Pourquoi le monde ne comprend pas le manque de prêtres

La petite sortie sur RTL de Jean-Michel Apathie à propos du manque de prêtres (« L’Église manque de prêtres, on sait pourquoi ») est une belle occasion de parler d’un sujet qui, même pour les catholiques pratiquants, est source d’interrogations et d’incompréhensions.

OUI, NOS EVEQUES, les prêtres et beaucoup de fidèles sont préoccupés par cette question des vocations. Mais des propos aussi courts peuvent-ils aider à la compréhension d’un sujet bien plus profond ? Je voudrais dire une chose simple, au risque de surprendre : l’Église en France ne manque pas d’abord de prêtres ; elle manque de chrétiens !

Pourquoi voudrions-nous plus de prêtres alors que les chrétiens sont les premiers à déserter les églises et la pratique dominicale ? Sera-t-il vraiment utile de multiplier les messes dominicales ? Est-ce que marier les prêtres et augmenter leur salaire ramènera, spontanément et sans effort, des flots de chrétiens à la pratique de la foi ?

Je posais un jour la question à un ami athée : « Si j’étais marié, te poserais-tu la question de la foi différemment ? » Sa réponse fut négative évidemment. C’est d’abord de croyants que l’on manque, et non de prêtres. Les saints nous l’ont toujours dit : les communautés chrétiennes ont les prêtres qu’ils ont envie d’avoir…

Accepter d’être incompris

Malheureusement, appeler les prêtres à se marier et vouloir les enrichir revient simplement à leur demander d’abandonner le Christ… et c’est peut-être cela qui me touche le plus ! Pourquoi, sans me demander ce que je vis, sans s’intéresser à ce que je vis, aux désirs profonds de mon cœur, me demanderait-on d’abandonner celui par qui je suis profondément consacré à Dieu et à son service ?

Déjà, Jésus, dans l’Évangile, avait prévenu que le célibat serait source d’incompréhensions et de scandale et qu’il serait incompris. Pourtant lui-même l’a vécu et a appelé ses disciples à faire de même :

"

« Ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l’a révélée. […] Il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! » (Mt 19, 11-12).

"

Pourrait-on donc leur en vouloir de ne pas comprendre ? L’amour et la consécration du cœur à quelqu’un seront toujours un mystère pour celui qui est extérieur à cet amour : que ce soit l’amour humain ou l’amour divin.

Pour l’habit et pour la paie, là aussi Jésus dit à ses disciples :

"

« C’est pourquoi, je vous le dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie au sujet de la nourriture, ni pour votre corps au sujet des vêtements. La vie vaut plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement » (Lc 12, 22-23) …

"

Et encore, Jésus leur prescrivit : « Ne prenez pas de tunique de rechange » (Mc 6, 9).

Un seul habit

Alors oui, je n’ai qu’un habit, mon col romain, noir qui plus est ; et je ne m’en inquiète pas davantage. C’est ma joie de l’enfiler chaque matin en me disant que je revêts la tenue du serviteur. Tant d’hommes et de femmes revêtent leur blouse pour se mettre au service de leurs frères. C’est ma tenue de service !

Mes filleuls me voient vivre avec ; ils s’amusent de cette languette blanche si caractéristique de leur parrain ; et c’est ma joie ! Ils sont comme tant d’hommes et de femmes qui aiment nous reconnaître. Pas dans une mondanité mal placée, mais parce que cet habit, lui aussi, est signe de notre consécration. Un prêtre habillé n’importe comment ou habillé avec des marques de luxe se coupe nécessairement de gens qui n’oseront plus l’approcher. L’habit du prêtre, sobre et sombre, dit sa disponibilité à être rejoint d’abord pour ce qu’il est, et non pas pour sa réussite sociale.

Le clivage le plus profond

Au fond, dans cette question de l’habit et de notre paie, c’est bien l’Évangile qui se laisse à nouveau questionner par le monde : Jésus appelle ses disciples à vivre de ce que l’on appelle les « conseils évangéliques » de chasteté (ce qui dans la vie du prêtre se traduit par la continence), de pauvreté et d’obéissance. Et c’est là, peut-être, le clivage le plus profond. 

