Le thème de l’écoterrorisme est au cœur de l’actualité. Les violences des manifestations à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres ont mis en évidence la capacité d’action d’une mouvance écologiste radicale. Mais peut-on vraiment parler de terrorisme ou s’agit-il d’une énième resucée militante à la sauce Larzac ? C’est la question à laquelle répond Daniel Dory* dans une brochure éditée par Liberté Politique. Il répond à nos questions.
- Quand et comment en êtes-vous venu à travailler sur la question de l’écoterrorisme ?
DD. En fait, la recherche sur l’écoterrorisme prend place dans l’ensemble de mes travaux sur l’analyse géopolitique du terrorisme. Il s’agissait dans ce cas d’explorer les dérives possibles de la mouvance écologiste radicale (et plus généralement de l’extrême gauche européenne) vers l’illégalisme d’abord, et éventuellement le recours au terrorisme, ensuite.
- Comment définiriez-vous le terrorisme ? Pensez-vous que le terme soit adapté aux écologistes radicaux qui ne sont pas vraiment comparables en apparence à des islamistes ou aux brigades rouges ?
DD. Il y a plusieurs définitions possibles du terrorisme suivant que l’on se place dans une perspective polémique (pour désigner un ennemi absolu et intrinsèquement illégitime) ; juridique (pour caractériser des actes dits terroristes et leur apporter une réponse pénale) ou scientifique. C’est cette dernière approche qui m’intéresse exclusivement. Et pour s’en tenir à l’essentiel, on peut dire que le terrorisme est une technique de communication violente, qui en s’attaquant à des personnes (ou objets) adéquats, vise à transmettre des messages à diverses audiences. Deux points importants sont à retenir de cette proposition de définition. D’abord, le terrorisme n’est jamais « aveugle » ou « indiscriminé », (sauf accidents ou victimes collatérales), mais cible des victimes possédant ce que j’appelle une identité vectorielle, c’est-à-dire servant au mieux à transmettre (au moyen de leur mort et/ou de leur souffrance, ou encore de leur destruction ou dégradation) les messages en question. Parmi cette catégorie de victimes figurent, par exemple, les enfants, les touristes internationaux, les journalistes, les gens rassemblés au Bataclan etc., ainsi que des bâtiments et monuments à forte charge symbolique. Ensuite, le terrorisme est une technique, donc pas un ennemi à qui on peut « faire la guerre », mais une forme de violence à la disposition de tous les acteurs (individus, groupes de diverses obédiences et États) qui estiment pouvoir en tirer bénéfice.
- Quelles sont les groupes ou les personnes susceptibles de recourir à l’action terroriste écologique ?
DD. Il existe en Europe et aux États-Unis une mouvance complexe d’individus et de groupes (associations, ONG, réseaux etc.) de plus en plus déçue par les résultats des mobilisations habituelles pour la protection de l’environnement. Ces dernières années le thème de « l’urgence climatique » a été fortement promu par diverses instances internationales (à commencer par l’ONU et ses satellites publics et privés), ce qui a contribué à créer un sentiment d’angoisse existentielle auprès des secteurs les plus fragiles émotionnellement et les moins formées scientifiquement de cette mouvance bigarrée. En outre, on assiste sous nos yeux à une mutation de cette frange potentiellement violente, qui cesse de se centrer sur les sujets purement environnementaux et/ou animalistes, pour fusionner avec d’autres mouvances (anticapitalistes, antiracistes sélectives, antifascistes d’opérette ou encore féministes virilophobes) au sein des ZAD (Zones à Défendre) ou des Black Blocks. Il en résulte une nébuleuse d’individus et de groupes qui sont déjà clairement engagés dans une dérive illégaliste, avec acceptation de modes opératoires violents. Il ne manque plus, pour l’instant, que de petits noyaux actifs surgissent dans ces milieux, et décident (et soient capables) de passer à l’acte terroriste. Il faut donc être très attentif à ce qui se produira dans les mois et années qui viennent.
