Contre toute attente, le projet de loi Taubira "ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe" a provoqué une contestation populaire inédite dans l’histoire. D’emblée, cette contestation a été présentée comme l’expression d’une minorité conservatrice résiduelle. Mais l’ampleur de l’opposition, son caractère pacifique, spontané et non-partisan signifie autre chose. Le noyau dur initial de la résistance s’est élargi comme si la redéfinition autoritaire du mariage ouvrait les yeux de l’opinion sur une évolution politique d’une nature inhabituelle.

Les auteurs du projet de loi eux-mêmes ne s’en sont pas cachés. Mme Taubira a parlé du « mariage pour tous » comme une « réforme de civilisation ». Le président de la République a admis devant les maires de France que l’objection de conscience pouvait se justifier, même s’il s’est rétracté ensuite.

Car s’en prendre au mariage au nom de la loi en disposant des principes anthropologiques qui structurent la société humaine depuis la nuit des temps, c’est révolutionner la politique elle-même. Il ne s’agit plus seulement de distribuer des droits, au gré de l’évolution des mœurs, ni même de disposer de l’individu comme on l’autorise dans le champ de la bioéthique, il s’agit de disposer de l’homme dans sa dimension sociale. Autrement dit, personne n’est épargné.

Ontologiquement, le mariage est l’institution publique de la filiation, protégeant à la fois l’enfant, la mère et le père. La puissance de l’institution tient dans le caractère indisponible de ses principes, indisponibles parce qu’universels et communs à toute l’humanité au-delà des systèmes politiques et culturels. Sa puissance est d’autant plus juste qu’elle est commune à tous, et reconnue en tant que telle par l’autorité politique, quelle qu’elle soit.

Dès lors que les conditions universelles de la réalisation du mariage, autrement dit le lien entre la conjugalité et la procréation sont levées ou contournées, le mariage n’est plus une institution dont le Prince n’approche qu’en tremblant, mais un simple contrat, dont les règles dépendent de la seule volonté des individus et de l’arbitraire politique.

Le philosophe Thibaud Collin l’a fait remarquer devant la commission des lois de l’Assemblée nationale : quand une institution dépend seulement du bon vouloir des individus qui la composent, et que la législation consacre ce droit tout puissant, on bascule dans un système autoréférentiel qui est à lui-même son propre juge. Avec le projet Taubira, le cadre légal du mariage deviendrait purement négocié, et avec lui ses conditions fixées au fil du temps « au gré des majorités passagères » (sénateur Retailleau) et des rapports de force, comme l’a admis le rapporteur du projet de loi Jean-Pierre Michel.

Nous sommes devant une situation en effet inédite : au nom du droit et de l’égalité, l’institution humaine la plus universelle, reçue à la fois comme le lieu fondateur et protecteur de la liberté et de la citoyenneté, en raison notamment de son rejet de la logique endogame, stérile et autoritaire de la tribu, serait fragilisée dans ses fondements par la prétention totalitaire de l’autorité politique. Comment imaginer en effet qu’une institution puisse remplir son rôle protecteur si les liens qu’elle tisse sont fondés sur la seule volonté ? C’est une véritable déstabilisation des relations humaines qui va ainsi s’opérer sous nos yeux. C’est l’instrument fondateur de la liberté des personnes et de la société civile qui sera atteint au cœur. Oui, ce mariage serait un faux mariage, un mariage sans norme objective, un mariage véritablement a-normal.

Beaucoup d’arguments ont été explorés et défendus sur le projet de loi Taubira. Il n’est pas surprenant que le débat en profondeur qu’aurait pu justifier ce « changement de civilisation » ait été réduit autant que possible par le gouvernement. Et que la conscience des élus qui s’y oppose soit devenue intolérable. C’est précisément la dimension liberticide du « mariage pour tous » que Liberté politique a voulu mettre en évidence dans cette édition. Notre dossier se découpe en trois parties : 1/ l’analyse du projet lui-même dans ses dimensions philosophiques, juridiques et médicales, 2/ses origines intellectuelles et politiques, 3/ ses perspectives judiciaires, en particulier pour les officiers d’état civil.

De la falsification du mariage à la criminalisation de la conscience, oui, nous y sommes.

Ph. de St-G.

© Liberté politique n° 59, printemps 2013, "Ouverture".