Analyse sur le Brexit.

[Source : blog Mauvaises pensées]

Les bonnes nouvelles n’étant pas si fréquentes, il convenait d’abord de fêter dignement le Brexit. Ce qui fut fait. 

Mais à présent que nous sommes à jeun, il faut tout de même essayer d'articuler quelques mots. Je ne reviendrai pas longuement sur les faits : une majorité d’électeurs britanniques a souhaité que la Grande Bretagne retrouve sa pleine indépendance et, pour ce faire, sorte de l’Union Européenne. D’après les enquêtes d’opinion disponibles, les deux motivations principales de cette majorité sont la volonté de régler soi-même ses propres affaires et le refus de l’immigration massive. Sociologiquement, les clivages sont les mêmes qu’en France : le débat sur l’Union européenne oppose les ouvriers et employés autochtones vivant en périphérie des grandes villes et dans les campagnes à l’alliance des cadres urbains et des employés immigrés. La sociologie des partisans du Brexit est à peu près la même que celle du vote Front National en France. Il y a tout de même quelques différences à noter : le Brexit a également rallié une bonne partie des bourgeois attachés à la souveraineté et à l’identité traditionnelle de la Grande Bretagne. Ce que ne fait pas le Front National pour le moment, les bourgeois traditionnels continuant de se défier d’un parti trop plébéien pour eux. Il est vrai que les leaders du Brexit n’avaient rien de particulièrement plébéien, puisqu’ils étaient tous de parfaits libéraux conservateurs (Johnson et Farage) ; il est vrai aussi que la bourgeoisie anglaise paraît plus ouvertement patriote que la bourgeoisie française, malheureusement plus attachée à son compte en banque qu’à la souveraineté nationale. Mais passons.Evidemment, ce vote est une gifle à l’oligarchie européiste. Elle en écume de rage. Elle en vomit de colère. Elle est en éructe de haine. D’autant plus qu'elle n’avait, comme d’habitude, par mégoté sur les moyens : elle avait tancé, menacé, terrorisé la population ; elle avait prophétisé des fléaux dignes de l’Ancien Testament en cas de mauvais vote; le Président des Etats-Unis en personne avait fait le déplacement pour expliquer aux Anglais ce qu’il convenait de faire. L’assassinat providentiel d’un député anti-Brexit vint même couronner le tout. Mais rien n’y fit. Brexit quand même ! La réaction hystérique de l’oligarchie est à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre. Elle vient confirmer les analyses que nous faisions il y a quelques semaines sur le nouveau sens du mot démocratie. Est « démocratique » tout ce qui va dans le « sens de l’Histoire », c’est-à-dire dans le sens du « rêve européen », c’est à dire encore dans le sens de suppression des nations et des identités au profit du supermarché mondial. En conséquence, le résultat de ce referendum a immédiatement été analysé non seulement comme une catastrophe pour la civilisation, cela va sans dire, mais comme une défaite de la démocratie. Quant à la démocratie au sens d’ « expression de la volonté majoritaire », elle est désormais ouvertement et sans plus la moindre gêne présentée comme une chose éminemment dangereuse et malodorante qu’il ne faut utiliser que dans les cas où l’on est certain d’obtenir un résultat conforme au sens de l’Histoire. C’est-à-dire, à partir de maintenant, à peu près jamais.[1] Ecoutez-les : de Juppé à Cohn-Bendit, de Fillon à Macron, de Lemaire à Sarkozy, tous voudraient que ce vote soit annulé, que la partie soit rejouée, que les conséquences soient évitées, que le peuple soit contourné. Comme ce fut le cas en France en 2005. Une chose est sûre : tous estiment qu’organiser un tel referendum en France serait « irresponsable ». Pourquoi ? Eh bien parce qu’ils connaissent le résultat d’avance. Bref, ils admettent sans difficulté que la politique qu’ils mènent est contraire aux vœux du peuple. Et ils nous l’expliquent doctement à la télévision. Dans un monde décent, il semble que les opposants au Brexit devraient reconnaître leur défaite et envisager de ranger le rêve européen dans leur musette, puisque la majorité n’en veut pas. Après tout, de nombreux pays sur Terre n’appartiennent pas à l’Union européenne et semblent ne pas trop mal s’en porter. Mais une telle modération, un tel réalisme ne sont plus possibles. L’Union européenne est devenue une doctrine de type religieux. Le dogme n°1 de la religion bruxelloise est que l’appartenance à l’Union européenne constitue le bien objectif de toute collectivité humaine vivant sur le seul européen –si ce n’est de toute communauté humaine tout court. L’alternative est : ou bien l’Union européenne ou bien le Troisième Reich. La reductio ad Hitlerum tourne à plein régime et étend chaque jour son champ d'application : vous émettez des réserves sur l'ouverture des frontières? Racisme! Vous désirez conserver à l'Europe son identité culturelle? Fascisme! Vous êtes soucieux de maintenir une industrie protégée du dumping? National-populisme! Vous avez la volonté demeurer majoritaire dans votre propre pays et d'y cultiver vos traditions ? Xénophobie ! Je n'exagère pas (voyez ici ou encore ). Comme le dit l'impayable Attali (impayable, façon de parler), l'Union européenne fait partie des "irréversibilités nécessaires du Progrès de l'Humanité". Nous sommes donc condamnés, au moins encore pour quelques temps, et à mon avis pour longtemps en France, à voir des gens censés nous représenter expliquer pourquoi ils ne nous donneront pas la parole et pourquoi ils continueront à nous conduire vers le paradis radieux, quoique lointain, de l’Union européenne. Et tout cela en prononçant le mot démocratie une fois par minute.Je voudrais maintenant en venir à trois points particuliers. Un grand absent, une distinction à faire, un gros bobard.

  • Le grand absent, c’est le Général de Gaulle.
  • La distinction, c’est celle qu’il faut faire entre les cyniques et les idiots utiles.
  • Le bobard, c’est que les jeunes Anglais sont massivement favorables à l’Union européenne.

 

Ce sera pour le prochain billet !

[1] Sur ce point, je vous recommande ce papier fascinant de Jacques Attali (ici), où le Pic de la Mirandole de la photocopieuse expose sa conception de la démocratie. Il y dresse la liste des sujets sur lesquels il devrait être interdit de voter, c'est à dire tout ce qu'il considère comme des progrès. De manière générale, l'Union européenne, et le Brexit en particulier, ont un effet désinhibiteur extraordinaire sur les oligarques : ils en viennent à dire carrément ce qu'ils pensent. Haine des nations, mépris du peuple, adoration de Mammon, tout est dit d'une manière totalement déboutonnée. Comme souvent, Emmanuel Todd avait tout compris puisqu'il avait prophétisé la suppression de la démocratie par l'Union européenne (dans Après la démocratie, en 2008; on lira ici ce qu'en avait dit la Pravda Le Monde à l'époque, jugeant le livre "une plaisanterie" et son auteur "déphasé"). Il est pourtant clair que l'abolition de la démocratie est le seul recours pour la survie de l'UE. D'ailleurs, la grande presse, qui ricanait naguère du livre de Todd, appelle d'ores et déjà à la suppression du referendum, instrument de la "tyrannie de la majorité" (c'est ici, au cas où vous vous diriez que j'exagère). J'exagère, mais pas assez.