Source [Causeur] Derrière la confrontation visible entre Biden et Trump se profile le choc entre deux formes de conflit démocratique, la guerre politique et la guerre culturelle. Que Trump gagne les élections ou non, cette dernière est peut-être déjà perdue pour la droite américaine.
C’est à peine exagérer que de parler d’une sécession aux Etats-Unis. D’abord, parce que les Américains n’ont jamais été aussi divisés : 71 % d’entre eux considèrent le conflit entre les Démocrates et les Républicains comme étant gravissime. Ensuite et surtout parce que les Américains ne votent plus pour une réconciliation, ni même pour une victoire personnelle, mais pour la défaite du camp ennemi – si ce n’est son anéantissement.
Les establishments qui servaient de traits d’union entre les partis ont été dynamités et les extrêmes grondent toujours plus : 15 % des Républicains et 20 % des Démocrates estiment que l’Amérique se porterait mieux si leurs rivaux « mourraient ». La dernière chose que les Américains semblent encore partager est la crainte du pire : alors qu’en 2000 près de 50 % des Américains pensaient que les élections présidentielles n’avaient pas vraiment d’importance, ils sont aujourd’hui 87 % à dire qu’elles seront un point de bascule irrémédiable. Mais comment l’Amérique a-t-elle fini aussi divisée ? Ou plutôt : quand l’a-t-elle enfin découvert ?
Car, et contrairement à ce qui est souvent dit, cette division est bien antérieure à Trump – qui en est moins la cause que la manifestation. Avant d’être politique, loin d’être seulement raciale ou économique, cette division est le produit d’une guerre culturelle. Née aux États-Unis, la guerre culturelle est le concept selon lequel progressisme et conservatisme seraient dans une lutte à mort pour le contrôle de la culture – médias, Hollywood ou encore réseaux sociaux –, avec, in fine, la domination de la société américaine à la clé. Mais si l’Amérique est déchirée depuis au moins les années 90 par la guerre culturelle, jusqu’en 2016 cette guerre n’était pas politique – au sens institutionnel.
Un statu quo existait même : si les progressistes dominaient toujours plus la culture – notamment les médias et les universités -, la politique laissait encore place à une alternance entre Républicains et Démocrates. La défaite culturelle du conservatisme était contrebalancée par un système politique qui lui était constitutionnellement favorable : par exemple, le Sénat où la Californie, bastion démocrate de 40 millions de citoyens, est représentée par le même nombre de sénateurs que le Wyoming, fief républicain de seulement 500 000 habitants.
Une hégémonie culturelle ne saurait se convertir trop vite en hégémonie politique.
Mais en 2016 cet équilibre partiel rompt et, pour la première fois, la guerre culturelle fait son entrée en politique. Deux offensives, l’une démocrate, l’autre républicaine, sont en cause. D’abord, Hilary Clinton qui considéra les acquis culturels comme des acquis politiques et fonda tout son programme dessus. À la différence de Barack Obama qui s’était toujours voulu rassembleur et centriste, Clinton fit le choix inverse : plutôt que comme politicienne expérimentée, elle se présenta comme femme et une grande partie de son programme se résuma à des identity politics – théorie politique selon laquelle seules comptent les minorités. Ensuite, la personnalité éruptive de Trump et son radicalisme politique – en comparaison des autres républicains – qui furent considérés par le camp progressiste comme d’assez légitimes raisons à une intrusion de la culture dans le champ politique. À cet égard les médias en furent le meilleur exemple : ils avouèrent soudainement et quasi unanimement leur engagement idéologique et du coup renoncèrent publiquement à toute neutralité.
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