "

À deux reprises, en mai et septembre 1936, Pie XI met en parallèle le bolchevisme russe et le nazisme allemand. Dans son message de Noël radiodiffusé, Pie XI fait le procès du national socialisme. " Parmi ceux toutefois qui affirment être les défenseurs de l'ordre contre les formes subversives de la civilisation, contre les débordements du communisme, nous en voyons qui se laissent guider par des idées fausses et funestes " cherchant à " diminuer ou à éteindre dans le cœur des hommes et spécialement dans la jeunesse la foi au Christ et à la révélation divine. "

Enfin, le 14 mars 1937, cinq jours avant l'encyclique Divini Redemptoris sur le communisme est publiée l'encyclique sur le nazisme. Il faut rappeler que cette encyclique est lue en chaire le dimanche des Rameaux 21 mars 1937 dans les église catholiques d'Allemagne, que beaucoup d'imprimeurs et de diffuseurs du texte pontifical ont payé de leur vie la réalisation à haut risque de cette riposte. Elle est donc révélée au public après l'encyclique sur le communisme pour tenter d'endormir la vigilance du régime hitlérien. Que dit l'encyclique ? " Quiconque prend la race, le peuple, ou l'État, ou la forme de l'État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine [...] quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l'ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d'une conception de la vie répondant à cette foi (3). "

À la suite de l'extension à l'Italie des législations racistes, le pape adresse à tous les instituts catholiques du monde entier un Syllabus condamnant les erreurs racistes comprenant huit propositions condamnées. La huitième vise même clairement la doctrine fasciste de l'État et réitère ainsi les avertissements contenus dans Non abbiamo bisogno de 1931.

Le 28 juillet 1938, Pie XI fait un discours au collège urbain de la Propagande dans lequel il dénonce les méfaits du racisme et du nationalisme : " Catholique veut dire universel, non pas raciste, non pas nationaliste dans le sens séparatiste des deux adjectifs...On oublie que le genre humain, tout le genre humain est une seule, grande et universelle race humaine. "

Le 6 septembre 1938, au moment où Rosenberg prononce à Nuremberg son discours contre le pape et sa " doctrine sénile ", Pie XI reçoit des pèlerins de la radio catholique belge auxquels il déclare : " L'antisémitisme n'est pas compatible avec la pensée et la réalité sublimes qui sont exprimées dans ce texte. C'est un mouvement antipathique, un mouvement auquel nous ne pouvons, nous chrétiens, avoir aucune part [...]. Non, il n'est pas possible aux chrétiens de participer à l'antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre, de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes. Mais l'antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des sémites. "

Faut-il rappeler tous les témoignages de reconnaissance de la communauté juive à Pie XI pour toutes ces déclarations ?

Enfin, dans son allocution de Noël, le 24 décembre 1938, Pie XI dénonce encore une fois la croix gammée du racisme, " une croix hostile à la croix du Christ " (Una croce nemica della Croce di Cristo).

Notes :

(1) André saint-Denis, Pie XI contre les idoles: Bolchevisme, racisme, étatisme, Plon 1939 collection "In hoc signo".

(2) Georges Goyau, " Rosenberg et le Christianisme ", Sept, 3 mars 1934, p. 16.

(3) Pie XI, Nazisme et Communisme, introduction de François Rouleau et Michel Fourcade, présentation de Michel Sales, 1991, Desclée, p. 72.

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