"Suivre sa conscience", c'est le conseil donné sur le site Croire.com du 3 mai 2006 aux chrétiens qui s'interrogent sur l'opportunité d'appartenir à une loge maçonnique. Étrange raisonnement : l'auteur emprunte la pensée de saint Thomas d'Aquin pour soutenir la possibilité chrétienne de nier la connaissance objective de la vérité... Difficile de s'éloigner davantage du Docteur angélique ! L'Église ne peut accepter un tel détournement du rôle de la conscience.

Explication du Fr. Romaric Morin, dominicain de la province de Toulouse.

LE CATHOLIQUE peut-il être maçon ? Nul n'ignore que traditionnellement, l'Église a toujours répondu par la négative à cette question. Léon XIII, dans l'encyclique Humanum genus, signalait déjà les dangers que représente la franc-maçonnerie et en condamnait les erreurs ; position constamment reprise ensuite par le magistère chaque fois qu'il se prononcera sur le sujet. Ne parlons pas du code de droit canonique de 1917 qui faisait de l'appartenance à une loge maçonnique une cause d'excommunication.

Mais le chrétien d'aujourd'hui n'est pas sans s'interroger. Cette position est-elle toujours de rigueur ? Après tout, le concile Vatican II et l'encyclique Ecclesiam suam de Paul VI n'appellent-ils pas à se tourner avec bienveillance vers tous les hommes de bonne volonté ? Ne faudrait-il pas, alors, faire preuve d'ouverture vis-à-vis des francs-maçons, en tant qu'ils seraient de ces hommes de bonne volonté ?

Après tout, la franc-maçonnerie n'est-elle pas une vaste galaxie au sein de laquelle certaines loges se montrent assez ouvertes à l'égard des chrétiens ? Ne faudrait-il pas, alors, distinguer entre les loges réellement hostiles à l'Église (loges auxquelles il serait impossible d'appartenir) et celles qui lui sont favorables (loges auxquelles il serait possible d'adhérer) ?
Après tout, le code de droit canonique (CIC) de 1983 ne cite nulle part la franc-maçonnerie et l'appartenance à la maçonnerie n'entraîne plus nécessairement l'excommunication. Ne faudrait-il pas, alors, en déduire que la position de l'Église s'est assouplie ?

Certes ces remarques (plus ou moins fondées) ont pu donner l'impression que l'Église avait modifié son jugement et qu'il était désormais possible pour un catholique d'adhérer à une loge maçonnique. Et pourtant, il n'en est rien. La position de l'Église à l'égard de la franc-maçonnerie et de la possibilité pour un catholique d'être maçon reste inchangée. Différents documents magistériels l'ont clairement rappelé.

Un enseignement constant

Citons tout d'abord une déclaration de la conférence épiscopale allemande [1] qui lève les éventuels doutes et hésitations. Au terme de six années d'échanges menés avec les loges maçonniques allemandes, les évêques allemands concluent que "les recherches entreprises sur les rituels francs-maçons et la spiritualité franc-maçonne font clairement apparaître qu'il est exclu que l'on puisse appartenir en même temps à l'Église catholique et à la franc-maçonnerie". D'aucuns objecteront que ce document n'engage que l'Église d'Allemagne et non l'Église universelle. En outre il est antérieur au CIC de 1983 si bien qu'il serait aujourd'hui obsolète.

Pour répondre à cela, citons justement le CIC de 1983. Certes il ne mentionne plus explicitement la franc-maçonnerie. Toutefois celle-ci reste visée par le canon 1374 en vertu duquel "Qui s'inscrit à une association qui conspire contre l'Église sera puni d'une juste peine, mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera puni d'interdit [2]". Les lois pénales étant d'interprétation stricte (il est impossible de leur faire dire plus qu'elles ne disent), d'aucuns prétendront que la franc-maçonnerie n'est pas (ou n'est plus) une "association qui conspire contre l'Église" si bien que le canon 1374 ne s'appliquerait pas à elle.

En raison de cette ambiguïté, une déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) précise : "On a demandé si le jugement de l'Église sur les associations maçonniques était changé, étant donné que dans le nouveau Code de droit canonique il n'en est pas fait mention expresse, comme dans le Code antérieur. [...] Le jugement de l'Église sur les associations maçonniques demeure donc inchangé [...] et l'inscription à ces associations reste interdite par l'Église [3]".

