Pourquoi les fake news sont parfois utiles

source[Atlantico]Lors de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron a réaffirmé son engagement de lutter contre le phénomène de fake news et, sans les nommer, la nouvelle chaîne de télévision RT (Russia Today) et Sputnik.

Emmanuel Macron est donc parti en guerre contre les fake news. A ce stade, il est encore trop tôt pour savoir ce qui ressortira du débat parlementaire, sans compter un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel. Il reste que l’annonce présidentielle est d’autant plus surprenante que rien, dans son programme présidentiel, ne mentionnait un tel projet. De plus, justifier cette loi par le fait d’avoir été soi-même victime de fausses nouvelles (victime toute relative puisqu’il a finalement été élu) donne le sentiment d’agir par esprit de revanche, ce qui n’est jamais très flatteur.

Accessoirement, on rappellera aussi qu’il existe déjà une réglementation avec la loi sur la presse de 1881, réglementation qui n’a visiblement pas été d’une grande efficacité si l’on en juge par la colère présidentielle. Une nouvelle loi ferait-elle mieux ? On peut en douter, même si le problème de l’ingérence des pays étrangers dans les processus électoraux doit être pris au sérieux. Mais comment l’empêcher à l’ère de l’information mondialisée ?

Si l’annonce présidentielle a été très fraichement accueillie, y compris par les journaux comme Libération ou Le Monde qui se vantent d’avoir une haute conception de la vérité, un large consensus existe pour dénoncer les fake news et appeler à lutte contre ce qui est présenté comme une menace pour la démocratie.

Ce consensus témoigne pourtant d’une vision qui n’est pas satisfaisante. Evidemment, chacun préfère avoir des informations vraies que des informations fausses, mais le problème s’avère plus complexe. On rappellera d’abord que toutes les informations ne peuvent pas être prouvées, ou du moins pas dans l’immédiat (faut-il rappeler la maladie de George Pompidou ou de François Mitterrand, ou le compte suisse de Jérôme Cahuzac ?). De plus, croire qu’il est possible d’expurger le débat politique de toute fausse information relève d’une conception idéalisée de la politique : c’est partir du principe que la politique oppose le vrai et l’erreur. Or, la compétition politique est par définition un domaine où le vrai et le faux sont constamment mêlés, même si c’est à des degrés variables. Chaque camp recourt à des exagérations, des déformations, voire des mensonges, pour critiquer les arguments de l’autre camp et donner plus de visibilité à son message. Les opposants à l’avortement ou aux vaccins, pour prendre deux exemples d’actualité, ont recours à la mauvaise foi et aux fausses informations pour soutenir leur cause, mais on pourrait en dire autant de tous ceux qui sont engagés en politique. Par définition, chacun affirme être dans le vrai et considère que ses adversaires sont dans l’erreur. Personne n’est dupe de ce petit jeu, et c’est pourquoi la volonté de prohiber le mensonge ne peut qu’être perçue comme un abus de pouvoir pour réduire au silence les opposants, ce qui ne peut qu’aggraver la défiance et le complotisme qui imprègnent désormais une partie de l’opinion publique, surtout dans un contexte où les pressions morales et identitaires ne cessent de se multiplier pour euthanasier le débat politique.

Par ailleurs, toute tentative de purifier la politique néglige l’utilité des fake news, ce qu’elles sont susceptibles d’apporter aux électeurs et aux débats. Prenons un exemple : pendant la dernière élection présidentielle, Emmanuel Macron a subi plusieurs rumeurs sur ses liens supposés avec l’islamisme (il a été accusé d’être financé par l’Arabie Saoudite ou d’être un proche de l’UOIF). Ces rumeurs sont évidemment malveillantes, mais elles ont pris naissance sur les silences et les lacunes du candidat, qui est resté soigneusement dans le flou sur des enjeux importants comme la laïcité et l’islam.

 

 

Les fake news servent ainsi de révélateurs ; elles ont pour vertu de soulever des problèmes, de forcer les acteurs politiques à clarifier leur discours ou leur programme, à prendre position lorsqu’ils refusent de le faire.

Bien sûr, il existe des rumeurs détestables, et certaines sont difficiles à réfuter. Mais en voulant éviter ces imperfections du débat politique, on risque de créer une situation pire que le mal : qui va contrôler ? Sur quels critères ? Avec quelles sanctions ? Et puis, serait-ce une bonne chose pour le débat politique lui-même ? Les partis qui font commerce des fausses informations finissent par le payer. N’est-ce pas justement ce qui est arrivé au Front national ? La grande faiblesse de ce parti est en effet son défaut de crédibilité, défaut qu’il a longtemps entretenu par ses attaques excessives, fruits d’une culture extrémiste dont il peine à se départir. Souvenons-nous du débat de l’entre-deux tours : juste avant la fin, Marine Le Pen a tenté une dernière attaque en lançant une fake news au sujet du compte offshore qui serait détenu par Emmanuel Macron aux Bahamas. L’attaque était basse, et en agissant ainsi, Marine Le Pen a sans doute achevé de convaincre les électeurs qu’elle n’avait pas atteint le statut de candidate à part entière.

Les fake news fournissent ainsi un éclairage : ils contribuent à identifier les partis, à les situer sur une échelle démocratique où l’usage de l’argumentation fondée en raison constitue le curseur. C’est pourquoi le même raisonnement peut être appliqué à la poussée du Front national : ce qui a favorisé sa progression, n’est-ce pas le sentiment que les partis de gouvernement ont produit un discours devenu incohérent par rapport à la réalité ? Un festival de fake news, en somme.