
En guise d’édito nous vous proposons l’excellente analyse du Professeur Daniel Dory paru dans notre revue n°103 consacrée aux Etats-Unis, dans laquelle il évoquait la préparation de la guerre contre l’Iran et l’usage opportuniste de la notion de terrorisme.
Passons rapidement sur le constat, abondamment documenté, du fait que la menace terroriste (au-delà de son évidente réalité) constitue aussi une excellente opportunité pour divers gouvernements pour promulguer des lois d’exception plus ou moins liberticides. On a mentionné également plus haut le fait que la complexité du terrorisme ouvrait la voie à l’acceptation de mesures qui dépassant le strict cadre de la prévention et de répression du passage à l’acte, empiètent plus ou moins gravement dans le champ de la liberté d’opinion et d’expression et finissent par restreindre l’exercice des libertés publiques fondamentales que les régimes dits démocratiques sont censés protéger. Dans le cas des États-Unis, le Partiot Act et la prolifération des dispositifs de surveillance qu’il légalise est un exemple emblématique.
De même, et sans rapport direct avec ce qui précède, il suffit de mentionner rapidement l’effet des attentats du 9/11 sur le développement et la consolidation disciplinaire des études sur le terrorisme dans le monde anglophone, tout au moins. L’abondance de projets et de crédits publics incitant de nombreux chercheurs débutants à s’engager, parfois de manière transitoire, dans ce champ de recherches, avec pour conséquence une avalanche de publications scientifiquement fragiles et un présentisme explicable par la faible culture historique des nouveaux entrants.
Beaucoup plus importantes au plan théorique, pratique et géopolitique, sont les opportunités que le terrorisme offre dans le cadre de la politique étrangère de très nombreux pays et particulièrement de celle des États-Unis. Passons rapidement sur le fait que dans la foulée du 9/11 plusieurs gouvernements, après avoir désigné leurs opposants comme « terroristes », pourront plus aisément les réprimer à l’aide de législations d’exception. Il convient, en revanche, de s’arrêter sur l’importance du terrorisme dans la consolidation de la relation « privilégiée » entre Israël et les États-Unis.
Pour comprendre cette affaire, il est nécessaire de remonter un peu dans le temps, car l’alignement actuel des États-Unis sur les positions israéliennes en matière de terrorisme est le produit d’une histoire. En effet, et sans entrer dans les détails qui sortent des limites de notre propos dans ce texte, il est bon de savoir que depuis 1948 (date de la création d’Israël) jusqu’à nos jours la question du terrorisme occupe une place variable, suivant des tonalités imposées par les différentes administrations présidentielles. On peut à cet égard retenir trois moments particulièrement significatifs, depuis 1972 où, comme on l’a vu plus haut, l’administration Nixon commence à envisager la question du terrorisme comme une menace sérieuse.
Le premier moment, lourd de conséquences, se situe au cours des années 1980, lorsqu’un certain Benjamin Netanyahou est d’abord le second de l’ambassade d’Israël à Washington puis, entre 1984 et 1988 ambassadeur à l’ONU. Au cours de ces années Netanyahou en étroite collaboration avec les réseaux pro-israéliens locaux qui gagnent en puissance sous l’administration Reagan, va travailler à l’imposition de la vision israélienne du terrorisme comme menace non seulement contre Israël, mais contre l’ensemble du « monde libre » (on est en pleine Guerre froide, plus tard on insistera sur « les démocraties »), la civilisation et l’ensemble de l’humanité. La conclusion logique de cette démarche consistant à détacher le terrorisme palestinien de ses motivations territoriales (occupation de la Cisjordanie et de Gaza, etc.), pour en faire une menace idéologique (liée à l’URSS d’abord, de nature islamiste ensuite) globale contre laquelle un combat (notamment militaire) doit être mené. Son plus grand succès en la matière sera le « recrutement » de George P. Shultz, Secrétaire d’État de Reagan durant de longues années, qui dans plusieurs interventions décisives reprendra, mot à mot, la rhétorique de Netanyahou, et marquera durablement la vision du Département d’État en la matière.
Le deuxième moment important est, bien entendu, le 11 septembre 2001. Et ceci non en raison de la participation israélienne à la « Guerre au terrorisme », en fait impraticable si les US voulaient associer des pays arabes à la coalition que se met alors sur pied pour attaquer l’Afghanistan, mais pour son aspect révélateur de l’approche israélienne. En effet, le 16 septembre 2001, Ariel Sharon alors Premier Ministre s’adresse à la Knesset lors d’une « séance de solidarité » avec les États-Unis. Ce bref discours est d’autant plus remarquable qu’au même moment Sharon est empêtré dans la Seconde Intifada déclenchée suite à ses provocations et que des agents israéliens sont encore détenus aux États-Unis (avant d’être rapidement libérés) pour avoir été dénoncés pour s’être bruyamment réjouis des attaques au WTC qui se déroulaient sous leurs yeux. Le discours de Sharon articule deux idées centrales et permanentes de l’approche publique israélienne : a) le terrorisme menace le monde entier, et spécialement les démocraties, dont Israël est le seul représentant au Moyen-Orient ; b) le « terrorisme Arabe, Palestinien et islamiste radical » qui affecte Israël n’est qu’une manifestation locale d’un phénomène global de « haine » de l’Occident, et ne saurait trouver d’explication (au moins partielle) dans les conditions de vie imposées aux Palestiniens, notamment dans les territoires occupés.
Le troisième moment, déjà évoqué plus haut, se produit en 2003, lorsque le thème du « terrorisme » sert de liant à la narration mensongère diffusée aux États-Unis par les cercles néo-conservateurs très liés à Israël, concernant le prétendu danger que l’Irak représente pour la « paix et la stabilité du monde ». L’invasion et la destruction institutionnelle de ce pays, justifiée par les prétendus efforts de Saddam Hussein de se doter d’armes de destruction massive constituent des antécédents directs à la préparation actuelle d’une guerre contre l’Iran, dans le contexte des suites de l’attaque menée contre Israël par diverses organisations palestiniennes à partir de Gaza le 7 octobre 2023. Les mêmes thèmes, les mêmes mots, le même commanditaire et le même opérateur étatsunien rejouent donc, une fois encore une tragédie programmée sur laquelle flotte l’ombre du terrorisme vrai et/ou fantasmé.
S’intéresser scientifiquement au terrorisme aux États-Unis implique donc d’affronter un écheveau de thèmes où le local rencontre le global et où le passé informe ironiquement le présent. Rompre avec l’approche polémique, pour étudier à la fois les actes et les discours des différents acteurs, tout en prenant les distances nécessaires pour pouvoir prétendre à une certaine objectivité, est l’enjeu central de la recherche sur le terrorisme. Dans ce texte il était, bien évidemment, seulement possible de procéder à une rapide mise en ordre d’une problématique complexe et foisonnante. S’il permettait de montrer que le terrorisme, aux États-Unis et ailleurs, peut et doit faire l’objet d’une analyse distanciée et basée sur un corpus documentaire solide, il aurait atteint son objectif principal.
Daniel Dory
Docteur HDR en Géographie, spécialisé en analyse géopolitique du terrorisme. Membre du Comité Scientifique de la revue Conflits et du Comité de Rédaction de Sécurité Globale.
Pour retrouver l'intégralité de l'article de Daniel Dory intitulé Le terrorisme aux États-Unis : menaces, ripostes et opportunités, cliquez ici.
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