Jean-Paul Bled : « Les réflexes du gaullisme pourraient ressurgir »

Jean Paul Bled enseigne l’histoire contemporaine à l’université Paris-IV. Spécialiste du gaullisme, il siège au conseil scientifique de la Fondation Charles-de-Gaulle. L’historien, qui vient de faire paraître un Dictionnaire historique de l’Europe, croit toujours dans l’actualité du gaullisme, porteur d’une « espérance » fondée sur la « capacité de sursaut » du peuple français.

Laurent Ottavi. —Vous écriviez dans Une Étrange Défaite - Le piège de Maastricht, que « le gaullisme se définit d’abord comme une doctrine et une morale de la Nation ». Quand la nation est de moins en moins souveraine et le bien commun une notion dépassée avec la multiplication des lois catégorielles, le gaullisme a-t-il encore un avenir ?

Jean-Paul Bled. — Le gaullisme comme force politique n’existe plus. Le RPR avait déjà pris ses distances avec lui, mais le gardait comme référence. En revanche, la création de l’UMP a été le coup de massue.

À l’occasion d’une grave crise nationale, les réflexes du gaullisme pourraient ressurgir. Lui-même était né de la plus grave crise de notre histoire moderne. Les Français sont toujours attachés à leur pays et aspirent à dépasser les clivages partisans. Les principes posés par le général ont toute leur actualité.

De Gaulle lui-même craignait que la civilisation ne puisse être sauvée. La famille est atomisée, l’école de la République fonctionne mal… N’est-il pas trop tard ?

« Vaste question » aurait pu dire le général ! C’est un scénario possible. Le pire. Si on s’inscrit dans cet héritage spirituel, intellectuel, on ne peut pas épouser ce point de vue. Il existe toujours une part d’espoir. C’est la valeur espérance chère à Péguy. Le gaullisme pense qu’il y a toujours dans ce peuple une capacité de sursaut.

De Gaulle était un pessimiste, mais c’était un pessimiste actif. Il prend acte du constat avec la conviction qu’il existe des moyens pour redresser la barre. Sinon, il ne serait pas aller à Londres, au-devant des pires difficultés. Il s’inscrit dans une longue durée, passée et à venir. Ce qui donne à la réflexion des perspectives différentes. C’est le propre des grands hommes d’être des visionnaires. Aux hommes politiques d’aujourd’hui il manque très clairement cette capacité à se projeter dans le futur. Ils sont englués dans le présent.

Des hommes politiques continuent malgré tout à se dire gaullistes, mais jamais bonapartistes, alors qu’il semble que ces deux mouvements sont assez similaires. Le gaullisme a-t-il pris la succession du bonapartisme, ou les deux courants gardent-ils des spécificités ?

Des trois courants qu’analysait René Rémond, le bonapartisme est le plus proche du gaullisme. Ils ont en commun l’appel au peuple, et l’unité nationale au-dessus des partis qui en découle, la défense de la grandeur nationale. Ce ne sont pas des conservatismes. Ils sont de droite sans en être. Bonaparte a tenté de réconcilier l’héritage de la monarchie et la Révolution. De Gaulle a associé la tradition républicaine et la tradition monarchique.

De Gaulle avait pourtant une réticence par rapport à cette tradition bonapartiste qu’il n’épousait pas pleinement. Le général a choisi la démocratie contrairement au bonapartisme. C’était un choix profond et sincère de De Gaulle. S’il n’a peut-être pas été démocrate avant 1940, il l’est devenu, dans une guerre qui était aussi idéologique.

Est-ce Jacques Chirac qui, en s’engageant en faveur du « oui » au traité de Maastricht, a porté un coup fatal à l’héritage gaulliste?

Il faut reconnaître à Jacques Chirac sa décision face à la grave crise irakienne. Avec son ministre des Affaires étrangères, se réclamant lui aussi du gaullisme, il a tranché justement. Il a pu être tenté de réaménager les liens avec l’OTAN mais il ne l’a jamais fait.

En ce qui concerne le traité de Maastricht, si Chirac s’était engagé contre, le "non" l’aurait emporté. De même qu’on peut penser qu’à l’occasion du référendum de 1969, l’appel à voter "non" de Valéry Giscard d’Estaing a fait pencher la balance. Il a manqué l’engagement de la machine du RPR pour que le « non » l’emporte.

C’est avec Sarkozy, et la réintégration de l’OTAN sous son mandat, que l’on est sorti définitivement du gaullisme.

À l’inverse, Philippe Séguin n’a pas réussi à imposer ses idées. Jean-Pierre Chevènement non plus. Comment se fait-il que des hommes politiques qui, manifestement, portaient ou portent encore des idées majoritaires dans le pays, n’accèdent pas aux plus hautes fonctions ?

On pourrait ajouter Villepin également. Ces trois hommes ont ou avaient des capacités d’hommes d’État. Il leur manquait une force politique relayée partout sur le territoire, ainsi que son corollaire : le relais médiatique.

 

Dict-Bled

Jean-Paul Bled (dir)
Dictionnaire historique de l’Europe
 PUF, juin 2013, 32 €

 

 

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