Après plus d’un an d’interruption, les discussions doivent reprendre, en principe les 13 et 14 Avril, entre l'Iran et les puissances du groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne). L’administration Obama cherche à enclencher un processus « durable » avec les Iraniens qui s'échelonnerait jusqu’après l'élection présidentielle américaine. Pour le président américain, cette séquence diplomatique vise à retenir le plus longtemps possible une intervention militaire israélienne afin de laisser les nouvelles sanctions pétrolières faire leur effet et éviter un conflit aux conséquences imprévisibles, en pleine campagne pour sa réélection. La question de l'enrichissement de l'uranium reste une pierre d’achoppement avec Téhéran et un potentiel sujet de division entre les six grandes puissances.
La question nucléaire
Signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), l'Iran violerait ses obligations internationales en interdisant à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’accès à certains éléments de son programme nucléaire, commencé clandestinement au milieu des années 90, et révélé en 2002 par les Moudjahidin du peuple, un groupe d’opposants en exil. L’AIEA juge qu’une partie du programme ne s’explique que par la volonté de Téhéran d’être en mesure de fabriquer une arme. Pour les puissances occidentales, une République islamique dotée de la bombe déstabiliserait la région en l’entraînant dans une course à l’arme nucléaire, de l'Arabie saoudite à la Turquie, en passant par l'Egypte. De leur côté, les dirigeants israéliens mettent en avant la « menace existentielle » que représenterait le programme nucléaire iranien pour l’Etat d’Israël et rappellent que les dirigeants de la République islamique ont souhaité voir Israël « rayé de la carte » du Proche-Orient. Israël, puissance nucléaire « sauvage » puisque non-membre du TNP, a cependant largement de quoi dissuader l'Iran avec un arsenal estimé entre 75 et 200 têtes nucléaires.
Sanctions et guerre de l’ombre
Les sanctions visent à ralentir le programme nucléaire et à obliger les dirigeants iraniens à revoir leur calcul en rendant exorbitant le coût politique et économique de leur stratégie nucléaire. Le Conseil de sécurité a interdit des ventes d’armes et d’équipements pouvant contribuer au programme nucléaire et balistique iranien. Des sanctions additionnelles ont été adoptées et renforcées en plusieurs vagues par les Etats-Unis, l’Union européenne et quelques uns de leurs alliés comme le Canada, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud. En janvier 2012, les Etats-Unis ont adopté de nouvelles sanctions contre la banque centrale iranienne tandis que l’Europe interdisait la signature de nouveaux contrats d’importation et de transports d’hydrocarbures iraniens. Les contrats existants devront être annulés d’ici le 1er juillet. En mars, l’Union européenne a également privé d'accès au réseau de transferts interbancaires Swift les personnes et institutions iraniennes faisant l’objet d’un gel des avoirs. Par ailleurs, depuis quelques années, des actions de sabotage, une série de cyberattaques et une campagne d’assassinats ciblés tentent d’enrayer l’aventure nucléaire de la République islamique.
De Jérusalem à Washington, une évaluation différente de la menace
L'administration Obama estime que Téhéran n’a pas encore pris la décision d’assembler l’arme nucléaire et qu'il reste du temps pour convaincre le régime d’y renoncer. Washington veut laisser les sanctions agir. Israël fait une évaluation plus alarmiste. Benjamin Netanyahu parle d’empêcher l’Iran de parvenir à une « capacité nucléaire militaire » alors que, pour les Etats-Unis, la ligne rouge ne sera franchie que s’il y a début de fabrication d’une arme. Au lendemain des entretiens Obama-Netanyahu du 5 mars dernier, le différend perdure. Le président américain désavoue toute mesure hâtive et insiste sur le rôle de la diplomatie. Pour l’administration américaine, une intervention israélienne ne ferait au mieux que différer de quelques années le programme iranien et achèverait de convaincre la République islamique de la nécessité de se protéger en devenant une puissance nucléaire. Qui plus est, elle romprait le front sunnite, la quasi totalité des pays arabes plus la Turquie, aujourd’hui mobilisé contre l’Iran, et rallierait la population iranienne à un régime impopulaire. Enfin, les représailles de Téhéran pourraient entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle guerre régionale.
Sous la pression du Congrès et dans un climat de surenchère préélectorale, Barack Obama a dû cependant lâcher du lest en direction d’Israël. Le Président a déclaré refuser toute politique d’endiguement d’un Iran nucléaire et a reconnu aux dirigeants israéliens « le droit souverain » de prendre leurs propres décisions. La promesse implicite d’une attaque américaine au cas où l’Iran franchirait le seuil du nucléaire militaire n’exclut pas la possibilité d’une action unilatérale israélienne : Israël a, ces derniers temps, signalé qu'il ne laisserait pas l'Iran bénéficier d'une « zone d'immunité », en référence à la capacité pour Téhéran d’enrichir l’uranium dans le site de Fordou, enfoui à l’abri de frappes aériennes.