Loges diverses, mais principes communs

La position de l'Église à l'égard de la franc-maçonnerie apparaît donc de la plus grande clarté. Or une telle clarté pourrait laisser penser que l'Église n'a pas suffisamment pris en considération les disparités qui existent entre les loges, négligeant de distinguer entre celles bienveillantes à l'Église et celles qui lui sont hostiles. Détrompons-nous. L'Église est bel et bien lucide quant aux hésitations possibles à l'égard de la franc-maçonnerie. En ce sens, la déclaration de la conférence épiscopale allemande reconnaît que la franc-maçonnerie "a connu un changement dans le sens d'une plus grande ouverture à d'autres groupes sociaux". Elle admet aussi que "à l'intérieur de la franc-maçonnerie, à côté du nombre écrasant de loges où apparaît une tendance fondamentale humanitaire ‘‘de croyance en Dieu'', il existe des extrêmes tels que la fraternité athéiste du ‘‘Grand Orient de France'' d'une part,[...] et la ‘‘Grande Loge nationale'' [...] d'autre part. Les membres de cette dernière se nomment également ‘‘Ordre franc-maçon chrétien''".

Néanmoins l'Église s'attache à porter un jugement objectif sur ce qu'est réellement la maçonnerie. Toujours selon l'épiscopat allemand, "ce qui est décisif ici, ce ne sont pas l'intégrité, l'opinion et l'attitude du franc-maçon pris individuellement, car celui-ci est totalement laissé à la subjectivité. Pour parvenir à une vérification vraiment objective des questions pendantes, il était par contre nécessaire d'étudier l'essence de la franc-maçonnerie". Dès lors les éventuels rapprochements ou assouplissements ne doivent pas faire perdre de vue la radicale incompatibilité entre l'Église catholique et les associations maçonniques, "parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Église [4]".

Pour la CDF, les divergences fondamentales sont telles que "les autorités ecclésiastiques locales n'ont pas compétence pour se prononcer sur la nature des associations maçonniques qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé" quant à cette incompatibilité. Cette position peut surprendre. C'est pourquoi, un article de l'Osservatore romano, commentant ladite déclaration de la CDF, précise que "cette disposition indique que, malgré la diversité qui peut subsister entre obédiences maçonniques, en particulier quant à leur attitude déclarée à l'égard de l'Église, le Siège apostolique trouve chez elles des principes communs qui demandent une même évaluation de la part de toutes les autorités ecclésiastiques [5]".

Les raisons objectives

Dans leur déclaration, les évêques allemands ont présenté les raisons objectives de cette incompatibilité. Elles peuvent se ramener à quatre points principaux qui relèvent de l'essence même de la franc-maçonnerie : 1/ la négation explicite de la religion révélée ; 2/ la négation des dogmes religieux, parce qu'ils seraient contraires à la liberté ; 3/ l'essence relativiste et subjectiviste de la maçonnerie, niant donc toute connaissance objective de la vérité ; 4/ la négation de Dieu comme être personnel qui s'est révélé Lui-même aux hommes.

Il est par conséquent incontestable que pour l'Église, l'adhésion à une obédience maçonnique, quelle qu'elle soit, est toujours incompatible avec l'appartenance à l'Église catholique. Appartenir à l'une exclut d'appartenir à l'autre. C'est pourquoi "les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion [6]".





Pour en savoir plus :
■ L'article de Croire.com : "Peut-on être chrétien et franc-maçon?"
■ L'avis de Mgr Henri Brincard, évêque du Puy-en-Velay : "Nul ne peut servir deux maîtres", Décryptage, juin 2003.
■ Photo : l'autel de Marianne, GODF.org


Notes

 

[1] "L'Église et la franc-maçonnerie", Déclaration de l'Épiscopat allemand, Documentation catholique n° 1807, 1981, p. 444-448 (texte allemand dans Pressendienst du 12 mai 1980).
[2] Notons que ce canon distingue le cas du simple membre de celui du membre vraiment actif à qui est réservé la lourde peine de l'interdit qui comporte entre autres l'impossibilité de célébrer et de recevoir les sacrements (canon 1332).
[3] "L'incompatibilité entre l'appartenance à l'Église et la franc-maçonnerie", Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, Documentation catholique n° 1865, 1984, p. 29 (texte latin et italien dans l'Osservatore romano du 27 novembre 1983).
[4] Déclaration de la CDF.
[5] "Foi chrétienne et franc-maçonnerie", Commentaire de l'Osservatore Romano, in Documentation catholique n° 1895, 1985, p. 482-483 (texte italien dans l'Osservatore romano du 23 février 1985).
[6] Déclaration de la CDF.