Simple fait divers qui, il y a encore quarante ans, n’aurait égayé que les archives de quelque service spécial, la publicité donnée à l’incident du Sofitel de New-York n’aura pas seulement mis à jour la véritable nature de l’assaillant, Dominique Strauss-Kahn. Elle a surtout mis en exergue la permanence essentielle des identités, qu’elles soient celle d’un individu, d’un pays ou d’une civilisation. C’est l’idée qu’esquisse ici Hubert de Champris dans une déambulation qui n’a rien de nonchalante mais qui touche à ce qu’on appelait naguère l’histoire des idées…

Si nous ne nous cachons pas de nous retrouver en règle générale dans les approches d’un Alain Finkielkraut, c’est à bon droit, contrairement à ce qu’il soutient, que l’on peut se livrer à une sorte d’essentialisation du personnage « DSK », partant de ce qu’il représente. Mais, pour comprendre non seulement la recevabilité morale mais aussi le bien-fondé de cette démarche, on se reportera à certains présupposés émis par l’éminent titulaire de la chaire d’anthropologie culturelle de l’université St Joseph de Beyrouth qu’est Sélim Abou. Selon lui, il existe une identité culturelle, nationale ou individuelle, qui est sous-jacente à l’identité politique [on est français ou allemand] et qui est toujours en construction, – dans ce sens, l’identité est un concept dynamique. Ce concept d’identité, poursuit-il, est en relation avec celui d’acculturation, attendu que le « a » du terme n’est pas un a privatif mais la traduction et l’équivalent du latin ad. Eliminons d’emblée la notion d’identité comme synonyme d’ipséité (ce qui, d’une personne ou d’une chose, se reflète dans le miroir à un instant t), car elle ne permet guère d’avancer dans le débat (en ce sens, tout, en effet, a, à tout instant, une « identité », serait-elle floue, brouillée, brumeuse, incertaine…) [voir revue Liberté politique n°52] et réfléchissons à haute voix. Le mot identité est plus ou moins proche de « spécificité »,- ce qui est propre à quelqu’un, à une chose (mais, le mot possède déjà en lui-même quelque chose de … générique puisqu’il a l’espèce comme étymologie.) L’identité, c’est ce que l’on est censé présenter aux yeux et à l’entendement d’autrui en premier ; ce peut être aussi la représentation que le sujet estime être la plus fidèle de soi. Encore convient-il de préciser : l’identité n’est-elle pas, en premier lieu, la représentation qui est celle la plus fidèle d’une personne, d’une chose ? En ce sens, nous voici prisonniers de notre identité. Elle n’est plus ce que nous-même pensons, estimons que nous sommes. Chacun devient prisonnier de son identité, laquelle ne sera plus donc factuelle, mais normative. Encore nous faut-il … identifier le juge, le déterminant. Ce peut être la conscience d’autrui, celle de notre interlocuteur, le « prochain » en terme chrétien, « l’autre » en terme sartrien, cet autre qui, lorsqu’il vous enferme, selon l’existentialisme du susdit, se transforme si vite pour soi en enfer. Mais cette instance déterminative peut être aussi une conscience collective (elle-même – qui sait ? – succédané de l’inconscient collectif jungien devenu conscient de lui-même à l’échelle d’un espace/temps donné, la nation, le plus souvent), ou sourdre de la loi, que ce soit la loi naturelle, la loi positive, celle des parents vis-à-vis des enfants, celle de telle juridiction qui, de fait ou de droit, applique, à tort ou à raison, à bon ou à mauvais escient, une norme à un cas d’espèce, vous et moi. On se souvient de la formule d’Ernest Renan définissant la nation. Serait-elle encore valide de nos jours alors que les consciences de nos concitoyens tirent à hue et à dia dans tous les sens ? Aurait-elle encore sa pertinence alors que les gens ne savent pas ce qu’ils veulent et que, lorsqu’ils le savent, constatent que leurs volontés ne s’accordent guère (et c’est une litote.)

Qu'est-ce que l'identité ?

Mais ne parlons point prématurément de ce que l’on dit être l’identité politique. Retenons que, d’une manière générale, l’identité, c’est ce qu’une personne, une chose a en propre, ce sont ses propriétés, ce qui l’identifie ; c’est ce qui la définit, ce qui la distingue, ses caractéristiques substantielles, ce sans lesquelles elle ne serait pas ce qu’elle est. A présent, vous rappelez-vous du déroulé de l’acte de l’apprentissage intellectuel décrit au XIIIe siècle par Thomas d’Aquin : définir, distinguer, déduire. Plus prosaïque, et s’adaptant au bon sens d’une domestique, Estelle Faguette, la Vierge Marie, en 1876, disait : apprendre, savoir, comprendre. Quant à nous, nous voyons que la notion d’identité ne se révèle qu’à bien petits pas : entre l’identité de fait (ce qui est) et l’identité de droit (ce qui doit être), l’identité, quels qu’en soient les éléments constitutifs et le ou les constituants (soi-même ou autrui), nous semble de prime abord par nature statique (ou, si dynamisme de notion il y a, il ne saurait être que très progressif.)

