Remplacer à l’avenir la constitutionnalisation de la liberté d’avorter  par celle de la solidarité à l’égard de la vie à naître

Tribune de Tanguy Marie Pouliquen, cb

tanguy.marie1@gmail.com

Tribune pour le site de la revue Liberté Politique

Prêtre de la Communauté catholique des Béatitudes,

Professeur ordinaire d’éthique à l’Institut Catholique de Toulouse, Chaire Jean Rodhain

Site des livres publiés : tmchine5.wixsite.com/website/

Dernier ouvrage : Discerner pour bien agir avec saint Ignace et le pape François,

Téqui, 2023, 150 p.

Résumé : L’auteur de cet article montre comment la constitutionnalisation de la liberté d’avorter récemment adoptée en France (4 mars 2024) est un non-sens au regard du respect dû à chaque être humain. Il rappelle que nous avons tous été un embryon un jour et liste sept bonnes raisons de subordonner la liberté individuelle au respect de la vie naissante et donc d’annuler la constitutionnalisation de la liberté d’avorter. Il souligne également que la cohésion nationale serait davantage renforcée en constitutionnalisant la solidarité à l’égard de l’enfant à naître et de sa mère.  

Mots clés : constitutionnalisation liberté d’avorter, embryon humain, solidarité enfant, respect être humain, droit à la vie, on ne joue pas avec la vie, infanticide, vraie liberté, liberté responsable, cohésion nationale.

Caractères : 13000 espaces compris

 

            La constitutionnalisation de la liberté d’avorter en France, adoptée par le Congrès le 4 mars 2024, convoque la conscience éthique à réaffirmer à nouveaux frais les raisons de son non-sens. Ériger au rang de liberté fondamentale celle de pouvoir tuer son bébé, en faisant primer la liberté individuelle sur les droits de l’enfant, rend incompréhensible la méta-valeur de la pensée occidentale fondée sur le respect inconditionnel du droit à la vie, premier de tous les droits. Respect de la vie naissante, comme respect de soi, respect d’autrui, respect permanent, irréductible, définitif, pour tous. Pourquoi ? Pour exister, tout simplement. Qui d’entre nous aurait voulu être avorté ? Nous avons tous été un embryon.

 

 

            Constitutionnaliser plutôt la solidarité à l’égard de l’enfant à naître et de sa mère

La compassion fait se rendre proche de la détresse dans laquelle se trouve une femme qui ne souhaite pas la maternité, mais l’incompréhension l’emporte, hiérarchie des valeurs oblige, face à une liberté individuelle qui se veut supérieure au respect de chaque vie. La future maman qui n’en peut plus devrait pouvoir puiser alors sa résilience dans la solidarité et la fraternité élargie, républicaine, universelle : afin de prendre soin, ensemble, d’un futur citoyen en lui permettant de vivre. Tel devrait être le cap lumineux que confèrent les plus hautes normes juridiques. Agir toujours avant que le couperet de l’avortement ne tombe pour aider cette mère en souffrance à aller vraiment de l’avant. Jamais en la laissant seule dans sa salle de bain à avaler des pilules mortifères ! « On ne joue pas avec la vie » a récemment scandé le pape François à Marseille, on la protège, en se serrant tous ensemble les coudes. Une constitutionnalisation de la solidarité à l’égard de l’enfant à naître serait plutôt notre rempart contre un égoïsme collectif érigé dans le marbre du droit. Quelle joie collective naîtrait de sauver des vies en les accompagnant jusqu’à la maturité plutôt que de voir chaque année le cimetière des embryons s’agrandir par l’équivalent de la population italienne à l’échelle mondiale, ou de la ville de Nice pour la France !

L’angle mort de la constitutionnalisation de la liberté d’avorter est celui de la conception même de la liberté, comprise comme absolument individuelle, indépendante, auto-référée, bâtie sur une sexualité souvent débridée, abîmée par la pornographie, bercée par la croyance illusoire qu’une pulsion doit se libérer, au lieu d’être intégrée chastement. La révolution sexuelle n’a-t-elle pas finalement asservie le corps féminin de produits chimiques ? La liberté d’avorter ne promeut-elle pas la liberté sexuelle sans risque et donc une liberté individuelle sans responsabilité ? À rechercher le plaisir pour lui-même, à ne pas cadrer la dérive affective hors mariage, on dérive avec le cadre de la transgression infanticide. Quand la confiance relationnelle n’est plus là, c’est l’isolement redoutable qui pointe ! Un tiers des femmes avorte distillant le syndrome du survivant dans autant de familles. Et si cela avait été moi ? Une liberté sans vrai bien, personnel ou commun, à l’opposé d’une liberté appréhendée d’abord comme responsable au sens noble, une vraie liberté, vraiment libre, communautaire : offrir un responsum, une réponse politique forte d’une charité sociale, de toute la Cité, au don de la vie qui lui est confié, serait source de maturité collective. Une vie de petit d’homme confiée certes d’abord aux parents, mais par défaut à tous. La question éthique parce que culturelle est grave : comment se fait-il que les mamans préfèrent avorter que de confier leur enfant à une autre maman qui serait heureuse de l’accueillir ? En raison d’une pression diffuse subie ? Parce que la société préfèrerait culpabiliser une mère qui « abandonne » son enfant plutôt que de se « réjouir » de le voir continuer de vivre ailleurs ?

