A priori, on peut penser que le président de la République a intérêt à une victoire du oui au référendum sur la Constitution européenne. Rien n'est moins sûr.

Si le oui l'emporte, même d'une courte tête, l'Europe aura évité la crise.

Pas la France. Les énormes tensions intérieures, dont la stagnation de l'emploi et des salaires et le piètre bilan du gouvernement Raffarin sont responsables, perdureront, aggravées par l'immense frustration de tous ceux qui, ayant voté non, auront le sentiment que la règle du jeu n'aura pas été respectée. Ces frustrations s'exprimeront peut-être dans la rue. Elles attendront plus vraisemblablement les échéances électorales de 2007. Faute que les " humeurs " des Français aient été purgées au référendum, elle le seront à coup sûr à ce moment là, conformément d'ailleurs à l'habitude qui veut qu'à toutes les élections législatives depuis 1978, on " sorte les sortants ".

D'autant que, la crise évitée, la victoire du oui ne pourra justifier qu'un remaniement ministériel minimum. L'hypothèse d'un gouvernement Raffarin IV, encore envisagée il y a un mois, semble certes écartée. Mais on préférera de toutes façons une solution facile : l'hypothèse Alliot-Marie, qui a aujourd'hui le vent en poupe, garantit la loyauté du gouvernement et la poursuite du conformisme technocratique qui prévaut depuis 2002. Il y a peu de chances qu'elle satisfasse les aspirations des Français à une véritable prise en main de leurs problèmes. Ceux-ci, même sans se faire d'illusions sur la gauche, auront une raison de plus de sanctionner en 2007, dès le premier tour sans doute, un quinquennat décevant.

La tendance actuelle qui place, en cas d'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy en tête au premier tour se confirmera. Les réseaux de ce dernier semblent pousser à une solution Alliot-Marie . Le député de Neuilly affronterait alors Lionel Jospin dont l'intervention en faveur d'un oui socialiste au référendum a eu un impact décisif dans l'opinion de gauche.

Et le non ? Contrairement à ce que beaucoup croient, l'actuel président de l'UMP pourrait en sortir plus affaibli que le chef de l'État. Tenir le degré d'engagement de l'un et de l'autre (plus fort pour Chirac que Sarkozy, semble-t-il ) pour seule jauge de leur échec relatif en cas de victoire du non est un raisonnement un peu court. Chacun a son image, construite dans la durée et ayant sa logique propre. Le succès de Nicolas Sarkozy dans l'électorat de droite repose sur une certaine vision de la modernité à la fois libérale, pro-européenne, voire pro-américaine. Précisément celle qui en prendrait un coup si le non l'emporte.

Une victoire du non, remettant en cause cette image de la modernité sur laquelle notre société fonctionne depuis au moins trente ans, aurait pour effet de " ringardiser " ceux qui s'y rattachent. Sarkozy plus que Chirac donc.

Ce dernier a construit au contraire sa longue carrière sur une image à la fois nationale et " terroir ", celle du bouillant ministre de l'Agriculture de 1972, que ses partenaires – mais pas les éleveurs du Massif central - tenaient pour fou. Les spécialistes de la communication le savent : on ne se remet jamais de sa première image. Bien que Jacques Chirac ait fait beaucoup d'efforts pour la faire oublier, elle reviendrait très vite au premier plan, les circonstances aidant. Une telle image serait plus adaptée que celle que véhicule Sarkozy en cas de victoire du non. À très court terme cette victoire serait certes un sérieux camouflet pour le chef de l'État, mais il en a vu bien d'autres ! On sait en outre que, pataud dans la routine politique, Jacques Chirac se retrouve dans les situations de crise nationale ou internationale : comme son illustre prédécesseur, il est davantage lui-même dans l'orage. La victoire du non en provoquerait un beau. Nul doute que le Président saurait alors rebondir, en mettant par exemple bruyamment l'insuccès de la Constitution sur le dos de la Commission de Bruxelles.

Après un tel résultat, le chef de l'État, non seulement serait contraint de changer de Premier ministre, mais il ne pourrait faire le choix de la médiocrité. La solution Villepin trouverait alors du crédit. Elle devrait être assortie d'un remaniement en profondeur d'une équipe d'un faible niveau général et gravement usée. Comme Chirac, l'intéressé, quelque zèle qu'il mette à défendre la Constitution, a construit son image sur une affirmation nationale : son discours de New York, un acte de foi en la France adapté à la situation que créerait un rejet de la Constitution. Non qu'on soit sûr que le bouillant ministre de l'Intérieur réussisse, mais parce qu'il est le seul (l'hypothèse d'un appel à Sarkozy semblant exclue) dont on ne soit pas à peu près sûr de l'échec. Quoi qu'il en soit, succès ou échec, seul un gouvernement ayant du panache peut faire oublier Sarkozy.

À gauche, une victoire du non justifierait le pari risqué de Laurent Fabius. Aussi peu aimé par les militants que l'était (qui s'en souvient ?) un certain François Mitterrand dans les années soixante-dix, il serait alors difficilement contournable pour le Parti socialiste. Nous aurions dans ce cas en 2007 un second tour Chirac-Fabius. Ce n'est pas forcément la plus mauvaise hypothèse si l'actuel Président envisage un troisième mandat. Surtout si les Français se sont déjà défoulés en mai 2005.

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