Parmi les nombreux articles qui ont fleuri comme marguerites au printemps (et il y avait de quoi !) à l’occasion de la publication, ces derniers jours, du projet de budget 2013, l’un d’entre eux a attiré notre attention.
Il s’agit de celui publié par Eric Le Boucher dans Les Echos du 28 Septembre [1]. Il a en effet le mérite de replacer le budget en question dans une perspective historique, ce qui permet de comprendre les erreurs passées, et aussi celles d’aujourd’hui.
D’abord, Eric Le Boucher rappelle que la « ponction » et la « potion » que le gouvernement prépare aux Français n’est pas d’abord un choix de bonne gestion, ni un respect des engagements vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Europe, même si c’est aussi cela, mais une grave obligation, une question « de vie ou de mort ». En effet, la France emprunte actuellement, pour refinancer sa dette, à des taux très bas. La confiance, toute relative certes, existe de la part des marchés, pour nous faire croire et nous faire adhérer auxréformes à court terme. Mais cette confiance, cette « prime » dont nous disposons, est celle offerte au borgne par rapport à l’aveugle, à l’unijambiste par rapport au cul-de-jatte : on nous classe, pour l’instant, dans la catégorie des bien-portants, mais dans la limite basse, et la moindre erreur nous fera basculer, avec le retournement de la confiance des marchés, dans celle des estropiés, ce qu’Eric Le Boucher appelle « le Sud ». Comme il le dit, « Cette perspective glace d’angoisse le gouvernement socialiste. Toute sa politique est obnubilée par cette menace de dégradation ». Avec des taux d’emprunt remontés à 4%, ce serait la catastrophe, nous ne pourrions en effet pas nous en sortir. Hollande est pris dans la nasse, il n’a pas d’autre choix que de taxer « à mort », quitte à affronter l’ire des Français. Entre la grogne sociale et la guillotine financière, entre le cancer et l’infarctus, le choix en effet est facile à faire.
Déficits commerciaux records pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal
Mais Eric Le Boucher va plus loin. Il rappelle en effet opportunément, étude Moody’s à la clef, que pour les mauvais élèves de la classe, ce ne sont pas tellement les budgets, mais surtout les balances commerciales qui ont dérapé, leur déficit descendant en flèche de – 1% du PIB avant l’Euro à – 9% en 2007, soit juste avant la crise. Ceci permet de comprendre à la fois l’erreur et la cécité. L’erreur, parce que ces pays ne disposant plus, pour compenser leur déficit, de la possibilité d’ajustement par la monnaie, il eût fallu qu’ils disposent, dès la création de la monnaie unique, de mécanismes internes et communautaires efficaces et puissants, à la fois pour maîtriser leur consommation (en effet, compenser le déficit commercial, c’est soit exporter plus, soit consommer moins) et pour améliorer rapidement leur compétitivité afin de la mettre à niveau. Une sorte de « plan Allemagne de l’Est », comme celui qu’a porté ce pays après la réunification, à l’échelle européenne, en quelque sorte. Au lieu de cela, on a laissé « la main invisible du marché » jouer sans contrôle son rôle prédateur avec, au bout du processus, les déséquilibres d’aujourd’hui. Il est en effet ahurissant, rappelle l’éditorialiste, que pendant cette période, la consommation de pays comme la Grèce ou l’Espagne ait augmenté de 30%, ou celle du Portugal de 12%, alors que celle de l’Allemagne n’a progressé que de 4%. Ceci fait comprendre, par exemple, que les grecs ne sont pas les pauvres victimes de la méchante Europe, mais qu’ils ont bien « chanté tout l’été » et très bien consommé, à crédit, avant la bise d’aujourd’hui. Mais on comprend aussi la cécité, comme nous l’expliquions déjà [2], parce que les principaux bénéficiaires de ce déséquilibre commercial étaient évidemment les grands pays exportateurs de l’Europe, Allemagne en tête. Exportations privées pour leurs entreprises sur un marché quasi-captif et « consentant », déficits publics des Etats du sud, qui « ne feraient jamais faillite », tout bénef…. Qui avait intérêt à regarder de près les comptes masqués de l’Etat grec, ou la folie immobilière espagnole ? Un pacte malsain entre des banquiers laxistes, ravis des commissions touchées, des entreprises avides de croissance dans des marchés dopés, et de mauvais clients, heureux d’obtenir toujours plus de crédit pour acheter et faire la fête. Malheureusement, la crise est arrivée là-dessus, et tout le mondes se réveille avec la « gueule de bois », créanciers comme débiteurs…
Baisse des exportations françaises
Eric Le Boucher pointe aussi un autre phénomène, car un pays, dans cet ensemble, joue une partition singulière : c’est la France. En effet, si notre pays se place dans le groupe des pays ayant fortement dégradé, pendant cette période, leur balance commerciale, la cause n’en est nullement la hausse de sa consommation, comme les pays méditerranéens, mais la baisse de ses exportations. Pendant cette période, nous n’avons pas fait la fête, mais nous avons travaillé de plus en plus mal et, de ce fait, désindustrialisé. Normalement, comme le dit Le Boucher, la baisse de nos revenus aurait dû suivre, mais l’Etat a compensé, à travers les prestations sociales, comme il sait bien le faire, augmentant ainsi la prédation publique sur le travail et, progressivement, le problème.
