À la veille des élections législatives italiennes des 13 et 14 avril, l'Observatoire international Cardinal Van-Thuân sur la doctrine sociale de l'Église (Verone), dirigé par Stefano Fontana et présidé par Mgr Crepaldi, secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix, publie un communiqué pour éclairer le discernement des électeurs.

Les chrétiens sont-ils condamnés au compromis ?

À CHAQUE CAMPAGNE ELECTORALE, les catholiques se trouvent en difficulté. Ils se sentent le devoir faire en sorte que les lois et les programmes politiques tiennent compte des "principes non négociables" — vie, famille, liberté d'éducation —, mais ils peinent ensuite à trouver un parti totalement fiable sur ces questions. Se pose alors pour eux la question du compromis : est-il possible ? et si oui, jusqu'à quel point ? Mais le destin du laïc catholique engagé en politique, comme candidat ou comme électeur, est-il dans le compromis ?

Les "principes non négociables" expriment des valeurs fondamentales de raison et de foi pour construire une société qui respecte la dignité de la personne humaine. Ils ne sont pas relatifs, et pour cette raison, ils ne peuvent pas être objet de négociation. À chaque élection, on se demande cependant si ces principes peuvent être appliqués concrètement dans la vie politique. Réponse aux principales objections.

La politique est l'art du "possible". La démocratie — dit-on — est dans la rencontre régulée du compromis et du dialogue. Chacun devrait donc renoncer à l'absolu de ses propres principes et être prêt à en abandonner une part pour offrir un espace aux valeurs d'autrui. Qui n'est pas disposé à ce renoncement n'est pas démocratiquement fiable. Comment répondre ? Certes, il y a beaucoup de questions politiques qui relèvent du champ du "possible" et pour lesquelles il est licite de discuter les intérêts légitimes de chacun, mais il y a aussi certaines questions qui ne laissent pas la place au compromis. Le droit à la vie, à être conçu et non produit, le droit de naître dans une famille, sont des droits inaliénables et la possibilité même d'un compromis à leur sujet est incompréhensible. Dans cette hypothèse, les "valeurs d'autrui" sont respectables, mais les "valeurs" qui ne respectent pas les principes fondamentaux de la loi morale naturelle ne sont pas des valeurs. La démocratie, c'est le dialogue et non l'affrontement. On dit souvent que si tous partageaient en politique des valeurs absolues, nul ne serait disposé à la négociation et l'affrontement serait inéluctable. Comment répondre ? Il n'est pas vrai que la référence à des valeurs absolues conduit nécessairement à l'affrontement. D'abord, parce que de nombreuses questions soumises au débat politique ne sont pas absolues. Ensuite, parce que se conformer à des valeurs absolues ne signifie pas vouloir les imposer par la force. En fait, c'est la valeur absolue de la dignité de la personne qui garantit le dialogue pacifique et le respect. C'est donc plutôt le contraire qui est vrai : l'affrontement naît précisément de l'abandon des valeurs absolues hors desquelles tout devient possible, y compris la violence. Une chose est le comportement personnel, autre chose la responsabilité publique. Beaucoup distinguent le comportement personnel, qui peut être l'expression de convictions absolues, et le comportement public, qui suppose le dialogue avec ceux qui pensent différemment et la recherche d'une position de compromis. Comment répondre ? La distinction entre convictions personnelles et expression publique vaut pour de nombreuses questions, mais pas pour toutes. Lorsqu'il s'agit d'actions qui blessent profondément la dignité de la personne humaine, on ne peut pas distinguer conviction personnelle et action politique. L'enjeu, en effet, n'est pas seulement le respect de "mes convictions individuelles et privées", mais le respect de la vérité fondamentale de la personne, qui ne dépend pas de moi. Quiconque occupe un rôle institutionnel doit renoncer à sa conscience. On dit parfois que celui qui occupe une responsabilité publique et institutionnelle doit ignorer ses convictions personnelles et, comme un officier d'état-civil, se contenter d'expédier les actes auquel il est tenu du fait de sa fonction. Comment répondre ? La responsabilité institutionnelle ne peut pas être un alibi pour taire sa conscience. Sinon, pourquoi Jean Paul II aurait-il proposé Thomas More comme patron des responsables politiques ? L'objection de conscience a et aura dans l'avenir encore plus de signification politique ; dans certains cas, elle commande la démission de ses fonctions ou de son mandat.L'objection de conscience entraîne un exil politique. En invoquant leur conscience, certains prétendent que les catholiques laisseraient le champ libre aux autres, et ne seraient plus en mesure d'accomplir le bien dans la société ou de limiter les dommages au bien commun. Comment répondre ? Il n'est pas licite de faire le bien par le mal, ni de commettre un acte intrinsèquement mauvais. En outre, un homme politique catholique doit envisager l'abandon de toute carrière politique dans son équation personnelle : il y a des moments où le témoignage est obligatoire, il peut même être politiquement avantageux. De plus en plus, l'objection de conscience va devenir une manière de faire de la politique. Enfin, il faut rappeler que l'engagement politique peut se vivre dans de nombreux domaines, et pas seulement dans l'arène politique institutionnelle. Intégrer les principes non négociables dans la loi relève de l'intégrisme. La religion, dit-on, procède de la conscience, de la vie intérieure. Prétendre faire passer ses convictions religieuses dans les lois et les institutions est un comportement intégriste. Comment répondre ? Les principes non-négociables ne sont pas seulement des convictions de foi, ce sont les préceptes de la loi morale naturelle, des préceptes de la raison, renforcée si l'on veut par la foi. Il n'est donc aucunement intégriste de lutter pacifiquement pour leur sauvegarde.