Surtout, butons-nous derechef sur ces deux lourdes difficultés : lorsqu’on traite de l’identité, tout un chacun, et d’autant plus en toute bonne foi que c’est en toute inconscience, passe dans son discours sans coup férir de cette identité normative à l’identité factuelle. Le plus souvent, il fera allusion à la première lorsqu’il parlera de l’identité d’autrui (d’un étranger, d’un pays étranger par exemple), à la seconde, lorsqu’il glosera sur la sienne. C’est une tendance bien humaine de s’accorder à soi plus de liberté qu’on n’en laisse à autrui. Mais encore, cette caractérisation de l’identité va influer, d’une part notre appréhension de la nécessité (ou non) de distinguer l’identité culturelle de l’identité politique, d’autre part, et le cas échéant, la hiérarchie entre les deux. Pour ceux que nous nommerons les Modernes, les positivistes (juridiques), les nominalistes, les partisans de l’universel vide (qui ne réchauffe guère!), l’identité politique ne doit pas être (et n’est pas) conditionnée (aux deux sens du terme : conditions juridiques et conditionnement) par l’identité culturelle (le mot culture étant ici quasi synonyme de « valeurs, us et coutumes auxquelles se réfère explicitement ou non une civilisation. ») C’est tout l’inverse pour les Réalistes classiques selon lesquelles l’identité politique doit être conditionnée par l’identité culturelle, pendre et dépendre d’elle. C’est dire si, de nos jours, l’identité politique recouvre beaucoup plus aisément un état qui peut changer assez vite (je change de nationalité) que ce n’est le cas de l’identité culturelle.

La querelle des identités

La querelle des identités équivaut de nos jours à une réitération de la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes. Mais, il faut, ici encore, bien en identifier ( !) les termes. Cette dispute ne porte pas d’abord sur le contenu des identités (que l’on segmente celles-ci par thèmes matériels ou formels, ou, encore, selon des entités territoriales, par exemple), mais sur la conception que l’on estime devoir se faire d’une définition, en l’occurrence du mot « identité ». Les Modernes, qui sont des positivistes (souvent bien positifs et constructifs), nous disent que l’on doit se contenter de décrire ce qui est, faisant semblant d’ignorer que, derrière tout jugement de fait, se cache un jugement de valeur. Les Anciens, plus lucides et réalistes, non seulement ont conscience de ce dernier aspect, mais expliquent qu’une définition ne s’en tient jamais à une pure et simple description. Lorsque vous définissez une table, vous dites, certes, ce qu’est une table, mais, d’un même mouvement, d’une même intention de l’intellect, énoncez-vous ce qu’elle doit être (et, donc, incidemment, ce sans quoi elle ne serait pas ce qu’elle est). L’identité est adéquation du même au même. Parce que si vous ne prétendez pas a priori qu’une table doit correspondre à ce que doit être une table, alors n’existe-t-il plus aucune sécurité sémantique possible ; la plus complète anarchie règnerait dans le monde intellectuel et, plus largement, dans celui de l’intelligence de l’univers. Votre prétendue « table » n’aurait plus aucun sens, aucune valeur : elle pourrait correspondre à un tabouret, à un extra-terrestre, à la marquise de Pompadour ou à la basilique Saint Marc et vice versa. Cela, s’il en était ainsi, ne devrait avoir aucune importance. Oui, mais la vie ne serait tout simplement plus possible. Un discours sur l’identité est en conséquence nécessairement normatif, prescriptif. De fait, toutefois, il n’apparaît nullement impératif, ni autoritaire. Au contraire est-il minoritaire. Parce qu’il n’est pas facile à vivre, parce qu’il contraint, tant à l’échelon politique général qu’à celui personnel (à consonance comportementale et morale), à se contenir, parfois même à se faire violence. Et que, s’il s’inscrit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, dans la tradition de la plus exacte des sciences, il n’a cependant pas bonne presse.

