La nouvelle loi Leonetti ne résout pas les défauts législatifs de fin de vie

Réunis par Bruno Retailleau (LR, Vendée) et Dominique de Legge (LR, Ille-et-Vilaine), 37 sénateurs publient une tribune dans Le Monde dénonçant les ambiguïtés de la proposition de loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie, présentée par certains comme une étape vers la déclaration d’un « droit à mourir », alors que la mise en place d’une véritable culture des soins palliatifs devrait demeurer prioritaire. « Faute de moyens pour soulager la souffrance, le texte laisse entrevoir l’abrégement de la vie comme une alternative. »

[Le Monde, 15/06/2015]  — Pourquoi vouloir légiférer à nouveau sur ce qu’il est convenu d’appeler la fin de vie, alors que la législation en vigueur, dite loi Leonetti, votée à l’unanimité en 2005, est saluée comme un texte sage et équilibré, protecteur des malades, respectueux des familles comme de la communauté médicale ?

Pour les uns, cette nouvelle proposition de loi tend à prolonger la loi Leonetti sans en dénaturer les visées ni l’esprit. D’autres font valoir qu’elle serait une étape, assumée comme telle, vers un « droit à mourir ». Cette ambiguïté quant à l’objectif nous incite à la prudence.

Tous reconnaissent que la loi Leonetti, mal connue et reposant sur la mise en place de soins palliatifs a été peu appliquée, faute de véritables moyens dégagés pour leur mise en place tant sur le plan budgétaire que des formations. Légiférer pourrait avoir un sens s’il s’agissait d’apporter des réponses concrètes, au-delà des déclarations d’intention, à ces deux préalables. Or le texte proposé n’apporte rien de nouveau sur ces points.

Enfin, de l’aveu même de ses auteurs, cette proposition de loi répond à une promesse du candidat à la présidence de la République. Essaie-t-on vraiment de combler des lacunes ou bien cherche-t-on à donner une réponse législative à une promesse politique ? Faute de moyens pour soulager la souffrance, le texte laisse entrevoir l’abrégement de la vie comme une alternative. La question de la pertinence d’une nouvelle loi est donc clairement posée.

La mort n’est pas un sujet de droit

La mort ne soulève pas tant la question du sens de la vie en général — et il serait dangereux d’apporter une réponse juridique et officielle à cette question — que celle du sens de notre propre existence, et de nos certitudes ou incertitudes sur l’au-delà. En cela, elle est du domaine de l’intime par excellence. C’est la raison pour laquelle elle n’appartient à personne d’autre qu’à la personne qui s’apprête à passer de vie à trépas.

S’agissant des directives anticipées, dont on propose de renforcer la portée, elles ne nous paraissent pas devoir peser d’un poids excessif sur nos derniers instants. En effet, le regard que l’on peut avoir sur sa propre mort alors que l’on n’est pas face à l’échéance, peut s’avérer bien différent une fois que l’on y est confronté. Une chose est de dire non aux souffrances de l’agonie lorsque l’on est en bonne santé, une autre est de dire non à ces souffrances au moment fatal. La fin de vie est un temps dont la mesure échappe à la notion même du temps. Quand commence la fin de vie ?

Dans ces conditions, il ne nous parait pas possible que le législateur puisse donner un cadre juridique à la fin de vie sur la base de directives anticipées.

Développer la culture palliative

La loi est là pour protéger le faible en toutes circonstances. C’est pourquoi la loi de 2005 sortait la fin de vie d’une approche exclusivement médicale pour lui préférer une approche globale, relevant du « prendre soin » et non d’une improbable guérison. Aujourd’hui, faute de moyens nouveaux, le texte entend graver dans le marbre de la loi une prescription médicale d’un type particulier qui serait la « sédation profonde et continue ». Assortie d’analgésiques et de l’arrêt d’hydratation et de nutrition, désormais assimilées à des traitements, le tout forme un cocktail qui nous mène aux frontières de l’euthanasie…

Soulager la souffrance par des protocoles médicaux susceptibles d’abréger la vie, est une chose. Mettre en œuvre un traitement dont la finalité est d’abréger la vie en raison d’une souffrance réfractaire en est une autre. L’intention n’est pas la même, et ouvre la porte à des dérives que nous refusons. S’il y a lieu de légiférer, c’est pour rééquilibrer les politiques entre le curatif et le palliatif. La relation médecin/malade s’en trouvera renforcée et enrichie, et le pacte de confiance naturel qui les lie sera restauré.

Une vie digne jusqu’à la mort

On a beaucoup parlé dans ce débat d’une « mort digne ». Qu’y a-t-il d’indigne dans la mort ? L’indignité n’est-ce pas laisser le proche seul face à l’issue fatale ? En demandant à la médecine d’accélérer la fin, protège-t-on la dignité du malade ou répond-t-on à une demande sociale ?

Comme le rappelait François Mitterrand : « Jamais le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère ». Comme si le clan des vivants évacuait celui des mourants pour mieux chasser la certitude de les rejoindre un jour. Pour ne surtout pas voir la fin d’un proche, autant la précipiter ! Cette revendication du « bien mourir » ne traduit-elle pas plutôt l’angoisse qu’ont les bien-portants de leur propre mort, et qui refusent ce miroir de leur fin tendu par les agonisants ! Nous voudrions être sûrs que ces appels à la dignité bénéficient vraiment aux personnes en fin de vie.

C’est pourquoi nous préférons parler de « vie digne jusqu’à la mort », plutôt que de « fin de vie digne » notion très subjective. Qui peut dire quand on perd sa dignité et quel visage prend l’indignité ? Une présence humaine au côté du malade nous paraît davantage participer du respect de la dignité, que l’administration d’une prescription fatale.

De l’inutilité de la vie… à la mort utile

L’article 3 de la loi parle du prolongement inutile de la vie. Qui peut s’arroger le droit de déterminer l’utilité d’une existence ? Où placer la ligne d’une si terrible frontière ? Quel serait le temps imparti à une « mort imminente » ? Nous n’avons que des questions à poser, car, étant existentielles, il n’est pas possible de leur apporter de réponse objective. La loi ne saurait donc a fortiori prétendre y répondre.

La volonté de légiférer dans ces domaines situés aux confins de la philosophie, de la morale, et du spirituel, est également manifeste avec le texte sur les dons d’organes dont la concomitance avec le débat sur la fin de vie nous laisse un sentiment de malaise, et une inquiétude sur les dérives qui pourraient en découler. Ainsi, le don d’organes automatique en cas d’absence de directives contraires — encore des directives anticipées — de la part de la personne en état de mort clinique, rejoindrait le dilemme de la vie inutile, en un paradoxe effrayant. Au moment où la vie, devenue inutile s’achève, la mort utile prendrait le relais avec l’utilisation des organes.

Face à ce texte, nous choisissons une double position d’humilité et d’humanité. Humilité parce que nous ne nous sentons pas le droit de porter un jugement sur l’utilité d’une vie, et Humanité car face à la solitude de la mort, la réponse se situe dans une approche globale de l’individu, à la fois physique et psychique. La proposition de loi voulant faire bouger les lignes sur le premier point et ne donnant pas de réponse au deuxième, nous considérons qu’il n’y a pas lieu de légiférer à nouveau.

 

La liste des signataires :
http://www.lesrepublicains-senat.fr/Fin-de-vie-ou-la-legislation.html

 

 

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