Vincent, un adolescent de quinze ans, a été élevé avec amour par sa mère, Marie. Celle-ci a toujours refusé de lui révéler le nom de son père. Vincent découvre qu’il s’agit d’un éditeur parisien égoïste et cynique, Oscar Pormenor. Le jeune homme met au point un projet violent de vengeance, mais, alors qu’il renonce à cet acte, sa rencontre avec Joseph, un homme un peu marginal, va changer sa vie, ainsi que celle de sa mère. Avec : Ictor Eznfis (Vincent), Natacha Régnier (Marie), Fabrizio Rongione (Joseph), Mathieu Amalric (Oscar Pormenor), Maria de Mederios (Violette Tréfouille), Bernadette (Julia Gros de Gasquet), le Paysan (Jacques Bonnaffé), Philomène (Christelle Prot), Philibert (Adrien Michaux), la comédienne (Louise Moaty), la chanteuse (Claire Lefilliâtre), Théorbiste (Vincent Dumestre). Scénario : Eugène Green. Directeur de la photographie : Raphaël O’Byrne. Musique baroque du 17ème : Adam Michna Z. Otradovic, Elilio de Cavalieri et Domenico Mazzocchi.
De la Sainte Famille…
Avec son art bien à lui, à la fois pénétré de religiosité, de l’Ecriture Sainte et d’humour un brin provocateur, Eugène Green nous livre sans doute son film le plus lumineux à ce jour. Il le divise en cinq parties, lesquelles font toutes références à des passages de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Dans une première partie intitulée « Le sacrifice d’Abraham », le personnage central, Vincent, est en but face à sa mère et révolté par l’incompréhension de l’absence d’un père. Après avoir découvert qui était son père, il conçoit une vengeance à l’encontre de cet Oscar Pormenor, patron d’une maison d’édition à la mode. Cette vengeance lui est inspirée par une peinture qui décore sa chambre et qui n’est autre qu’une reproduction photographique du tableau du Caravage représentant le sacrifice d’Abraham. Dans « Le Veau d’Or » titre de la deuxième partie, Eugène Green nous fait découvrir le personnage du père et son milieu, celui de l’édition. Il dresse alors un portrait satirique d’une justesse remarquable et d’une drôlerie haute en couleurs sur le milieu de l’édition, milieu qu’Eugène Green connait très bien en sa qualité d’écrivain. Dans « Le Sacrifice d’Isaac », Vincent met à exécution son plan qui consiste à sacrifier son père dans une sorte de renversement du mythe, mais son bras est retenu (par un ange, une révélation, une grâce ?) et il laisse son père en vie. Quittant précipitamment les bureaux de son père, il fait la rencontre de Joseph dans le quatrième épisode « Le Charpentier ». Ce Joseph, qui se révèlera plus tard être le frère de son père, va devenir son père d’adoption, car entre Vincent et lui, s’établit, comme entre Jésus et Joseph dans la Sainte Ecriture, une relation filiale qui n’est pas fondée sur le sang. Dans ce passage, commence également à se dessiner une esquisse de la Nativité lorsque Joseph fait la connaissance de Marie, la mère de Vincent, sur l’initiative de Vincent...Joseph devient père de Vincent, fils de Marie, comme Joseph devient père de Jésus, fils de Marie dans l’Ecriture Sainte. Enfin, dans une cinquième partie « La Fuite en Egypte », cette famille reconstituée fuit la capitale pour la Normandie où Joseph veut s’installer comme agriculteur. Il s’agit d’une véritable prouesse que de parvenir à aborder et à traiter ce sujet de la paternité et de la famille d’une façon aussi singulière, en réinterprétant des thèmes de textes sacrés pour les adapter à des situations contemporaines.
Un propos et une mise en scène résolument non conformistes
Au moyen d’une mise en scène hiératique et volontairement marquée par le caractère peu naturel des situations et le jeu antinaturaliste des comédiens, jeu imposé dans le geste comme les dialogues (Robert Bresson n’est pas loin) dans lesquels les liaisons entre tous les mots du texte sont systématisées, créant un décalage surprenant avec le langage parlé d’aujourd’hui, le cinéaste amène adroitement le spectateur à l’essentiel de son propos qui se cache derrière la réalité des faits décrits et des images : la nécessité indispensable de se laisser pénétrer par l’amour divin. Ce thème central du film est complété par des considérations personnelles et tout à fait justes d’Eugène Green, sur la sauvagerie de notre époque consumériste, matérialiste et résolument tournée vers l’argent (« Le Veau d’or »), sur la place fondamentale que doit jouer la transmission de la culture et de l’art dans une société qui cherche au contraire à couper l’individu de ses racines et d’autres thèmes encore…Si, Eugène Green est on ne peut plus sérieux lorsqu’il aborde le thème de la paternité, il s’est aussi mêler l’humour à la gravité. C’est ainsi, qu’il inscrit son film entre deux courtes séquences qui se répondent l’une à l’autre et qui constituent une ellipse fulgurante sur les dangers de l’eugénisme : dans ces deux séquences, un camarade de Vincent lui propose de s’associer avec lui dans une entreprise de vente de sperme en ligne qu’il vient de créer. Dans la première séquence, l’ami explique qu’il va avoir de la peine à fournir seul. Cependant, Vincent refuse bien entendu de s’associer. Dans la seconde séquence, lorsqu’il croise à nouveau son ami, celui-ci a bien mauvaise mine car, seul, il a en effet bien du mal à faire face. Vincent l’abandonne à son commerce mortifère, tout tourné, lui, vers la constitution d’une véritable famille, vers la vraie vie.
Un film métaphorique de bout en bout
Tout le film est construit comme une métaphore de la Sainte Famille à l’intérieur de laquelle, comme avec des poupées russes, le cinéaste accumule les allégories et autres métaphores avec un art qui n’a rien à envier à celui utilisé dans Hellzapoppin (1941) de H.C. Potter, film dans lequel s’accumulaient des films dans le film. Cette comparaison peut paraître très osée et elle a ses limites, le propos d’Hellzapoppin se bornant au burlesque, là où Eugène Green amène le spectateur à une réflexion fondamentale et où il provoque clairement l’esprit de notre époque postmoderne. Elle se justifie, toutefois, dans la mesure où le cinéaste fait montre d’un sens finalement très comparable à l’absurde. Cette approche décalée et comique débouche sur un résultat aussi remarquable qu’unique, un film d’une grande beauté sur la paternité et la famille, une comédie qu’on peut qualifier d’évangélique et à contre-courant des idées reçues.
Bruno de Seguins Pazzis
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