Culture et acculturation

Sans doute ne comprenons-nous pas encore limpidement cette volatilité contemporaine de l’identité politique et cette rémanence des identités culturelles, sans doute n’avons pas plus une claire conscience de ce phénomène toujours à l’œuvre dans notre monde. Sans doute aussi penserez-vous que nous nous sommes bien éloignés du cas Strauss-Kahn. Nous nous en rapprocherons vite dans une seconde partie, non sans avoir effectué un nouveau petit détour par la notion de nature et d’acculturation.

Déjà, cependant, un normalien comme Claude Ribbe, lui-même creusois et guadeloupéen, activiste de certaine cause qu’il se refuse à juste titre de qualifier de noire, royaliste et catholique, justicialiste, mondain, diplomate et polémiste, pourra-t-il tenter de s’y retrouver dans cette question de l’ « identité », nationale, personnelle, politique, culturelle ; dans cette question de son unicité ou de sa multiplicité. Et sans doute le père jésuite Sélim Abou, homme de la paix des cultures dans un pays victime d’un conflit importé et induit, homme d’Eglise dans une nation qui, à l’image de toute démocratie, a pris soin non seulement de séparer les trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) mais, au surplus, de dire quelles seraient les confessions des chefs des deux premiers (chrétien, sunnite, chiite), subodorera-t-il que l’anthropologie culturelle, toute science humaine soit-elle, possède un statut peut-être moins humain que les autres, et qui sait, de droit, proche du divin.

Quelques notions complémentaires nous sont nécessaires pour comprendre ce qui a bien pu se dérouler dans le Sofitel de New York ce fameux 14 mai vers midi. Celui qu’on a surnommé le docteur angélique écrivait au XIIIe cet axiome : Tout ce qui est reçu est reçu selon la nature de celui qui reçoit. Mais si on peut définir la culture comme l’ensemble des informations qui nous recevons (tout ce qui nous est donné, qui vient de l’extérieur, par opposition à l’inné), contrairement à l’assertion officielle, il semble bien, selon de nombreux savants, que l’on doit peu ou prou postuler une certaine hérédité des caractères acquis. Ainsi, la culture passe-t-elle dans la nature. Et la culture elle-même au long des siècles va-t-elle travailler la nature (d’une personne, d’un territoire donné). Il faut conjoindre ce phénomène avec celui de l’acculturation, qui permet à une culture (compris, donc, comme un système d’informations) de s’adapter, de s’acclimater, presque au sens propre, à une autre sur le territoire de laquelle elle s’invite (plus qu’on ne l’invite, l’Histoire le montre). L’acculturation se perçoit en conséquence comme un processus d’adjonction/adaptation qui va donner naissance à une nouvelle mouture. Mais loin d’être une seule mécanique d’additions successives de systèmes culturels dans un espace (dont les limites peuvent fluctuer), l’acculturation laisse apparaître une diminution, une déperdition progressive de la substance de la culture originelle. En effet, le pourcentage de cette culture originelle (le noyau dur initial d’où naquit le sentiment de la nécessité de conquérir - au sens de la conquête amoureuse - autrui et son systèmes de valeurs en l’approchant avec mesure, donc en s’y adaptant, et quasi en l’adoptant), ce pourcentage, écrivions-nous, au sein de la nouvelle culture ainsi constituée (fruit de la séquence d’acculturation première et qui va, elle-même, donner lieu à une deuxième séquence « acculturative » et ainsi de suite en suite), ne va cesser de décroître comme nous venons de le voir au fur et à mesure que le phénomène d’acculturation se poursuit. D’où, à terme, le fait que la culture première ressentira l’acculturation dont elle a été l’objet (certains diront : dont elle a été victime) comme une soustraction de substance. Nous le voyons : dans le mot acculturation, ce petit a, s’il vient bien du latin ad (idée de tension vers, d’ajout) possède quelques atours du a privatif. (Est-ce à dire, comme gloseraient ceux qui aiment à surfer à l’infini sur les mots, que la culture, lorsqu’elle s’extrait de son cadre primitif, du cercle privé de ses initiés, qu’elle s’offre au vent du large du public ne peut que tendre à disparaître, pour le moins à se voir dépossédée de la force vive qui la constituait en propre ?)     

