L'Observatoire des marchés de l'ancien de la FNAIM a publié en janvier sa note de conjoncture, qui constate une forte hausse des prix de l'immobilier en 2004 et prévoit sa continuation pour 2005.

La presse en a largement fait écho, en négligeant — selon la détestable habitude de cette profession — de confronter les analyses de la FNAIM à celles d'autres sources.

Le constat de base est simple : les prix de l'immobilier ancien ont augmenté de 15,5 % en un an sur l'ensemble du marché — ce qui revient à une hausse de 47,7 % sur trois ans et de 87,9 % sur six ans. Cette croissance a été la plus forte en Île-de-France (17,8 % en 2004, contre 14,4 % en 2003) et dans le Sud-Ouest (16,6 % en 2004, contre 19,8 % en 2003), mais aucune région de France ni aucune ville n'est restée à l'écart de la progression. Seul le nombre de transactions a légèrement diminué (– 2,1 %).

La croissance des prix devrait se poursuivre en 2005. Les raisons invoquées sont simples : les bonnes conditions du crédit, principalement. Mais si la hausse n'était due qu'à cela, ne serait-ce pas le signe d'une bulle spéculative ? Il faut creuser plus avant.

L'Observatoire de la FNAIM relève quelques particularités supplémentaires. Les taux d'effort des nouveaux acquéreurs (c'est-à-dire la part de leur revenu consacrée au logement) sont " très élevés ". Les durées moyennes d'endettement ont continué d'augmenter pour atteindre 16 ans et 9 mois, et la part d'apport personnel, de diminuer. La demande " souffre de plus en plus de la dégradation de ses capacités de solvabilité ", mais elle a " surpris par sa vigueur ". Ces remarques ne conduisent pourtant à aucune conclusion. Pourquoi ? Comment expliquer que les acquéreurs continuent d'affluer au détriment même de leur niveau de vie ?

Les autres explications semblent faibles pour justifier ce dynamisme général du marché : les retraités qui investissent dans la pierre, les étrangers de plus en plus nombreux qui achètent en France, etc.

En septembre 2004, la Banque de France avait fait paraître dans son bulletin une étude intitulée " Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ? ". Il est surprenant que les analystes de la FNAIM négligent totalement les indications, pourtant précises, contenues dans ce document.

La Banque de France constate que la capacité d'achat des ménages " se dégrade régulièrement depuis 2000 ", et surtout que leur endettement se situe " au niveau historiquement le plus élevé ". Concernant les achats immobiliers réalisés par les non-résidents sur le marché français, la Banque de France note leur forte progression (9,2 milliards d'euros en 2003, contre 1,1 en 1990 et 3,6 en 2000), mais précise que leur impact sur les prix est difficile à apprécier dans la mesure où les données disponibles ne distinguent pas les acquisitions résidentielles des non résidentielles.

Le même document indique que la demande immobilière est fonction de deux facteurs : la capacité d'achat des ménages et les phénomènes démographiques. Si la capacité d'achat est à la baisse et que la demande se maintient, il faut alors considérer ces phénomènes démographiques.

La Banque de France explique donc : " Du fait du vieillissement de la population et de la hausse du nombre de divorces, le nombre de ménages progresse plus vite que la population globale : 1,2 % par an en moyenne de 1975 à 1999, contre 0,4 % par an. À partir des projections démographiques de l'INSEE et en prenant pour hypothèse le maintien du taux de logements vacants à son niveau actuel, la construction de 320 000 logements supplémentaires par an serait nécessaire jusqu'en 2005, puis de 290 000 logements de 2005 à 2009, selon le ministère du logement. De tels niveaux n'ont pas été atteints depuis 1990. " Plus précisément, pour la première fois en 2004, le nombre de logements neufs mis en chantier a atteint celui de la demande supplémentaire, avec 340 000 unités. Mais ce chiffre élevé ne résorbe nullement le déficit cumulé de constructions sur 15 ans, soit entre 200 et 300 000 unités.

Vue sous cet angle, la situation du marché de l'immobilier s'éclaire singulièrement.

1/ Le logement est un bien de première nécessité. Le bien-être des ménages en dépend pour une grande part, car de nombreux aspects de la vie sont déterminés par son choix : durée de transport pour accéder à son travail, à ses occupations et aux commerces ; écoles accessibles pour les enfants ; proximité des amis et de la famille ; cadre social ; agréments ou nuisances de l'environnement ; qualité et confort de l'installation, etc. Ce budget prime les autres, et il n'est pas possible de s'en passer.

