L'État entend se désengager du subventionnement de la carte Famille nombreuse SNCF qui allégeait jusqu'ici un poste de dépense important pour les familles de trois enfants ou plus. Cela ne signifiera pas sa suppression, a-t-on finalement appris.

Une annonce faite dans la cacophonie, signe que la politique familiale du gouvernement n'est pas claire. L'heure est plus que jamais à la vigilance.

Le torchon a failli brûler entre les familles et le gouvernement. En annonçant le désengagement de l'État de la carte Famille nombreuse, qui serait ravalée au rang de produit commercial , Nadine Morano, secrétaire d'État à la Famille a provoqué la consternation et déclenché une tempête médiatique. Sans préavis : même la SNCF n'a été alertée que par voie de presse. Du côté des associations familiales et des syndicats, c'est une levée de bouclier unanime, au nom des 3 millions de bénéficiaires des tarifs réduits. Il faut dire que c'est une vénérable grand-mère qu'on veut assassiner : la carte Famille nombreuse, spécificité française, aurait eu 90 ans en 2011.

Au-delà des 70 millions d'euros d'économie que la suppression de cette subvention est censée rapporter, c'est un symbole qui s'évaporerait  : celui d'une politique de la famille universaliste . Les spécialistes du sujet comme Christine Boutin, actuelle ministre du Logement, n'ont eu de cesse de distinguer la véritable politique familiale de la politique sociale de la famille. La première est pour tous, tandis que la seconde est réservée aux familles en difficulté. La première vise à compenser une part de l'investissement éducatif consenti par les parents ; elle reconnaît le rôle économique des nouvelles générations. La seconde n'est que curative voire palliative .

Pour confirmer l'intérêt de la politique familiale, il suffit de voir la situation démographique des pays européens n'en ayant pas. Plus de ribambelle de bambini dans les rues italiennes : avec un taux de fécondité de 1,24 enfant par femme contre 1,90 pour la France, la péninsule subit un véritable un suicide démographique. Quand aux Allemandes, 40% ne veulent plus avoir le moindre enfant. Hasard de calendrier, l'ancien président allemand Roman Herzog a dit craindre aujourd'hui que son pays ne soit en passe devenir une démocratie de retraités au détriment des jeunes générations. À la fin, il se pourrait que les plus âgés pillent les plus jeunes a-t-il prévenu.

Est-ce au moment où ses voisins lorgnent sur sa politique familiale que la France la sacrifierait ? Suppression de la Conférence de la famille ; réforme des allocations familiales retirant 138 millions d'euros aux familles ; proposition du rapport Attali – écartée pour le moment par le Premier ministre – de mettre ces allocations sous conditions de ressources... Et c'est bien cela qui se profile pour un éventuel succédané de carte familiale. Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée l'a confirmé en tentant d'abord de tempérer l'effet d'annonce  : Je suis plutôt attentif à ce que [le] plafond [de ressources] ne soit pas trop bas. Puis, face à l'ampleur de la protestation, il a fini par dénoncer un grand cafouillage gouvernemental en se rangeant dans le camp des adversaires résolus de la réforme, et de toute mise sous conditions de ressources.

Dominique Bussereau était aussitôt mis sur la sellette : le ministre des Transports faisait même involontairement monter la pression en soufflant, dans la même interview, le chaud et le froid, annonçant d'abord que la carte allait certainement disparaître pour être remplacée par un instrument comparable avant de préciser que les réductions pour les familles nombreuses ne disparaîtront pas mais que la carte elle-même allait évoluer , évoquant alors des réductions conditionnées au voyage de la famille entière... Immédiatement les parents ont songé aux nombreux voyages estivaux des adolescents seuls.

