Le « mariage pour tous »: une caricature de citoyenneté

Le projet de loi « mariage pour tous » représente l'illustration parfaite de la perversion de l'idée de citoyenneté à l'œuvre dans nos sociétés postmodernes. 

En effet, l'homme de la cité séculière occidentale, aussi individualiste qu'il soit devenu, n'est pas toutefois irréaliste au point de penser qu'il peut se passer de la société. Mais que va-t-il lui demander, à cette bonne et « incontournable » société, sinon la restitution de son droit ? Sous-entendu : par nécessité ou par arbitraire, cette même société l'en a spolié. Il s'agit pour elle de le lui rendre toute affaire cessante. 

Une société d'ayants-droit

L'individu se retrouve ainsi en face d'elle dans une posture de quémandeur  de « droits » toujours plus exorbitants, dans l'attitude du « client-roi ». Et les démagogues qui briguent ses suffrages le conforteront dans cette attitude en le persuadant qu'il est une éternelle victime, qu'il a droit à des dédommagements en proportion de la spoliation dont il a été affecté.

Désormais l'individu n'a plus d'obligations puisque l'obligation a été reportée du côté de l’État « provident ». C'est maintenant à ce dernier de garantir et de porter à accomplissement les droits des monades qui composent la société. Évidemment, une telle situation ne créé pas du Droit proprement dit : aucune instance transcendante ne peut en effet se porter garante de la légitimité d'une telle instauration. Seuls existent des « droits » ponctuels, droits arrachés par des individus à la société qu'ils estiment être en dette envers eux.

Se revendiquer d'un Droit plus général impliquerait avoir une certaine idée de l'homme. De cette idée, on déduirait les droits et devoirs qui lui correspondent. D'une telle définition de la nature humaine, la postmodernité ne veut à aucun prix. Un tel modèle humaniste signifierait par exemple qu'un enfant a le droit « par nature » d'être élevé par un père et une mère. Difficile aux partisans du « mariage pour tous » de souscrire à pareille vision des choses...     

La citoyenneté change de nature. Être citoyen, en postmodernité, ne consiste plus à être membre d'une communauté politique, avec tous les devoirs qui cela implique. Ni à se croire obligé envers ceux qui nous ont précédés, ou envers l'entité dont ils ont su préserver la liberté. L'individu pris dans cette pulsion revendicative n'est plus conscient d'être l'obligé d'une communauté (la Nation, la patrie, l’Église, etc.) qui transcende tous les membres qui la composent, parce qu'elle ne résulte de la simple addition de ses composantes, étant d'une nature différente.

Non, désormais, se revendiquer « citoyen » revient à mettre ses droits en avant. Le citoyen, c'est l'homme qui « a des droits ». Une espèce de client-roi.  Plus aucune transcendance (le Bien commun, la Liberté de la nation, l'incorporation à la Trinité par l'Église des membres du Corps du Christ pour les croyants) n'est en mesure d'imposer son modèle d'intégration.  Ce dernier variera en fonction de la sensibilité de chacun. Si bien qu'en l'absence de coïncidence de ces « sensibilités », les projets de « faire du  lien » en resteront au stade du pique-nique sous un arbre de la liberté par une belle après-midi du mois de mai. Ce qui n'empêchera pas l'inflation de l'emploi du mot               « citoyen » dans les discours des uns et des autres. Lorsqu'une réalité est en passe de déserter la réalité, le meilleur moyen d'exorciser sa disparition consiste encore à rabâcher son nom comme un mantra. Faire passer le signe pour la chose...

L'homme réduit à une abstraction

Le libéralisme idéologique a puissamment contribué à cette surenchère revendicative. En fournissant une définition des plus succinctes de la nature humaine, il a transféré toute la charge de nos identités sur la volonté au détriment de la vérité profonde de nos êtres. L'homme devient ce qu'il veut, en s'exemptant de la peine de rejoindre la vérité de ce qu'il est au plus profond de lui-même.        

Selon le libéralisme, la nature humaine se réduit à un sujet de droit, rien de plus. Toute dimension sociale, psychologique, spirituelle a disparu chez elle. Privé de nature, l'homme l'est également d'une finalité qui serait inscrite dans son être. Or pour tendre vers une destination encore faut-il en avoir une notion a minima. Aussi, ne pouvant rien vouloir de précis, l’individu abstrait est condamné à vouloir. Une volonté au carré, soumise aux seuls fantasmes d'une création de soi par soi qui n'est jamais à l'abri des dérapages. Ainsi s'explique en partie ce désir de mariage chez certains homosexuels, alors que la notion de ce dernier implique par nature l'union de deux personnes de sexe différent.

Une quête obsidionale de soi  

L'homme de la cité séculière n'a plus une idée très nette de sa nature. Il a perdu la définition de son être à force d'en être mécontent. Marinant dans un nihilisme soft, civilisé et courtois le plus souvent, il s'est décomposé, réduit à la portion congrue d'une abstraction désincarnée, un sujet de droit mal dégrossi. Mal à l'aise avec lui-même il tente de compenser son angoisse par toute une gamme de revendications sensée l'en guérir.

En imputant sa difficulté à vivre avec lui-même à une discrimination tournant à l'obsession (discrimination souvent réelle), et que l'obtention de droits est censée pouvoir compenser, voire effacer, l'individu abstrait de la postmodernité fait dériver le mal des autres, s'innocentant au passage à bon marché. Au lieu de creuser son intériorité pour y discerner les causes de ce mal-être, il en cherche plutôt la réalité à l'extérieur de lui. Telle est l'impasse à laquelle a abouti la trajectoire aléatoire de ce projet de loi « mariage pour tous ».    

Au demeurant, la description de cette pathologie ne concerne pas l'ensemble de la communauté homosexuelle. Cette quête malheureuse n'est l'apanage de personne. Les personnes homosexuelles ne sauraient être tenues pour responsables d'une telle dérive. Il s'agit d'un processus bien plus profond.

 

Jean-Michel Castaing est l’auteur de 48 objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Editions Salvator, 2013).

 

Pour aller plus loin :
48 objections à la foi chrétienne (Salvator, 2013)