2/ Le phénomène de la monoparentalité est l'explication de fond du maintien d'une demande forte, donc de la hausse des prix sur l'ensemble du territoire. Les ménages complexes (en général, un couple qui héberge un ou plusieurs ascendants ou collatéraux) ont disparu, alors qu'ils constituaient 19,8 % des foyers à la fin des années 1960. À leur place, de plus en plus de personnes vivent seules (29 % des ménages en 2003) : veufs (à cause de l'allongement de la durée de vie), divorcés, célibataires... Ce sont autant de logements supplémentaires nécessaires. De même, la proportion de familles monoparentales a plus que doublé pendant les vingt dernières années pour atteindre 7,4 % des foyers. Dans ce cas particulier, en raison des gardes alternées, il faut généralement compter que chacun des deux parents cherche à disposer d'un logement suffisamment grand pour héberger ses enfants. Même les personnes qui ont un partenaire régulier préfèrent souvent conserver leur chez-soi, comme un gage de liberté. Cette mutation sociale explique que la croissance des prix de l'immobilier ne peut que durer dans les années à venir, et qu'il ne s'agit nullement d'une bulle spéculative.

3/ La hausse des prix a pour conséquence une croissance importante du budget des ménages consacré au logement. Ce poste représente 19,1 % des dépenses des ménages — loin devant le transport (11,6 %) et l'alimentation (11,4 %) — et connaît une augmentation relative importante et durable (+ 2,8 % en 2003). Ce poids dominant et croissant du logement, alors que les revenus tendent à décroître, explique assez bien la faiblesse actuelle de la consommation. Il est illusoire de vouloir relancer cette dernière en gagnant quelques pourcentages sur la part alimentaire achetée dans les grandes surfaces : la cause n'est pas là.

4/ Au regard du taux actuel d'endettement des ménages français, il est non seulement vain mais irresponsable de promouvoir le crédit à la consommation. Cela ne renforcera guère la consommation, puisque le problème n'est pas traité. D'autre part, que le crédit à la consommation soit plus répandu dans les autres pays développés ne constitue pas un argument en sa faveur. Au niveau macroéconomique, le seul crédit qui importe et qui doive être facilité est le crédit à l'investissement productif, et plus particulièrement à la création et au développement d'entreprise. Or ce point n'est pas traité.

5/ Les bonnes conditions actuelles du crédit au logement ne sont pas la cause de la forte demande. Elles ne sont que le palliatif qui permet à de nombreux ménages de pouvoir encore se loger.

6/ Une autre conséquence moins visible de la hausse des prix de l'immobilier doit être relevée. La croissance des prix d'achat entraîne une croissance des prix des locations. Au total, le logement devient inaccessible aux personnes qui, bien que travaillant, ne perçoivent que de faibles revenus. Aujourd'hui, un tiers des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale est occupé par des personnes à même d'être autonomes, c'est-à-dire potentiellement réinsérées, mais qui n'ont pas les moyens de se loger par elles-mêmes. Face à cet engorgement dans le circuit de la réinsertion faute de débouchés en logements, la surcharge se déplace sur les centres d'hébergement d'urgence, et finalement dans la rue, où restent de plus en plus de personnes qui ne peuvent plus être hébergées nulle part. (Le coût du logement n'est pas la seule cause de la saturation du système de réinsertion sociale en France. L'autre raison, au moins équivalente, est l'afflux massif de demandeurs d'asile depuis 1996.)

La solution au problème du logement des personnes aux revenus trop faibles pour accéder aux prix actuels n'est pas dans la création massive d'habitats sociaux. Il faudrait entreprendre un vaste plan de construction privée, de telle sorte que l'offre rejoigne le niveau de la demande. Si cet équilibre est atteint, les prix se relâcheront par eux-mêmes, et le marché cessera d'être tendu pour redevenir fluide.

7/ Ayant négligé de considérer les causes socio-démographiques de la situation actuelle, la politique sociale et économique du gouvernement français est inadaptée et vraisemblablement dangereuse. Plutôt que d'afficher d'illusoires plans de cohésion sociale ou de relance de la consommation, s'il n'a pas les moyens de faire mieux, alors mieux vaudrait qu'il ne travaillât à recouvrer sa marge de manoeuvre.

8/ Il faudrait s'interroger sur les autres conséquences de la multiplication des ménages composés d'un seul adulte. Ce phénomène n'est plus marginal et risque de devenir majoritaire. Or il s'agit de la cellule sociale de base. Sa modification affecte nécessairement le corps social dans son ensemble — probablement en l'appauvrissant, certainement en le fragilisant.

* Guillaume de Lacoste Lareymondie est éditeur en gestion.

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