Le grand Charton Heston est mort et nous ne pouvons que le pleurer. Avec sa haute taille, ses mâchoires d'acier, son regard bleu et sa voix résonnante, il nous a fait entrer plus qu'aucun autre dans la magie de la Bible et du christianisme, que ce soit dans les Dix Commandements, où il incarnait le Moïse le plus convaincant de l'histoire, ou bien sûr dans Ben Hur, le chef d'œuvre de William Wyler, dix fois couronné aux oscars.

Je me rappelle enfant ce film-fleuve, de près de quatre heures, qui nous transporte de cirques romains en galères, de Rome en Judée, de palais en léproseries, de miracles en émerveillements.

Heston fut aussi la star du remarquable et oublié Cid, d'Anthony Mann qui raconte avec objectivité la lutte et aussi l'amitié des musulmans et des chrétiens au cours des siècles troublés de la Reconquista de la péninsule ibérique. Ce film serait sans doute comme beaucoup d'autres classiques (je pense à l'inoubliable Prisonnière du désert) impossible à tourner aujourd'hui. Pour des raisons politiquement correctes.

La passion biblique et chrétienne de Charlton Heston lui a valu dès le début beaucoup d'ennemis. Pourtant, comme toutes les très grandes stars traditionnelles, aux antipodes des peluches idiot-visuelles d'aujourd'hui, il a été capable de se remettre en question dans les années 60. Et il est devenu le père des films apocalyptiques et d'anticipation rationnelle (car il y a beaucoup de films d'anticipation irrationnelle) : ainsi il fut la star de la Planète des Singes, où l'on voit l'humanité réduite à l'esclavage et sa dimension néo-reptilienne, liée au développement épuisant des médias et de la société de consommation.

En 1973, il est aussi un éveilleur dans Soleil Vert ("Soylent green") qui nous décrit avec froideur un monde d'épouvante dont nous nous rapprochons vraiment cette fois avec cette mondialisation dévoreuse du monde : dans une société contrôlée par des oligarques mondialisés, soumise à une crise frumentaire gravissime (que l'on pense à nos prix fous du blé, du soja, des matières premières qui affament les pauvres du tiers-monde et angoissent les classes moyennes des pays dits développés), se développe le cannibalisme sophistiqué du Soylent. On dévore les petits vieux recyclés ou les prisonniers (la Chine olympique livre en pièces détachées les corps des milliers de condamnés à mort de son système stalino-libéral pour une consommation interne ou extérieure) après leur avoir montré sur écran, comme aujourd'hui sur le câble, les merveilles à disparaître de la terre, glaciers, plages de sable fin et autres forêts originaires remplacées par des pins ou des eucalyptus... ou par de l'urbanisation folle.

Charlton Heston n'était pas fier d'un film que j'apprécie beaucoup : l'Appel de la forêt, adapté de Jack London, qui est un hymne à la vraie rébellion et au refuge forestier, dont Jünger était le dernier prophète (le premier étant saint Bernard de Clairvaux). Enfin, pour un acteur qui passait pour une star hollywoodienne type, il avait incarné un technocrate mexicain dans la Soif du Mal du grand Orson Welles, sans doute le film le plus fou de son auteur.

La fin de sa vie fut consacrée à la célébration de sa foi et de ses idéaux conservateurs. Il participait aux programmes chrétiens de télévision et bien sûr présidait la National Rifle Association, qui défendit corps et âme le port d'armes. Lorsqu'on le défiait sur les massacres des collèges américains, il accusait non pas les armes mais l'éducation et même les vêtements aberrants des enfants. Toute cette culture de la mort qui n'a pas besoin de winchester ou de colt pour se donner libre cours.

Le très médiocre George Clooney, à qui l'on ne devra pas un seul grand film, mais seulement des suites du pitoyable Ocean's eleven (le film culte de l'économie casino des années 2000), star people de gauche qui vient de se faire humilier et voler (mais pas manger...) par les enfants sauvages qu'il voulait secourir au Darfour, s'était moqué du grand acteur et de sa maladie d'Alzheimer. Mais Heston restera comme un roi dans sa magnitude, un des rares acteurs à avoir amélioré et non perturbé ou pollué son public. Un modèle moral et en plus physique, comme un chevalier du Moyen Âge perdu au siècle du divertissement industriel.

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à l'auteur