Bruno Retailleau : "Vivement dimanche !"

Dans une tribune publiée par Valeurs actuelles, le sénateur Bruno Retailleau défend le repos dominical, non comme « un “acquis social” mais une idée de la société. Car le dimanche est avant tout un moment pour les autres ».

[Valeurs actuelles, 11 octobre 2013] — La France ne travaille pas assez. C’est une réalité régulièrement confirmée par les chiffres, notamment ceux de l’OCDE, qui pèse sur la compétitivité de nos entreprises et par conséquent sur l’emploi et le pouvoir d’achat des Français.

La droite doit avoir le courage de dénoncer ce que la gauche fait semblant d’ignorer depuis trop longtemps. Avec fermeté bien sûr, mais sans se tromper de combat. Car le problème de la France n’est pas le dimanche chômé mais le chômage tous les autres jours de la semaine ! Le chômage créé par l’ineptie des 35 heures, la manie du prélèvement obligatoire ou l’addiction à la dépense publique.

Le repos dominical n’y est pour rien. Le fragiliser encore davantage n’y changera rien, comme le montre l’exemple de l’Allemagne, où l’ouverture des magasins le dimanche n’a entraîné aucune hausse significative de la consommation. Aucune étude n’est d’ailleurs parvenue à chiffrer l’impact d’une telle mesure sur l’économie, notamment en France, où la loi autorise déjà de nombreuses dérogations.

Aucune certitude quantitative, donc, mais en revanche une certitude qualitative : la marchandisation du dimanche affaiblira encore davantage la valeur travail en provoquant, au nom d’une fausse conception de la liberté, une injustice économique et un recul social.

Une injustice économique, car nous prenons le risque de fragiliser encore davantage les moins protégés. Les salariés les plus vulnérables, tout d’abord, car comment refuser de travailler le dimanche lorsque l’on vit sous le couperet d’une rupture de contrat ? Mais également les femmes avec enfants, moins disponibles le week-end que les autres. Sans oublier les centaines de milliers de très petites entreprises qui n’ont ni les moyens ni les effectifs pour ouvrir le dimanche, contrairement aux grands groupes, et ce d’autant plus que le travail dominical coûte plus cher à l’employeur. Voulons-nous une économie à deux vitesses avec deux catégories de salariés et deux catégories d’entreprises ? Ce n’est pas en divisant les Français sur le travail que la France renouera avec la valeur travail.

Une injustice économique, mais aussi un recul social. Défendre le repos dominical, ce n’est pas défendre un “acquis social”, mais une certaine idée de la société. Car le dimanche n’est pas seulement un moment pour soi ; c’est avant tout un moment pour les autres. Les autres, c’est-à-dire la famille bien sûr, mais aussi le quartier ou la commune, avec les multiples activités associatives, qui, comme l’écrivait Tocqueville, enrichissent la vie démocratique à travers cette « action réciproque des hommes les uns sur les autres ».

Nous sommes là au coeur de la citoyenneté. C’est-à-dire de ce qui différencie une communauté politique d’une simple juxtaposition de producteurs et de consommateurs. L’ambition de la France ne peut pas être de devenir un État marchand. Car si le marché propose un modèle économique, il ne peut certainement pas être un modèle de société. Pire, il peut être un contre-modèle s’il envahit tout et si tout lui est subordonné. C’est ce que la crise financière nous a démontré : la performance contre la permanence, la rentabilité à court terme contre la responsabilité à long terme.

Pour que le XXIe siècle ne soit pas simplement celui de l’“Homo economicus” mais de l’homme dans toutes ses dimensions, nous avons besoin de disposer d’un espace où la gratuité puisse s’organiser. La gratuité comme point de départ de la vie sociale, à travers la relation familiale. Mais également comme point de repère, à travers la citoyenneté, c’est-à-dire l’engagement désintéressé pour la cité. La gratuité n’est pas un luxe individuel, mais une nécessité collective.

Voilà pourquoi le travail du dimanche n’est pas seulement une question de facilité commerciale. C’est d’abord, et surtout, une question de civilisation. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, notre génération a une responsabilité immense : celle qui consiste, comme le disait Camus, à « empêcher que le monde ne se défasse ».

Bruno Retailleau
sénateur de la Vendée, délégué général adjoint au projet de l’UMP

 

 

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