Est-ce la lâcheté des gouvernements successifs de gauche et de droite, qui ont maintenu, vaille que vaille, ce système pervers, ou bien la lâcheté de l’opinion, autruche bien consentante, en vérité, prête à descendre dans la rue et à chasser ses chefs au seul prononcé du mot « rigueur » ? Peu importe, à vrai dire. Il faut regarder l’avenir et, pour avancer, deux choses sont importantes à comprendre.
La première, c’est qu’en surtaxant les consommateurs et les entreprises dans le budget 2013, le gouvernement actuel ne s’attaque pas au problème, mais l’aggrave. Plus encore, en s’en prenant aux riches, aux patrons, aux créateurs, en voulant faire de la justice au petit pied, pour flatter l’opinion, il s’enfonce plus encore dans le trou. L’emploi ne s’invente pas, il est le résultat du travail, lui-même fruit d’une bonne idée bien pensée et bien réalisée au service de la communauté. C’est la compétitivité qui est la clef de tout, nous n’avons cessé de le dire [3]. Pour cela, deux priorités, et pas plus, travailler moins cher, travailler mieux, et deux chantiers :
Le premier, « travailler moins cher », ce sont les charges sur les entreprises, qui doivent baisser. Pour cela, il y a deux axes, les charges publiques (il faut donc s’attaquer aux dépenses de l’Etat, c’est une absolue priorité) et les charges privées, c’est-à-dire les salaires. Pour le dire brutalement, ce qui est important, dans la situation actuelle, ce n’est pas tant que les marins et les passagers soient riches, mais que les navires sur lesquels ils voyagent (leurs entreprises) ne coulent pas. Maintenir nos entreprises, surtout celles qui exportent, est une priorité nationale. Sacrifier en partie son modèle social, si emblématique, c’est ce que l’Allemagne a fait, courageusement et prophétiquement, depuis 2003. Aujourd’hui, les allemands ne sont pas beaucoup plus riches, mais leurs entreprises sont saines, et restent à flot dans la compétition internationale. Cette sagesse, nous devons aussi l’avoir.
Le deuxième chantier, « travailler mieux », c’est le dialogue social. Il y trop longtemps qu’en France, on considère le travail comme un « mal nécessaire » et non pas comme une opportunité de promotion et une chance pour construire l’avenir. Pour cela, il existe de nombreuses pistes, que le gouvernement précédent avait explorées, mais qu’il n’a pas mises en œuvre (partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise).
De tout cela, rien dans le « projet » socialiste, ni dans le budget 2013. Eric Le Boucher a raison : nos faiblesses sont parfaitement identifiées, mais, une fois encore, la chance de les résoudre va probablement passer avec, à la clef, une dégradation, au physique comme au moral. Est-ce rédhibitoire ? Pas forcément [4]…
[1] Cf http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0202292647226-la-france-du-nord-ou-du-sud-366750.php
[2] Cf http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Couple-franco-allemand-2-2-Reflexions-d-un-chef-de-cordee
[3] Cf par exemple http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Mondialisation-de-la-crise-l-enjeu-moral-du-moteur-de-la-competitivite-I, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Mondialisation-de-la-crise-II-liberer-la-confiance, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Competitivite-la-France-en-question-partie-1, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Restaurer-la-competitivite-pour-batir-une-mondialisation-plus-humaine, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Competitivite-francaise-en-parler-enfin-agir-pres-des-besoins, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Competitivite-vers-un-nouveau-modele2, http://www.libertepolitique.com/L-information/La-Parole-a/Le-blog-de-Francois-Martin/Pour-une-mondialisation-regulee-qui-favorise-la-competitivite
[4] Cf article « L’autruche et les deux présidents »
- Les Français en auront-ils un jour assez d’être...
- L’autruche et les deux présidents
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