L’engagement à vivre ces conseils évangéliques est une réponse que le Christ a toujours donnée à son Église pour les maux de notre temps. Face à une humanité en mal de désirs charnels, d’avoir et de pouvoir, ces trois conseils évangéliques questionnent encore — la preuve.

Le signe de notre obéissance

Veut-on nous marier vraiment ou nous propose-t-on d’entrer dans cette frénésie sentimentale et sexuelle qui fait que l’on change de partenaire toutes les semaines ? Serait-ce bien là la joie véritable de la vie conjugale ? Nous propose-t-on d’avoir un salaire plus « décent » ou d’entrer dans cette frénésie de la consommation qui fractionne, chaque jour un peu le clivage toujours plus scandaleux entre pauvres et riches ?

La sobriété de notre habit, que l’on veut sans cesse réformer, est le signe de notre obéissance (et je mets de la couleur tous les jours : à la messe !). Au fond, donc, à quoi cela servirait-il si ce n’est à faire du prêtre un homme comme tout le monde … ?

À travers les siècles, la tentation n’aura jamais diminué de vouloir faire du prêtre quelqu’un de transparent… L’Église ne sera jamais un club ou une association qui avancera au gré des vents. Le prêtre ne sera jamais un homme comme tout le monde, puisque par sa volonté de vivre des conseils évangéliques, il rappelle à notre société qu’elle n’est pas uniquement faite pour le sexe, le pouvoir et l’argent.

La présence du prêtre au monde rappelle aux hommes qui veulent bien les écouter qu’ils sont appelés sur un chemin de plus grande liberté alors que ce monde tend à l’enchaîner dans des pulsions jamais assouvies totalement : on en voudra toujours plus ! Nos engagements, nos « vœux » si l’on préfère, manifestent la liberté suprême de l’homme qui peut s’engager et se donner à Dieu.

Il en va du rapport de l’homme aux biens (pauvreté), à autrui (la chasteté), et à son destin (l’obéissance) : l’homme est une liberté à même de ne pas se laisser emprisonner. Et c’est ce témoignage que nous voulons donner au monde, y compris à travers d’inévitables combats. Oui, les choses ne sont parfois pas simples à vivre au quotidien. Mais la joie qui découle de notre fidélité renouvelée et fortifiée, y compris par le pardon du Seigneur, vaut bien toutes les richesses du monde, croyez-moi ! Ma famille et mes amis ne cessent de le constater : je suis un prêtre heureux ; qu’on se le dise !

La conception de l’Église

L’idéal que nous voulons donner en exemple au monde est un idéal difficile à atteindre et à vivre, oui. Mais la prise en compte du vécu, de nos histoires sacerdotales, quelles qu’elles soient, et de ses souffrances, de ses blessures et de ses difficultés aussi, ne sera jamais une raison suffisante pour considérer que cet idéal est inaccessible.

Si le Christ nous a laissé cet appel vibrant dans l’évangile à ne pas vivre comme le monde, c’est pour que notre vie témoigne d’un peu plus que nous-mêmes. Nous essayons à travers cela, bien humblement certes, de montrer le chemin vers Dieu. Nous ne sommes pas les seuls ; mais nous y participons.

C’est la conception de l’Église qui est en jeu : n’est-elle qu’une institution parmi tant d’autres, jouant le même jeu des lobbyings et du pouvoir ou demeure-t-elle capable, par son mode de vie et par l’Évangile où elle puisera jusqu’à la fin des temps, du courage nécessaire pour contredire le monde qui a tant besoin de se décentrer de lui-même et de relever la tête ?

Jésus a prévenu ses disciples : « Vous n’êtes pas du monde » (cf. Jn 17, 16). Vouloir nous faire du monde, vouloir nous faire vivre comme le monde, c’est au fond, nous éloigner encore un peu plus de l’évangile… Et c’est cela, vous le comprendrez, qui me gêne le plus.

 

Le père Cédric Burgun est canoniste, prêtre de la Communauté de l’Emmanuel pour le diocèse de Metz, enseignant-chercheur à l’Institut catholique de Paris.

 

 

*