Lentement, difficilement, une solution politique émerge dans le conflit ivoirien. Après bientôt deux mois de négociations, de médiations de la CDEAO et des États voisins, de pressions internationales, le gouvernement prévu par les accords de Marcoussis voit le jour.

Il devait se réunir jeudi 13 mars à Yamoussoukro. Curieux gouvernement où ne figurent pas de ministres de la Défense ni de l'Intérieur mais un Conseil de sécurité nationale où sont représentées toutes les forces politiques et qui doit désigner (quand ?) deux personnalités "neutres" pour occuper ces postes. C'est le compromis qui a permis d'aboutir à l'accord d'Accra le 8 mars dernier.

Plusieurs chefs d'États africains se sont impliqués dans les négociations entre rebelles et pouvoir en place : tout particulièrement Eyadema, le président togolais, et Wade, le président sénégalais. Seule l'intervention du Ghanéen John Kufuora a permis finalement d'obtenir une avancée significative du processus de pacification.

Celui-ci aurait pu être immédiatement mis à mal par de nouvelles violences perpétrées dans l'Ouest du pays par des bandes libériennes. Au moins soixante civils ont été massacrés, le vendredi 7 mars, la veille de l'accord, à Bangolo. Le soir même les forces françaises ont "recueilli" et désarmé à Dékoué une centaine de Libériens. Selon le lieutenant-colonel Philippe Perret, porte-parole de l'opération "Licorne", ce sont des combattants appartenant aux forces "Lima", que le gouvernement d'Abidjan a mobilisé à son service. Appuyant les rebelles ou le gouvernement, ou travaillant pour leur propre compte, les bandes libériennes font régner la terreur, pillent, violent et tuent dans les zones hors de la protection des forces françaises. L'état-major des "FANCI", les forces loyalistes ivoiriennes, a démenti toute implication dans ces évènements. Ceux-ci rappellent curieusement les bombardements par des hélicoptères loyalistes de villages "rebelles" au moment où rebelles et gouvernement négociaient un cessez-le-feu, fin décembre.

La confiance n'est pas au rendez-vous de Yamoussoukro : les ministres issus du RDR (le parti de Ouattara) ne seront pas là. Ouattara (réfugié en France) a fait parvenir à Seydou Diarra, le Premier ministre, une lettre rappelant que de nombreux cadres de son parti et, particulièrement, les ministres désignés, sont réfugiés à l'extérieur du pays en raison "des nombreuses exécutions et tueries dont (ses) militants et cadres ont été victimes ces derniers mois". Il demande au Premier ministre de prendre "des dispositions afin de permettre la prise de fonction des ministres RDR dans des conditions de sécurité satisfaisantes indispensables à leur mission".

Il est probable que le gouvernement siègera à Yamoussoukro, la ville natale de l'ancien président Houphouët-Boigny, que celui-ci avait voulu transformer en capitale. Yamoussokro est relativement proche de Bouaké, la principale ville tenue par les rebelles, ce qui facilite les liaisons et le gouvernement y sera loin des pressions de la rue que le pouvoir d'Abidjan sait très bien orchestrer. Mais le président Gbagbo restera certainement à Abidjan où siège l'Assemblée nationale que domine son parti. La situation est bien incertaine et la présence des forces françaises apporte le seul éléments de stabilité.

Les évêques ivoiriens ont vertement tancé leur classe politique qui fait davantage montre de son appétit de pouvoir que du sens du bien commun. On note la même réaction épiscopale en Centrafrique, ravagée par une violente guerre civile, au Congo-Brazzaville, où les revenus du pétrole ne profitent guère à la population, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) où la mise en œuvre des accords de paix bute sur la mauvaise volonté de plusieurs protagonistes. L'Église porte la voix des pauvres : la guerre, c'est le mal, c'est l'anti-développement par excellence.

La France va maintenir son dispositif militaire ; celui-ci se renforce avec l'apport de plusieurs pays africains. Il s'agit de rétablir avec prudence les relations entre le Nord et le Sud du pays et avec les pays voisins : certains sont des acteurs de la paix mais d'autres soutiennent la guerre. Le retour à une vie normale en Côte d'Ivoire n'est pas encore acquis mais l'intervention militaire et diplomatique française y a certainement empêché une guerre ethnique. Maintenant il faut bâtir la paix.

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