L'abandon du principe d'universalité de la politique familiale alarme au-delà des personnes concernées. Qui peut se dire à l'abri d'un changement de barème ou d'un changement de tranche de revenu ? De plus, ce ne sont pas seulement les familles nombreuses existantes qui seraient pénalisées mais aussi celles qui pourraient un jour accéder au troisième enfant, celui qui, jusqu'ici ouvrait droit à 30% de réduction dans les trains pour toute sa famille (et jusqu'à 75 % à partir de six enfants mineurs). Or, on reconnaît que c'est cet enfant-là qui occasionne immédiatement une nette baisse du niveau de vie, en faisant exploser les frais de garde, de logement (déménagement) et de transports (changement de voiture), sans oublier, plus tard, les chères études (car, désormais, l'éducation dure vingt ans, ou plus).

Le mouvement familial déplore par ailleurs que les excédents de la branche famille soient régulièrement utilisés pour combler les déficits des autres branches (retraites, santé, dépendance).

Cacophonie

L'annonce de Nadine Morano a provoqué la cacophonie dans le monde politique. Partagée entre l'hostilité au gouvernement, la défense des acquis sociaux et des relents d'idéologie antifamiliale, la gauche réagit en désordre, à l'image de la députée socialiste Marisol Touraine, s'exprimant dans La Croix. Après avoir affirmé que la démographie était un des atouts de la France et reconnu la nécessité d' une politique volontariste de soutien aux familles nombreuses elle avoue  : S'agissant de la carte Famille nombreuse, cela ne me gêne pas que l'État retire son financement. Mais les Verts ont trouvé à la suppression de la carte un inconvénient spécifique par la voix de leur porte-parole, Anne Sourys  : On voudrait inciter les gens à prendre leur voiture plutôt que le train qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

À droite, c'est aussi la rébellion, dans un contexte de grogne des parlementaires. Hervé Mariton, député UMP de la Drôme et rapporteur spécial du budget des transports a annoncé son intention de rétablir le financement des tarifs sociaux SNCF à la prochaine occasion. L'épisode est d'autant plus malvenu que le gouvernement Villepin avait lancé à grand renfort de publicité l'extension de la carte Famille à une cinquantaine de partenaires commerciaux, cette carte coûtant d'ailleurs déjà 18 euros pièce, pour trois ans de validité.

Tentant, jeudi, sur RTL d'éteindre l'incendie, Jean-Louis Borloo, ministre de l'Environnement n'y est pas parvenu. Car, s'il promettait le maintien de la carte de réduction, il prenait soin d'ajouter la formule atténuative d'une manière ou d'une autre . Paradoxalement, la promptitude des ministres à réaffirmer que les familles ne seront pas lésées par le transfert de charges à la SNCF d'un élément particulièrement symbolique de la politique familiale contribue à choquer : en quoi une politique commerciale d'entreprise pourrait-elle remplacer la politique familiale et assurer durablement la mission des pouvoirs publics ? Même si la SNCF, sommée par l'État actionnaire, a fini par s'exprimer à son tour pour garantir les avantages de la carte (qui ne sont déjà plus permanents [1]), le flottement reste patent et le doute entier. Au point de pousser Nicolas Sarkozy à réendosser sa panoplie de sauveur.

Le chef de l'État recevait, vendredi après-midi, les représentants des associations familiales et des usagers des transports avec le président de la SNCF, Guillaume Pepy, pour désamorcer la crise sans perdre la face. "Je vous confirme que la carte Famille nombreuse est maintenue avec l'ensemble des avantages qui y sont aujourd'hui associés et qui ne sont pas tous liés aux transports", a affirmé le Président, qui a demandé également que les tarifs sociaux puissent être étendus aux familles monoparentales. L'Élysée a annoncé que les familles modestes de moins de trois enfants pourraient en bénéficier. Et dire que pareille tempête se déchaîne pour 70 millions d'euros alors que l'État en injecte annuellement 2,9 milliards pour sauver le régime de retraite des agents de la SNCF !

*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.

[1] Les nouvelles politiques tarifaires excluent en effet la réduction Famille nombreuse sur certains horaires : qui a protesté ?

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