La tactique des médias en face du pape François

Nous vivons un changement d’époque : la forme culturelle dominante et structurante, c’est-à-dire le libéralisme, est finissante. Pour repousser la chute finale, la Matrice médiatique (Matrix) tente de contenir les assauts de ses pires adversaires. Parmi eux, le pape François. Pas dupe. Mais combien tombent dans le piège ?

Dégradé en culture libertaire, en finance libertaire et en technocratie ploutocratique, le libéralisme ne fonctionne plus. Il est en contradiction avec la nature, la dignité humaine, la liberté des peuples et toute culture civilisée. Son effondrement n’est qu’une question de temps – et pas d’énormément de temps. Le pape François est un grand facteur d’accélération du processus, comme Jean-Paul II a catalysé pacifiquement la révolution en Pologne, qui a conduit à l’écroulement du communisme.

Pour repousser les échéances, les libertaires s’activent. C’est notamment le cas des grands médias, dont les journalistes, à leur corps défendant peut-être, ou eux-mêmes intoxiqués par leur propre idéologie, jouent le rôle d’une cléricature obscurantiste au service de privilégiés affolés. Que faire, notamment, face au pape François ? Ils déploient, relativement à lui, plusieurs tactiques simultanées, dont deux sont bien connues, et une troisième plus originale.

La tactique habituelle n° 1 des médias ne fonctionne pas avec François

En effet, traditionnellement, l’idéologie travaille à couper le pape du peuple. C’est à ça que sert la démagogie. On excite contre lui les passions libérales, ou égalitaires : il est une Autorité, la justification des pouvoirs, le protecteur des riches, le grand-gâcheur de tous les plaisirs, l’ennemi de la raison émancipatrice, etc. Mais contre le despotisme papal et l’institution se dresse le peuple chrétien, avec ses courageux prophètes, épris de justice et de liberté, désireux de faire la Révolution dans l’Église et d’y établir la Démocratie.

Que faire, quand cela ne fonctionne plus ? Quand le pape est aussi désarmant à cet égard que Jésus lui-même ? Que faire, quand le peuple l’aime, non à cause de sa seule personnalité, mais parce que les temps ont changé ?

Quand le peuple sort peu à peu de « la Matrice »

Chacun connaît sans doute le film Matrix. C’est le mythe extraordinaire d’une humanité qui, au lieu de vivre éveillée dans le réel, vit enfermée dans un rêve permanent, une erreur, une illusion que fabrique pour tous et constamment une puissance appelée « la Matrice ». Et la Matrice traque tous ceux qui se libèrent de l’illusion et retrouvent la réalité.

La Matrice, ce sont les médias et l’idéologie. Le peuple, aujourd’hui, sort de la Matrice. Tout le monde le voit et en parle : les libertaires sont en faillite, leur crédit tombe à zéro, les démagogues ont déçu, leur rhétorique n’est plus pour nous que du vide : la ploutocratie technocratique a remplacé la Démocratie ; la République n’est plus que la propriété privée et le masque d’une technocratie autoritaire mais fragile.

Le peuple a de nouveau envie d’aimer le pape, tout simplement parce qu’il est authentique, lui, et n’a pas changé, n’a pas été démagogue. Après tout, il est leur histoire, leur tradition, une référence, une autorité qui rappelle les pouvoirs à plus de justice, signe de Dieu à nouveau vivant et visible, défenseur de la dignité humaine, principe de mesure, de raison, de nature, de liberté, chaleur dans un monde froid, phare dans une nuit sans étoile.

Les médias voudraient bien faire rentrer le peuple dans la Matrice. Ils continuent à fabriquer un monde artificiel et imaginaire, conforme à l’idéologie, et à essayer de le projeter avec force, pour que le peuple ne perçoive plus le monde réel.

Un exemple à inclure quelque part dans un manuel de désinformation

Les médias visent, par exemple, à remplacer, dans l’esprit des gens, le synode 2014 réel par un synode 2014 rêvé, comme on avait tenté de remplacer Vatican II-histoire par Vatican II-roman. Il faut que les gens agissent et réagissent en fonction de ces perceptions illusoires, de stéréotypes introjectés, de mots stimuli, et non plus à partir de perceptions vraies et de la conscience du bien.

Ainsi, la Matrice espère toujours produire l’illusion qu’une révolution est en marche, celle qui détruira toute autorité du Bien et ne laissera plus debout que la liberté d’injustice et de transgression – en fait, le pouvoir absolu des libertaires.

Mais le peuple comprend qu’on cherche à le manipuler, à le dominer, à le dépouiller, et il ne se laisse plus jouer comme avant par la Matrice. Les médias n’ont pas plus de crédit désormais que les politiciens ou les caïmans.

