Mgr Dominique Lebrun : jusqu'où l'État peut-il intervenir dans les affaires de l'Église ?

Source [L'Homme Nouveau] Les fidèles catholiques devront-ils vraiment attendre le 2 juin pour accéder aux sacrements ? N'est-il pas possible de mettre en place des mesures sanitaires ? L'État est-il légitime lorsqu'il interdit l'exercice du culte ? De nombreuses questions se posent en cette période exceptionnelle mais les mesures adoptées par le gouvernement à cause du Coronavirus mettent en lumière des questions plus profondes, justement sur l'articulation des autorités politique et religieuse comme par exemple la difficulté que pose l'obligation du mariage civil avant le mariage religieux. 

 

Entretien avec Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen

Propos recueillis par Odon de Cacqueray

 

Lors d’échanges préalables aux annonces du Premier Ministre, Mgr Éric de Moulins-Beaufort a transmis les propositions de la Conférence des évêques de France. Avez-vous l’impression qu’elles ont été prises en compte ? 

Au moment où le Premier Ministre a parlé, il n’a pas évoqué ces échanges préalables. D’où une grande surprise de notre côté, plutôt désagréable, qui explique que plusieurs d’entre nous ont réagi avec une certaine vivacité. La liberté de culte ne peut pas être considérée comme la dernière roue du carrosse de la nation française. Depuis, nous avons eu un nouveau contact et l’assurance que le dialogue repartirait à partir des propositions faites par la Conférence des évêques de France pour que nous puissions assister à la messe dans le respect de la santé publique. Notre travail conjoint avec le gouvernement avait été réalisé à son initiative. Il nous avait été demandé comment nous envisagions la reprise du culte en fonction des orientations de l’époque : le taux de remplissage des églises et l’empêchement de passer d’une région à une autre. 

 

Nous avons appris qu’il n’y aurait sûrement pas de reprise du culte avant le 2 juin. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de recours juridique pour faire respecter cette liberté de culte ? 

Si vous m’interrogez en ce qui concerne la Conférence des évêques, je ne sais pas à ce stade. Pour ce qui est de ma responsabilité, au niveau de mon diocèse, il me semble que nous sommes dans une situation exceptionnelle : le dialogue n’est pas rompu. J’ai d’ailleurs une bonne communication avec le préfet de ma région. Il faut donc continuer le dialogue sans exclure les moyens juridiques. Un sujet important est levé, sur lequel il faudra se pencher : comment se combine cette liberté de culte avec des mesures sanitaires dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles peuvent et doivent être prises, en s’imposant à tous. Il y a là une question difficile et délicate : jusqu’où peut entrer l’autorité étatique dans le déroulement même de nos célébrations ? L’État est légitime pour annoncer : « il y a un danger sanitaire à se réunir ou à se déplacer à plus de 100 mètres de son domicile, etc. » Ces règles s’imposent. Mais la façon dont ces mesures se répercutent sur le déroulement liturgique et rituel nous incombe. Je pense que lors des dernières discussions, il y avait un accord de principe sur ces aspects. Les mesures annoncées concernent la limitation des déplacements inter-régionaux et des contacts, le respect des distances physiques et des gestes barrières. D’une manière assez légitime, notre culte étant public, l’État nous demande comment nous allons faire respecter ces mesures. Nous devons continuer à dialoguer pour trouver un accord. 

 

Le Président de la République a organisé une réunion avec les représentants des grandes religions. Lors de cette réunion, les responsables de la Franc-maçonnerie ont également été conviés. Que vous inspire ce mélange des genres ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de protestations de la part des évêques ? 

J’ai trois niveaux de réactions face à cette information. Au premier niveau, je suis un peu mal à l’aise. Ensuite, je me dis « tant mieux ! », cette réunion va permettre de nous connaître et de dialoguer. Jésus n’a jamais refusé d’être dans aucun lieu, y compris ceux qui lui étaient hostiles. Enfin, je prends acte de ce que la plus haute autorité de l’État, pour réfléchir aux décisions un peu philosophiques (puisqu’il ne s’agissait pas de discuter de la reprise du culte), pense qu’il est bon de dialoguer avec des opinions contraires. C’est cette autorité qui prend la responsabilité de cette invitation et j’apprécie que nous répondions à ce genre d’invitations. Notre présence n’exclut pas que nous demandions des rencontres plus spécifiques aux cultes, des réunions avec les représentants chrétiens, voire un dialogue plus précis avec l’Église catholique elle-même. Actuellement, l’ensemble de ces niveaux fonctionne. 

 

Avec l’absence de célébrations de mariages civils en bien des endroits, les mariages religieux ne sont plus possibles. Mgr Di Falco a parlé d’une occasion de remettre en cause l’obligation du mariage civil avant le mariage religieux. Que pensez-vous de sa proposition ? 

Il ne vous a pas échappé que la loi elle-même a déjà remis en cause l’obligation du mariage civil avant le mariage religieux. L’article 433-21 du Code pénal dit bien : « Tout ministre d'un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l'acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil sera puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. » Il est donc possible de célébrer exceptionnellement un mariage religieux sans que le mariage civil ait été célébré préalablement. Quand la question m’est posée, j’insiste donc sur le fait qu’il ne s’agit pas de changer la loi ou le principe. 

Le point qui pose problème dans notre pays, c’est l’absence de reconnaissance des effets civils du mariage religieux. Il y a là une question qu’il faut sans doute poser au long cours. Mais il serait malvenu de prétexter d’une situation d’exception pour ne plus reconnaître le mariage civil à notre tour. Il me semble d’ailleurs que les autorités de l’État ont annoncé qu’en cas d’urgence il pourrait y avoir des mariages civils (militaires partant en opérations extérieures par exemple). J’ai dit aux prêtres qui m’ont posé la question : vous appliquez votre bon sens : s’il y a une situation d’exception, eh bien ! vous savez que la loi tolère la célébration du mariage religieux. Peut-être qu’un certain nombre de prêtres ou de fidèles ignore cette possibilité. Il faut être attentif à cette possibilité, pour le bien des fidèles. L’objectif n’étant pas de passer outre le mariage civil. 

 

Néanmoins, le simple fait que le mariage civil doive habituellement être célébré avant le mariage religieux pose un problème en soi. Après le confinement, ne faudra-t-il pas saisir l’occasion de remettre en cause cette obligation ? 

Comme je le disais plus haut, je ne crois pas que ce soit une bonne « occasion ». Le problème n’est pas lié à l’antériorité du mariage civil, mais bien aux effets civils du mariage religieux. C’est la question du double mariage à laquelle il faut s’intéresser. Je ne suis pas intéressé par le fait d’avoir un mariage religieux avant le mariage civil. 

 

Hiérarchiquement, il est tout de même dérangeant que le droit civil prenne le pas sur le droit de l’Église. 

Ce n’est pas le sujet. Dans le mariage, il y a des effets civils qui doivent être pris en compte par le mariage religieux. Notre mariage religieux est incomplet parce qu’il ne produit pas d’effets civils, parce que l’État lui refuse cette reconnaissance des effets civils. Il n’y a pas deux mariages pour un chrétien. Il ne s’agit pas de mettre en concurrence deux mariages. Il s’agit simplement de s’intéresser à la façon dont se fait un mariage. En Italie, en Espagne, il n’y a pas deux mariages, il y a un mariage, religieux ou civil, qui produit à chaque fois des effets civils. 

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