Paul-François Paoli : « La droite a un boulevard devant elle si elle sait l’utiliser »

Paul-François Paoli est journaliste et essayiste. Son dernier ouvrage, Pour en finir avec l’idéologie antiraciste (Bourin éditeur) est paru en 2012 [1]. Pour lui, La Manif pour tous a révélé la « fracture » entre les électeurs de droite et les responsables de l’UMP. Il espère une reconstruction de la droite à partir de « fondamentaux » comme la souveraineté nationale, quitte à s’allier avec le FN.

Liberté politique — L’UMP, après avoir hésité, s’est majoritairement engagée contre la loi Taubira, bien que des voix de droite aient permis le vote du « mariage et de l’adoption pour tous » au Sénat. Comment analysez-vous le positionnement de la droite sur ce sujet ? 

Paul-François Paoli — Ce qu'il est convenu d'appeler la droite libérale en France, ou le centre droit, a depuis longtemps intégré les valeurs sociétales de la gauche, ce qui en soi n'est pas surprenant puisque, historiquement, le libéralisme est né à gauche. Le philosophe Jean-Claude Michéa a parfaitement montré le lien génétique existant entre la gauche historique et un libéralisme culturel par définition "progressiste", qui est aussi celui des médias. Exemple de libéralisme culturel : l'idée que l'avortement constitue, par définition, un progrès de civilisation. Or cela ne va pas de soi. Et c'est pourquoi la fracture se situe aujourd’hui ailleurs qu'entre la gauche social-démocrate et ses alliés libertaires ou écolos et une pseudo "droite" inconsistante dont un personnage comme Luc Chatel est assez emblématique, lui qui a accusé Vincent Peillon d'être vichyste parce qu’il veut réintroduire la morale à l'école.

L'immense mobilisation de La Manif pour tous a montré qu'il existe aujourd'hui une fracture profonde en France et que celle-ci est existentielle. Il s'agit d'un débat civilisationnel. Or la pseudo droite politique n'est pas armée pour ce débat, à l'exception de quelques brillantes individualités comme Henri Guaino, ou quelques autres.

« La pseudo droite politique n’est pas armée pour un débat civilisationnel »

Beaucoup des sympathisants de droite seraient donc descendus dans la rue parce qu’ils n’avaient pas confiance en l’UMP pour jouer son rôle d’opposant… Autrement dit, le succès de La Manif pour tous est aussi l’échec de la droite ?

Oui, bien sûr. En réalité les dirigeants de la droite politique ont une peur bleue d'être associés par les médias aux discours du Front national qui a de plus en plus d'impact sur leur électorat. Ce qui explique qu'ils sont en porte-à-faux.   

« L’homme de droite est persuadé que c’est la permanence, garante de stabilité, qui est civilisatrice »

Nicolas Sarkozy et de nombreux députés UMP ne supportent pas d’être présentés comme des « conservateurs ». Or la droite n’est-elle pas conservatrice par essence ?

La droite politique est dans un état pitoyable mais elle n'a que ce qu'elle mérite.  Ses chefs sont, dans l'ensemble, médiocres et dépourvus de colonne vertébrale. Par essence, la droite est  conservatrice et toute civilisation digne de ce nom tend à conserver ses fondements. Churchill et De Gaulle étaient des conservateurs fondamentaux et non des post-modernes, à l'instar de Najat Vallaud-Belkacem ou Christiane Taubira. Ils étaient de droite au sens fondamental du terme, même s'ils n'étaient pas réactionnaires, c’est-à-dire désireux de revenir au passé. Ce qui distingue foncièrement la gauche est l'idée que tout ce qui est inédit est progrès, ainsi par exemple de l'idée de mariage pour tous. L'homme de droite est lui persuadé que c'est la permanence, garante de stabilité, qui est civilisatrice. 

Lors des campagnes électorales, la droite transgresse, en parlant de sujets comme l’immigration. Il n’y aurait donc derrière cette audace que de l’électoralisme ?

Je ne peux juger de la sincérité de gens que je ne connais pas personnellement, mais qui peut croire vraiment en la sincérité de M. Copé ?