La Matrice reste importante. Elle fournit des éléments de langage pour voiler la réalité du jour. Qui chante la chanson a plus de chances de monter en grade. Mais tout le monde sait que la Matrice ment. Et tout le monde sait dans un certain milieu que tout le monde ment, que tout le monde sait que tout le monde ment, et que tout le monde sait que tout le monde sait que tout le monde ment. Le « politiquement correct » libéral-libertaire en est au point où se trouvait le communisme sous Brejnev.

La Matrice, au sujet de l’Église, persiste à essayer d’imposer l’image d’une révolution orange en cours dans l’Église, et de faire vivre les gens dans la fiction d’une unanimité révolutionnaire. On espère que les catholiques-moutons réels iront se jeter dans l’eau, comme les moutons virtuels de la fiction projetée par la Matrice.

Cette tactique pouvait obtenir un certain succès voici cinquante ans, quand la séduction des idéologies était à son comble, quand le libéralisme marchait du feu de Dieu, quand le mythe du progrès restait encore séduisant, et – surtout – quand Internet n’existait pas encore. Elle n’a plus aujourd’hui aucune chance de réussir. La ficelle est trop grosse, l’expérience est trop dure, et on a Internet. L’évidente manipulation devient contre-productive. Alors, que faire ?

Changement de tactique

Puisqu’on ne peut plus couper le pape du peuple, et que s’est formée sous Jean-Paul II une nouvelle élite catholique adaptée au monde moderne, il faut au moins éviter le rapprochement de ce peuple et de cette élite. Autrement, tout serait perdu pour les libertaires. Or, voilà que le pape travaille précisément à opérer cette liaison. C’est donc là ce qu’il faut absolument éviter. Comment y parvenir ?

Le peuple est perdu sans retour, pense la Matrice. Elle ne peut plus tabler que sur l’élite. Encore faut-il la séparer du pape. Mais comment ? En la faisant douter du pape.

Comme l’élite sait que les médias sont la Matrice, la Matrice doit prendre sur elle, et dire du pape le plus de bien qu’elle pourra. Ainsi l’élite catholique, par habitude, tendra à se méfier de ce pape dont les médias diront du bien.

Il s’agira de s’armer d’une paire de ciseaux et de sortir de leur contexte des bouts de phrases du pape, pour fabriquer chaque jour une rumeur alarmante, ou interpréter de façon catastrophiste n’importe quel fait anodin.

Le but est de créer à tout prix une crise de confiance entre l’élite catholique et le pape.

Bien que François, soit probablement plus traditionnel que ses derniers prédécesseurs, rien n’y fait. Les médias ont choisi de célébrer (ou de déplorer…) l’arrivée au pouvoir à Rome des plus farouches idéologues du temps du concile. Le pape va changer le dogme, la morale et la discipline, les institutions de l’Église et la papauté elle-même. En plus, il est quasiment communiste, ou socialiste, déteste la droite, ouvre les portes à l’immigration de la façon la plus irresponsable. Et vous, les bons catholiques, il vous insulte en vous traitant de pharisiens.

La Matrice espère parvenir à ses fins, escomptant qu’il lui serait possible de jouer sur des timidités, des rigidités mentales, des égoïsmes de classes, dans l’élite catholique. Elle espère ainsi faire basculer les plus pratiquants dans une sorte d’anti-papisme de droite, et faire du pape ainsi isolé l’otage des idéologues.

La brillante stratégie évangélisatrice de François peut réussir, à condition d’entraîner une élite de familles catholiques très pratiquantes, d’où provient (surtout en Occident) l’immense majorité des jeunes prêtres, religieux, religieuses.

Un piège pour tous

Et voilà qui explique toute la stratégie des médias libertaires. Faut-il ajouter que ça ne marche pas si mal et que des journalistes catholiques tombent dans ce piège ?

Il est évident que si l’élite catholique se ralliait dans le monde entier à la justice sociale avec autant d’enthousiasme qu’elle adopte l’idéal de la famille chrétienne, et si, dans le monde entier, les dirigeants progressistes de bonne volonté, qui se tiennent encore à distance de l’Église, se mettaient à apprécier cette démarche des catholiques, ils reconsidéraient en partie leur position par rapport à l’Église et à la famille. L’idéologie dominante serait alors terminée, avec l’ensemble des injustices qu’elle soutient.

La tactique de la Matrice a pourtant des chances limitées de succès, une fois passé un moment de flottement. De plus en plus, l’intuition du pape sera comprise. Pour diverses raisons, qui tiennent sans doute à la personnalité du pape François, sans doute aussi au discrédit frappant à égalité politiciens, médias et crocodiles financiers, mais beaucoup plus encore, à mon avis, au basculement d’époque que nous vivons, et que rien ne peut plus arrêter.

 

Henri Hude

 

 

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