Petite anecdote que racontait feu le sulfureux Roger Peyrefitte dans un ouvrage qui fut en son temps, 1965, un grand succès de librairie (Les juifs, Flammarion). Un ordre religieux, sans doute perclus d’un fort relent de marcionisme et désireux d’établir une barrière étanche entre tout ce qui pouvait rappeler ce qu’à judaïsme nous préférons qualifier de « religion hébraïque biblique » et le Nouveau Testament, rechignait à admettre en son sein une personne issue d’une  famille convertie il y a moins de trois siècles, croyons-nous nous souvenir. Et l’on craignait que l’impétrant ne fût pas suffisamment pénétré de sa religion. Au point qu’il ne retourne pour ainsi dire à ses vieux démons. On ne pouvait admettre quelqu’un si proche du marrane. Mais les carmélites de Thérèse d’Avila n’ont pas connu pareilles préventions, pareilles précautions, contre-nature nous le vérifierons dans un instant. Ni les jésuites d’Ignace de Loyola (du moins, à l’origine de la Compagnie de Jésus) nous rappelle le Père Rastoin dans son récent ouvrage (Bayard) : tous avaient compris que semblable antériorité – et semblable antériorité bien comprise -  était au contraire pain béni, c’est le cas de le dire, pour le salut et la prospérité du nouvel ordre. En effet, les dernières recherches sur les origines intellectuelles et spirituelles du christianisme (voir Les origines du christianisme revisitées : Margaret Barker est en train de révolutionner la connaissance des origines du christianisme, blog du 21 février 2011 du recteur et vice-chancelier de l’Université de Paris, Edouard Husson et www.margaretbarker.com ainsi que les travaux de Pierre Perrier aux éditions du Jubilé) confirment le caractère hérétique du marcionisme (encore larvé, pour ne pas dire très présent dans le para-christianisme libéral) et le phénomène d’acculturation parfaite (ce que nous appelons l’acculturation interne) qui s’est réalisé à la naissance de l’Eglise entre la religion hébraïque biblique et ce que nous nommerons de manière approximative (et presque à tort), l’apport du Christ. En effet, les dernières découvertes en la matière peuvent se résumer comme ceci : en termes de chimie, la solution établie dès le Ier  siècle par la doctrine chrétienne naissante n’est pas fondamentalement autre que celle laissée par la religion des Patriarches ; ses molécules demeurent ; seulement sont-elles agencées différemment. Si la solution est homogène à la première, le Christ va simplement, mais fondamentalement, réaliser ce qui était déjà là, présent. Non seulement la vérité, mais la véracité de sa fameuse phrase « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir » semble se vérifier expérimentalement.

DSK

Alors revenons dans la chambre du Sofitel et souvenons-nous qu’in fine, l’identité n’est peut-être bien que notre fidélité à ce qu’il y a de meilleur en nous (en vérité, en bonté, en beauté). D’un côté, un Dominique Strauss-Kahn personnalisant un total détachement avec la religion de ses lointains ancêtres ; il ne semble qu’attaché au visible, au tangible, au palpable, au malléable, autrement dit à la matière et à la satisfaction immédiate qu’elle peut lui apporter (ne parlons même pas d’hédonisme car le fondateur de la philosophie du plaisir, Aristippe, s’exclamait au sujet de sa belle « Je la possède, je ne suis pas possédé » alors que le directeur du FMI ne faisait guère preuve de maîtrise). Soit la vie d’un adepte du plus pur, du plus brut – certains diront du plus brutal – matérialisme. Le rapport de police nous dit qu’il cherche derechef à assouvir la pulsion sexuelle associée au stade deux du développement de la libido, stade régressif propre à l’enfant selon la très conservatrice et normative (ou, tout simplement, morale) psychanalyse freudienne. Soit, encore, le moi et sa liberté. De l’autre, la représentante d’une religion qui est aussi une civilisation, d’une religion qui englobe le politique et le droit, d’un univers qui divise la monde en deux parties, ceux qui appartiennent à la « Maison de l’islam » et ceux qui n’y appartiennent pas encore. Surtout – Philippe Némo nous le rappelait – cette religion pose en exergue la pudeur, alors que l’occidental se fait le dévot de sa liberté (allez vous balader torse nu sous le cagnard dans le Haut Atlas, et ne verrez-vous pas ce vieux berger discrètement vous enjoindre de vous revêtir ?) Cette jeune femme originaire des peuplades Foulbés de Guinée-Conakry se rétractait d’autant plus sur son système de valeurs d’origine, se faisait d’autant plus discrète qu’elle ne pouvait pas ne pas se sentir comme une étrangère presque perdue en milieu hostile. Ces deux là n’avaient donc rien à se dire, ni rien à s’échanger et à partager, pas même un chouia de lubricité coquine vécue entre deux portes. Ainsi, de cette rencontre qui n’en était pas une, avons-nous pu écrire qu’elle symbolisait un collapsus civilisationnel. Ainsi, Alain Finkielfraut ne doit-il pas craindre le fait de subsumer l’individu Strauss-Kahn dans un ensemble qui, sans le justifier, l’expliquerait. Son problème n’était-il pas, précisément, son identité vide, son caractère « brut de fonderie », son mondialisme structurellement désincarné et dé-incorporateur, à l’opposé de l’universel plein et gracieux,synonyme de la catholicité, et dont bénéficient les fidèles ?