Le dernier rapport de l’AIEA
Selon le dernier rapport du Directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), en date du 24 février 2012, l'Iran a donné un coup d'accélérateur à ses activités d'enrichissement de l’uranium. Les inspecteurs internationaux constatent que le niveau de production d'uranium enrichi à 20 % a triplé depuis leur dernier relevé en novembre 2011. Depuis février 2010, l'Iran a produit 110 kg d'uranium à 20 %. Ce degré d'enrichissement, nettement supérieur à celui utilisé pour le combustible de centrale nucléaire (3,5 %), rapproche sensiblement l'Iran des niveaux militaires. Cette activité se déroule depuis janvier en partie dans le site de Fordou, profondément enfoui dans une montagne près de la ville de Qom. Autre information contenue dans le rapport de l’AIEA, l'accroissement de près de 50 % du nombre d'appareils enrichissant l'uranium (les centrifugeuses) dans le site nucléaire de Natanz. Plus grand et moins protégé que Fordou, ce site contient désormais plus de 8 800 centrifugeuses en fonctionnement, tandis que les premiers éléments de 6 200 autres appareils ont commencé à être assemblés. L'AIEA affirme que l'Iran a fabriqué depuis 2006 5450 kg d'uranium faiblement enrichi (à 3,5 %) ce qui, selon les experts, suffirait pour fabriquer quatre armes atomiques en poussant les travaux plus loin. Par ailleurs, l’AIEA s’est vue refuser une visite sur le site militaire de Parchin où des explosifs utilisables dans un engin nucléaire auraient été testés. Jusque là, Téhéran déclarait étudier les conditions d’une visite mais l’agence craignait que ce délai ne soit mis à profit pour éliminer des preuves. L'AIEA relève cependant des difficultés dans le fonctionnement de centrifugeuses plus performantes que l'Iran a commencé à tester. L’Iran chercherait également à se doter de missiles intercontinentaux à tête nucléaire.
Les objectifs de Téhéran
L’Iran semble chercher à se positionner en « pays du seuil », c’est à dire en pays ne détenant pas l’arme atomique mais disposant des bases technologiques lui permettant de l’acquérir rapidement si nécessaire. La stratégie de la République islamique, qui dément vouloir fabriquer l'arme suprême, semble être d'accumuler le plus grand stock possible d'uranium enrichi à 20 %. Une fois cette quantité d'uranium acquise, il serait possible de franchir à grande vitesse la dernière ligne droite vers la matière fissile. Les dirigeants iraniens semblent convaincus que l’objectif réel des Occidentaux et de leurs alliés (Israël aussi bien que plusieurs Etats du Golfe) est un changement de régime. Dans ces conditions, la République islamique ne transigera pas sur son droit à l’enrichissement de l’uranium à des fins civiles, véritable clé de voûte du nationalisme iranien depuis l’époque du Shah. Toute concession l’exposerait à ses détracteurs internes et externes. Une confrontation militaire pourrait même satisfaire la frange la plus dure du régime en occultant les tensions entre les différents courants conservateurs.
Le casse-tête de l’enrichissement
La question centrale concerne la façon dont l’Iran serait, ou non, amené à suspendre l’ensemble de son enrichissement d’uranium, une activité qui peut conduire à la fabrication de matière fissile pour une arme atomique. Les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU votées depuis 2006 exigent la suspension totale de l’enrichissement mais l’Iran a toujours refusé de s’y conformer, du moins en totalité, exigeant en retour que les sanctions internationales soient levées. Les grandes puissances doivent s’accorder sur le lien à établir entre un éventuel gel des sanctions prises contre l’Iran -ou de leur accroissement- et un gel de l’enrichissement d’uranium ou d’une partie de cette activité. L’administration Obama semble vouloir se concentrer sur l’obtention d’un accord sur la suspension de l’enrichissement de l’uranium à 20 %, accompagné d’un renforcement de la surveillance et des inspections de l’AIEA. Cette première étape permettrait de passer ensuite à des négociations plus substantielles. Soucieuse de ne pas laisser l’Iran gagner du temps pour poursuivre ses travaux nucléaires, la France semble réticente à s’en contenter, sans garantie que l’enrichissement à 3, 5 % sera lui aussi interrompu. La production d'une arme atomique nécessite un enrichissement à 90 % mais le plus difficile est de passer de 3,5 % à 20 %. Médiateur potentiel, la Russie voudrait faire valider un compromis impliquant une suspension partielle de l'enrichissement d'uranium, en échange d'une levée progressive des sanctions.
Confrontation armée ou conflit de basse-intensité
L'année 2012 verra-t-elle un début d'arrangement diplomatique avec l'Iran, une attaque israélienne sur des sites nucléaires iraniens ou la poursuite d’un conflit de basse intensité entre diplomatie, durcissement des sanctions et guerre clandestine ? Selon Robert Malley, directeur Moyen-Orient et Afrique de l’International Crisis Group, la solution passe par l’acceptation du droit iranien à l’enrichissement sur son sol et l’usage civil de l’énergie nucléaire en échange de l’acceptation des exigences de l’AIEA et d’inspections internationales rigoureuses, le gel temporaire de tout enrichissement au-dessus de 5 % et le gel simultané des nouvelles sanctions américaines et européennes. Pour d’autres, comme Hossein Mousavian, ancien négociateur iranien sur la question nucléaire et professeur associé à l’université de Princeton, seule une négociation globale entre les Etats-Unis et l’Iran, dépassant la seule question du programme nucléaire et élargie aux sujets d’intérêt commun, permettrait de sortir de l’impasse et d’éviter une confrontation armée.