- Quel type d’action terroriste pourrait être privilégiée ?
DD. Habituellement les actions des mouvances environnementalistes et animalistes « classiques » (c’est-à-dire avant mutation) consistaient en des incendies de laboratoires, sites d’expérimentation végétale, aménagements immobiliers, etc. A quoi s’ajoutaient des sabotages d’engins de chantier, de machines-outils liées à l’industrie du bois et autres dégradations. Le secteur animaliste s’est aussi distingué par des « libérations » d’animaux de laboratoire ou d’élevage.
Aujourd’hui on assiste à des sabotages, des déprédations de locaux commerciaux (notamment boucheries, poissonneries…), des dégradations d’installations sportives comme des terrains de golf et diverses manifestations plus ou moins spectaculaires sur les voies publiques, les musées et toutes sortes d’évènements publics assurant une publicité maximale aux activistes.
Bien entendu, des craintes réelles existent que les acteurs les plus déterminés à s’engager dans l’action directe violente finissent par s’attaquer à des personnes ou a des installations stratégiques (aéroports, ports pétroliers ou centrales nucléaires). On n’est est pas encore là. Mais il est inquiétant de savoir, par exemple, qu’une maison éditoriale emblématique de l’extrême gauche écologiste française diffuse une traduction du manifeste contre la civilisation industrielle de l’Unabomber, tout en sachant que cet acteur nord-américain isolé est responsable d’une campagne d’attaques à la bombe entre 1978 et 1995 qui a fait 3 morts et 23 blessés !
- La France fait-elle partie des pays particulièrement exposés ? Est-ce un problème uniquement occidental ?
DD. Dans sa forme « classique », le terrorisme environnementaliste et animaliste touche essentiellement les pays dits « occidentaux ». Une carte qui figure dans la brochure le montre clairement.
La France est sans doute particulièrement menacée pour deux raisons majeures. D’abord, en raison de la complicité du milieu politico-médiatique envers les écologistes violents qui, malgré tout, sont considérés comme faisant partie du « camp du Bien » défini par la gauche mondialiste et ses principaux relais. Ensuite, parce que l’érosion permanente de l’autorité de l’État a permis le développement spectaculaire des ZAD, qui sont de véritables creusets de l’environnementalisme mutant engagé dans l’illégalisme.
- Les pouvoirs publics ont-ils pris la mesure de cette menace (en France ou ailleurs) ?
DD. Diverses déclarations ministérielles récentes semblent montrer un début de prise de conscience de la réalité de la menace. Mais en l’absence d’un diagnostic clair et d’une réelle volonté politique (au niveau français et européen), il y a fort à parier que le pouvoir exécutif se bornera à rappeler rituellement, et après-coup, que les violences sont « inacceptables » et au mieux qu’il se propose de dissoudre un réseau largement informel comme « Les soulèvements de la terre », ce qui ne présente pas le moindre intérêt pratique.
- Pour finir, pouvez-vous nous présenter la brochure que vous venez de publier ?
La brochure qui vient de sortir s’intitule : Écoterrorisme ? Comprendre et évaluer la menace. J’attire l’attention sur le point d’interrogation, car il s’agit d’un premier outil d’information et de formation sur un sujet encore peu étudié scientifiquement. Il s’agissait donc d’introduire le lecteur à la fois aux bases de la recherche sur le terrorisme et à l’histoire de l’environnementalisme pacifique et violent. En l’état, ce court texte constitue une solide introduction au sujet, qui inclut une copieuse bibliographie qui permet d’approfondir plusieurs points importants. C’est pourquoi nous espérons que sa large diffusion permettra d’enrichir la réflexion sur un ensemble de problèmes appelés probablement à s’aggraver dans un futur immédiat.
(*) Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Il a notamment dirigé le dossier « Comprendre le terrorisme » dans le N° 95/2023 de Liberté Politique, et vient également de publier Ecoterrorisme ? Comprendre et évaluer la menace, chez Liberté Politique.
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