Dans Le Point (8 septembre 2011), Claude Imbert écrit à propos de cette dorénavant fameuse scène de ménage :

« Aucune de leurs deux versions, redorées par leurs conseils, n’éclaircit le mystère. Pas même – qui sait ?- celui de subjectivités antagonistes où, dans le précipité d’une scène de sexe, l’homme n’aurait vu chez la femme, et sa confuse défense, qu’une simagrée de consentement, tandis que, de son côté, elle pensait subir l’assaut d’un oppresseur abusant de la condition ancillaire de sa proie… On peut, là-dessus, épiloguer sans fin. » Excellemment écrit. Pour autant, la réalité n’est-elle pas plus terre-à-terre si l’on ose dire : derrière l’affrontement de civilisations [1], un assaut vécu comme un affront.

Si l’identité de quelqu’un ou de quelque chose est tout simplement ce qui la constitue, suggérons ici quelques pistes permettant d’approfondir des problématiques qu’une chaire d’anthropologie culturelle aurait à cœur de développer.

L’art moderne et l’art contemporain

Pierre Daix, dans Pour une histoire culturelle de l’art moderne – Le XXe siècle (Odile Jacob) démontre en substance que ce distinguo est un leurre et résulte d’un malentendu volontairement entretenu par les aficionados de l’art contemporain pour faire accroire que ce dernier se situerait au-delà de tous les arts (alors que ce dernier n’en est en réalité pas un). L’art moderne ayant par ailleurs pour caractéristique d’être « intégrateur » et, mieux même, assimilateur, l’ère de l’art moderne n’est pas éteinte. Nous pourrions étendre à l’étude des identités des peuples cet éventuel para-doxe.

Le temps et l’espace

Ces Idées de la Raison, selon Kant, ont connu au début du XXe siècle, grâce à Einstein, une approche qui n’a pas été que scientifiquement révolutionnaire. Bergson, nous l’avons oublié, a cru pouvoir montrer que parce qu’elle était philosophiquement et psychologiquement absurde, elle n’était sans doute pas exacte. Par excellence, une identité, quelle qu’elle soit, possède ces deux paramètres du temps et de l’espace. Une anthropologie des identités culturelles pourrait chercher à envisager dans quelle mesure celles-ci se verraient différemment affectées selon que nous les appréhenderions d’après des temps et espace version Einstein ou version Bergson.

Les identités mentales et religieuses.

L’histoire de leurs affrontements, de leurs rapprochements, de leurs évolutions à cheval sur les XXe et XXIe siècles pourraient être mis en situation par le roman ou l’essai à travers, d’une part, la réalisation aujourd’hui du dialogue envisagée il y a une vingtaine d’année entre André Frossard et Claude Imbert dans un livre à quatre mains [2] ; d’autre part, l’opposition entre Marie Laurentin, alias Ménie Grégoire et son frère, le Père Laurentin. L’auteur qui, dans une grande fresque, parviendrait à découvrir les origines et les fondements des  hiatus incarnés par ces figures mettrait du même pas en scène les principaux affrontements doctrinaux de nos deux derniers siècles. Et il en isolerait les deux identités de base. Cela posé, il est patent que c’est par un contresens sur les différentes composantes de l’identité que l’Académie Française a pu élire au fauteuil de Claude Lévi-Strauss Amin Maalouf : les identités ne sont jamais meurtrières (ou, alors, d’identités, elles n’ont que le nom.) [3] L’éminent anthropologue a dû se retourner dans sa tombe ; et nous savons bien que le jeune ethnologue qui, de nos jours, se laisserait à rêver sur les errements de l’homme dit post-moderne, lui, n’aurait plus qu’à s’exclamer : Tristes tropismes !

 

[1] « affrontement » au demeurant quelque peu estompé par le fait que le « coup de fil à un ami » en prison qui s’est révélé être un trafiquant de drogue, la manutention d’une collection de portables et bien d’autres traits montraient que cette grande soubrette n’avait pas tardé à s’acclimater à sa « civilisation » d’adoption et à en épouser le meilleur, naturellement.

[2] Voir entre autres Liberté politique n°42-Automne 2008, p. 292.

[3] Maalouf a écrit un petit livre du même nom.