Question transgression, il y aussi le Front national. Marine le Pen est favorable à la retraite à 60 ans, à une hausse des salaires, à un retour de l’État colbertiste. Dès lors, peut-on la classer à droite ?

Marine Le Pen fait des propositions peu crédibles et même absurdement démagogiques comme celle de la retraite à 60 ans. Elle va à la pêche d'un électorat populaire déboussolé qui a déserté la gauche et elle parvient à ses fins grâce à une très forte pugnacité. Elle est une femme de droite évidemment, elle dirige un parti attaché à un patriotisme à la fois intransigeant et autoritaire. 

Constitue-t-elle une menace particulière pour le centre droit ?

Elle représente un vrai danger pour un centre droit qui ne peut plus répondre aujourd'hui à la demande d'autorité qui provient des classes populaires mais aussi des classes moyennes concernées par l'insécurité.

Les municipales approchent et la question des alliances entre le Front national et l’UMP revient sur la table. Serait-ce une bonne stratégie politique pour la droite  de s’allier avec Marine le Pen ?

Personnellement je ne serais pas opposé à des alliances et ce pour une simple raison : l'électeur de l'UMP est, dans l'ensemble, moins éloigné de celui du FN que de celui du PS ou du Front de gauche. Mitterrand ne s'est pas gêné pour s'allier aux communistes en 1974, quand le PCF était encore sous orbite soviétique. La politique n'est pas la morale. Les communistes et les socialistes se détestaient, cela ne les a pas empêché de faire front commun.

« L’identité de la France, tout à la fois chrétienne et marquée par les Lumières, n’est pas négociable »

Sur quelles thématiques la droite pourrait-elle s’appuyer pour renaître de ses cendres ?

La droite doit pouvoir se fédérer, comme la gauche, à partir de quelques fondamentaux. La souveraineté nationale sans laquelle l'autorité de l'Etat est une fiction en est un sans doute. Pourquoi parler de "solidarité nationale" si nous sommes entrés dans une ère post-nationale ? À quoi bon entretenir les nombreux fonctionnaires d'un État qui ne peut même plus assurer la sécurité des Français, à Marseille comme à Trappes ?  Comment des gens comme Fillon et Juppé peuvent ils encore se prétendre gaullistes alors que l'œuvre du général de Gaulle est par terre ? 

Dans un entretien que j'ai réalisé pour le Figaro littéraire (19 septembre 2013) la sociologue Dominique Schnapper, ex-membre du Conseil constitutionnel, rappelle que son propre père, Raymond Aron, qui était pourtant un libéral, n'était justement pas convaincu par la construction européenne en cours. Il est mort en 1985 mais que dirait-il aujourd'hui ? 

« La société a besoin de normes et d’autorité, or la gauche est, par définition, brouillée avec ces deux notions »

La droite doit donc se repenser à partir de quelques principes : l'identité de la France, tout  à la fois chrétienne et marquée par les Lumières, n'est pas négociable. L'Europe est d’abord une civilisation et elle n'a pas vocation à servir de laboratoire au multiculturalisme comme ce fut le cas en Angleterre, avec les résultats qu'on sait.

Enfin, la société n'a pas besoin de sempiternels discours sur les valeurs républicaines, mais de normes et d'esprit de responsabilité. Les "valeurs" qu'elles soient républicaines, libérales ou chrétiennes, peuvent toujours êtes contestées ou relativisées, tandis que des normes ne peuvent l'être. Ne pas tutoyer son professeur n'est pas une valeur, c'est une norme et ce n'est pas négociable. 

Il faut donc réinstaurer des sanctions lourdes excluant ceux qui les enfreignent. Il nous faut sortir du discours lénifiant sur l'exclusion. Une institution, à commencer par l'école, qui ne peut se donner les moyens d'exclure ne peut plus inclure. Inclusion et exclusion sont liées. La droite a un boulevard devant elle si elle sait l'utiliser : la société a besoin de normes et d'autorité, or la gauche est, par définition, brouillée avec ces deux notions.

 

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

Photo : LeTélégramme
[1] Un extrait de Pour en finir avec l’idéologie antiraciste est disponible ici.