Le débat sur l’immigration existe-il encore dans l'opinion ?

Source [Le Point] Pour Christophe Guilluy, inventeur du concept de « France périphérique », l’approche politique « par tribus » ne fonctionne plus.

Géographe, souvent attaqué par le monde académique, Christophe Guilluy est aujourd’hui un « intellectuel désaffilié », qui refuse catégoriquement de se rattacher à une école de pensée. Là n’est pas le moindre de ses défauts. Cet observateur clinique des transformations du pays produit des travaux qui ont rencontré un certain écho depuis quelques années.

Il n’en fallait pas tant pour que le géographe – venu de la gauche – devienne celui qu’il fallait consensuellement détester dans sa famille politique d’origine, alors pourtant qu’il redonnait son lustre à des grilles de lecture on ne peut plus marxistes de nos sociétés… Christophe Guilluy décortique le malaise qui alimente les populismes. Interview.

Le Point : Vous écrivez que « pour la première fois depuis les années 1980, la classe dominante fait face à une véritable opposition. Les gens ordinaires sont sortis du ghetto culturel dans lequel ils étaient assignés, ils ont fait irruption au salon ». Pour vous, le réveil des classes populaires est un mouvement inéluctable ?

Christophe Guilluy : Pour comprendre les raisons d’un réveil des classes populaires, il faut remonter aux années 1980. Christopher Lasch, qui alertait sur la « sécession des élites », avait vu juste. Ce qu’il n’avait pas vu en revanche, c’est que ce phénomène s’étendrait au-delà des élites et toucherait l’ensemble des catégories supérieures. Elles aussi ont fait sécession. Ce n’est pas par stratégie ou volonté cynique, simplement, le modèle qui s’est imposé de fait ne permettait plus l’intégration économique du plus grand nombre. Ce modèle, c’est celui d’une mondialisation, synonyme à ses débuts d’une rationalité progressiste qui nous laissait croire, dans sa logique optimiste, que l’ouvrier d’ici allait être, pour son plus grand avantage, remplacé par l’ouvrier chinois.

Il y a toujours eu des voix discordantes, à droite comme à gauche, pour refuser ce modèle…

Oui, mais sans succès, car ceux qui doutaient étaient perçus comme des vieux ronchons, ce qui fut le cas de Jean-Pierre Chevènement par exemple. Pour le reste, le monde intellectuel, culturel, médiatique et les catégories supérieures allaient clairement dans le sens de ce qui semblait constituer à l’époque un progrès sympathique. Sauf que personne n’avait mesuré les effets sociaux qui allaient s’en suivre : la classe ouvrière s’est effondrée. Beaucoup pensaient à l’époque que ce phénomène se limiterait à la classe ouvrière et à la vieille industrie, au monde d’avant… Sauf que le phénomène a progressivement gagné le monde paysan, puis les petits employés d’une partie du secteur tertiaire, que l’on croyait pourtant préservé. C’est ce que j’ai appelé la désaffiliation économique des classes moyennes intégrées, qui hier étaient majoritaires. Ce modèle très inégalitaire a engendré une concentration des richesses et laissé de côté des pans entiers – finalement majoritaires – de la population occidentale. Cette réorganisation sociale s’est accompagnée d’une réorganisation géographique silencieuse très visible sur le territoire, avec l’hyper concentration des richesses dans les métropoles mondialisées.

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