Si la thèse de l'impraticabilité politique des "principes non négociables" était vraie, il en découlerait deux conséquences absurdes pour le catholique. La première serait que le Magistère, qui ne cesse de proposer aux catholiques le critère des principes non-négociables, ou se tromperait ou bien ne donnerait volontairement que des indications abstraites, idéales, laissant à la seule conscience des laïcs la tâche de trouver un compromis. Mais il ne peut en être ainsi, parce que le Magistère n'a jamais soutenu et ne peut pas soutenir que l'on peut faire ce qui est intrinsèquement erroné. La deuxième conséquence serait que le rôle des laïcs dans la vie politique serait diminué. Les chrétiens seraient condamnés au compromis, alors que leur devoir de laïcs est "d'ordonner l'ordre temporel à Dieu". Un tel affaiblissement de la vision du rôle des laïcs contrasterait avec la théologie catholique du laïcat. En conclusion, il incombe aux laïcs engagés dans la vie politique d'œuvrer en vue du respect pratique des principes non négociables, et de se libérer du fatalisme du compromis. Si les "principes non-négociables" n'existent pas, le bien commun est impossible parce que rien ne saurait s'opposer à la discrimination de l'homme par l'homme. La démocratie ne nécessite aucun compromis "vers le bas". Seule une démocratie relativiste fondée sur une logique d'intérêts mesquins peut se satisfaire d'une telle vision des choses. Mais dans une démocratie fondée sur l'ouverture d'esprit, la raison invite à poursuivre le dialogue "vers le haut", dans l'espérance qu'on puisse se réunir non en renonçant à une part de ses valeurs, mais en s'aidant mutuellement à comprendre les vérités fondamentales de la personne humaine.

Le bien commun n'est pas le moindre mal commun. Celui qui cherche à imposer une démocratie de compromis "à la baisse" en soutenant que chaque valeur absolue serait en soi une expression de la violence, pratique le même terrorisme intégriste qu'il voudrait combattre. Il est urgent que de nouveaux laïques et de nouveaux catholiques s'engagent dans un dialogue pour ne pas se limiter les uns les autres, mais à des fins d'enrichissement mutuel. Il ne s'agit pas de s'adapter à l'existant, mais de se donner des objectifs ambitieux en se rencontrant sur la vie, la famille, la liberté d'enseignement et la liberté religieuse dans la perspective d'une vie pleinement humaine.

* Communiqué de l'Observatoire international Cardinal-Van-Thuân sur la doctrine sociale de l'Eglise

(Vérone).

© Traduction française Libertepolitique.com

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à l'auteur