Source [genethique.org] Le projet de loi de bioéthique vient d’être voté en troisième lecture par les députés (cf. Projet de loi bioéthique adopté en 3ème lecture à l’Assemblée nationale : « la belle affaire, c’est une supercherie »). Patrick Hetzel, député Les Républicains du Bas-Rhin, qui a porté la voix de l’opposition pendant les débats, répond aux questions de Gènéthique.
Gènéthique : Pour cette 3ème lecture du projet de loi bioéthique, il y avait peu de monde en commission comme dans l’hémicycle. Comment expliquez-vous l’absence de beaucoup ?
Patrick Hetzel : Il y avait effectivement peu de monde à la fois en commission et dans l’hémicycle (cf. Projet de loi bioéthique : le marathon continue avec de moins en moins de députés ; Projet de loi bioéthique : la commission campe sur sa version de 2ème lecture). Je pense que cela peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie et, tout comme nos concitoyens, beaucoup de députés travaillent actuellement sur d’autres sujets qui sont prioritaires et bien plus urgents que ceux traités dans le projet de loi bioéthique : limiter le chômage, reprise de l’activité économique, etc. Ensuite, le calendrier retenu par la majorité pour ce débat est hallucinant dans la mesure où, programmer un débat concernant les questions de bioéthique alors que nous sommes dans la dernière ligne droite d’élections départementales et régionales, n’est pas très sain car beaucoup de collègues sont évidemment aussi engagés en circonscription par ces élections. De plus, la méthode retenue, celle du temps législatif programmé dans l’hémicycle qui limite extrêmement le temps de parole n’incite pas les collègues à être présents puisqu’ils savent à l’avance qu’ils ne pourront que peu ou pas du tout s’exprimer. Et enfin, au moment où nous débattions de la loi dans l’hémicycle, la majorité avait pris soin de programmer en même temps en commission la deuxième lecture du projet de loi « Respect des principes de la République » tout en sachant pertinemment que beaucoup de collègues, notamment du groupe Les Républicains, étaient impliqués sur les deux textes.
G : Comment avez-vous vécu cette 3ème lecture ?
PH : Soyons clair, je l’ai très mal vécue. Evidemment pas à l’aune de ma petite personne mais à l’aune de la manière dont cela s’est passé. En effet, tout cela fut un véritable simulacre de débat. Pour moi, un débat ne se mesure pas uniquement à l’aune d’un volume d’heures mais aussi et surtout à l’aune de la qualité d’écoute des parlementaires entre eux et du gouvernement. Là, on s’est moqué de nous et donc aussi des Français. En effet, systématiquement le gouvernement et sa majorité ont tout fait pour que la contribution du Sénat soit rejetée, inexistante, balayée par dogmatisme. Prenez le texte proposé en première lecture à l’Assemblée et regardez comment il sort aujourd’hui en troisième lecture de l’Assemblée et vous pourrez constater que le gouvernement a tout fait pour que rien ne change. Que l’on en reste au texte initial. Je suis très accusateur sur la question car lorsque l’on aborde des questions bioéthiques, on ne procède pas de la sorte. C’est assez monstrueux. Cela révèle pour moi le fait que cette majorité à l’Assemblée n’a rien compris de ce que devait être l’esprit même des lois de bioéthique. Ils portent la lourde responsabilité d’aller vers une loi qui ne crée plus le consensus nécessaire à son acceptabilité collective. Je suis triste pour mon pays car c’est une rupture majeure par rapport aux lois de bioéthique précédentes et une sorte de course folle vers le scientisme et la légalisation lente mais certaine de tout ce que permet la technologie. Où est le respect du vivant dans tout cela ? Où est la mise en application du principe de précaution ? On se le demande vraiment.
G : Vous êtes l’un des députés de l’opposition parmi les plus impliqués : comment rester mobilisé pour aller jusqu’au bout alors que les dés semblent jetés (cf. Projet de loi bioéthique : l’Assemblée aura le dernier mot le 29 juin) ?
PH : Ma vision est très simple : il faut toujours se battre jusqu’au bout pour ce que l’on pense être juste et conforme à ses valeurs et ses convictions. C’est l’histoire qui jugera. En montrant qu’il y a dissensus, en pointant toujours et encore les franchissements de lignes rouges éthiques, les incohérences de ce texte qui sur des questions sociétales prétend supprimer des inégalités mais qui va en créer de nouvelles, on témoigne de ce que ce texte détruit des garde-fous éthiques. Ne pas se battre jusqu’au bout sous prétexte que tout serait joué, reviendrait à se rendre coupable d’abandon de ses convictions. Et l’espoir est toujours permis. Je me souviens il y a 3 ans, lors des débats sur la réforme constitutionnelle qui devait passer « sans problème » et où finalement est arrivé un grain de sable appelé Alexandre Benalla. C’est tout le train de la réforme constitutionnelle qui s’en est trouvé stoppé net. On ne peut jamais exclure l’arrivée du grain de sable qui stoppe net un processus.
G : Plus généralement, que pensez-vous du débat parlementaire qui dure depuis un an et demi et qui touche à sa fin?
PH : Ce débat n’est pas véritablement un débat. Tout est à sens unique. C’est l’essence même de ce qui a constitué par le passé les lois de bioéthique à la française qui est désormais atteint. C’est un changement complet de paradigme. En effet, le rôle d’une loi de bioéthique est de protéger la société. De poser des interdits, des limites, au nom de certains principes éthiques fondamentaux. Et en somme, il s’agit de trouver un équilibre entre des chercheurs qui souhaitent évidemment toujours chercher sans entraves et la loi qui leur fixe un cadre. Le leitmotiv des rapporteurs pour justifier les changements législatifs était simple : « faites confiance aux chercheurs ». Ce qu’ils oublient c’est que la confiance n’interdit pas le contrôle. Concernant par exemple le changement de régime juridique pour les recherches à partir de cellules souches embryonnaires humaines, passer d’un régime d’autorisation à un régime de simple déclaration est très problématique et c’est du moins-disant éthique évident. D’une part, parce que, de facto, cela contribuera à banaliser le recours à ces recherches, et on peut s’interroger ici si cela est simplement souhaitable. D’autre part, on cherche à faire oublier une chose fondamentale, c’est que pour réaliser des travaux sur des cellules souches embryonnaires humaines, il faut procéder préalablement à la destruction d’un embryon. Tout est évidemment fait pour « chosifier » les « matériaux » utilisés par les chercheurs. Le débat a montré que le scientisme gagnait du terrain et que le fameux adage « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » est davantage considéré comme un adage historiquement daté dont la majorité aimerait se défaire par un glissement progressif vers la banalisation des recherches sur le vivant en général et sur l’humain en particulier. Deux choses sont très frappantes pour moi. Une partie des députés qui par ailleurs sont les premiers défenseurs du principe de précaution lorsqu’il s’agit du végétal semblent beaucoup moins prompts à brandir le même principe lorsqu’il s’agit des sciences du vivant. De même, je fus frappé par le fait que lorsque nous défendions des amendements où nous demandions qu’avant de faire des recherches sur l’embryon humain, il serait pertinent de s’assurer que l’on ne peut pas faire ces mêmes recherches sur l’animal, d’aucuns semblaient accorder plus d’attention à l’animal qu’à l’homme. De toute évidence, en creux, cela interroge. L’humain est-il encore pleinement au centre des lois de bioéthique ?
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