À quel point de déchéance en sommes-nous arrivés ! Préférer la mort à la vie, l’instituer en toute bonne conscience politique, mais jamais avec une conscience bonne ! Contre tout individualisme sous-jacent, comment ne pas entrevoir dans une future loi nationale de l’adoption généralisée, à l’heure où un couple sur huit a du mal à avoir un enfant, l’utopie vraie de la main tendue de toute la société à la détresse maternelle ? S’en affermirait une éthique permanente de l’hospitalité, du respect du don reçu de la vie naissante, une éthique vraiment solidaire, une croissance aussi démographique, plutôt qu’une éthique libérale du déchet et de la permissivité, finalement collectivement égoïste. Moi c’est moi, et toi tais (t’es) toi ! Tu n’as pas le droit de vivre ! Mais de quel droit ? Existerait-il une hiérarchie entre les humains, ceux qui ont le droit de vivre et les autres non ?

Une hiérarchie éthique évoquée qui ne peut que mettre l’amour du prochain, du plus petit, à la première place, au risque sinon de fonder la vie sociale sur le rapport de force permanent. Heureusement que le débat sur l’impact psychologique post-abortif commence à briser l’autocensure médiatique ! La société, à l’heure où elle est sensible à la notion d’inégalité, a tout à gagner de ne rejeter aucun de ses futurs membres actifs ! La vie d’un enfant est confiée à notre responsabilité collective. Il est confié en fait à toute l’humanité parce que l’embryon est quoiqu’on en dise… humain. Comme le souligne les psychologues, l’enfant a besoin d’un attachement sécure pour grandir, d’abord dans l’utérus de sa mère.

 

Sept bonnes raisons de toujours protéger l’humanité de l’embryon 

Contre la constitutionnalisation de la liberté d’avorter finalement adoptée, listons sept raisons pour toujours défendre la vie naissante dès son origine : pour la contempler, l’accueillir d’abord, en être solidaire, et non pas pour la contrôler et finalement constitutionnaliser la possibilité de son rejet !

-       Il n’y a pas de degrés dans l’humain. La dimension d’humanité est de l’ordre de l’ontologie, de la nature même. Un handicapé n’est pas moins humain, il est toujours humain, même si son handicap le fragilise psychologiquement, physiquement. L’enfant à naître est fragile mais humain, jamais moins humain. C’est pourquoi il a toujours le droit de vivre.

 

-       L’enfant à naître n’est pas un être potentiel, mais il a, dès la fusion des gamètes, « tout son potentiel », tout le « programme » de son développement futur que rien n’enrichira, si ce n’est la capacité d’être accueilli par autrui, par son environnement, par son histoire, comme le montre l’épigénétique.

 

-       L’enfant à naître a toutes les caractéristiques humaines. Il est une « totalité unifiée », « une présence personnelle », un être humain, en devenir de croissance intégrale, de déploiement de ses capacités. Son cœur bat à cinq semaines de grossesse. A-t-on déjà vu de l’humain qui ne revête pas de dimension personnelle ? Chaque vie personnelle n’aurait-elle pas un commencement caché ? Comment un être humain dès le début de son aventure dans l’existence biologique ne serait-il pas déjà une personne à respecter ? Tout un début vital à sanctuariser.

 

-       L’enfant à naître est positivement vulnérable. Sa vulnérabilité interpelle chacun dans son désir d’être accueilli, protégé, accompagné, nourri, relié, confié à une hospitalité qui en prend soin, sa maman, son papa, chacun d’entre nous. L’enfant à naître est confié à toute l’humanité. Il est le symbole public de la vie relationnelle authentique et réussie.

 

-       L’enfant à naître est un « corps embryonnaire ». À-t-on vu un corps qui ne vienne pas d’une personne ? Ce corps personnel porte en lui-même tout le programme génétique. Le corps est constitutif de l’humain : j’ai un corps, je suis aussi mon corps. Toucher mon corps, c’est toucher ma personne et il n’y a pas de corps sans esprit. Ce corps parle de l’unicité de chacun. Son ADN unique, le même dans chacune de ses milliards de cellules, en est la confirmation biologique. L’enfant à naître est unique en son corps, toujours déjà là.

 

-       L’enfant à naître est un être donné pour la vie partagée, pour l’existence sociale. Lui-même ne se donne pas l’existence, donné qu’il est, vivant grâce à l’union de ses parents. Cette donation réciproque lui « colle » à la peau faisant des parents le berceau de la vie donnée. L’enfant à naître est aussi confié au berceau de la collectivité qui voit dans les soins nécessaires à prodiguer à ce « tout petit » son propre besoin en miroir de continuer à vivre et de croire en l’avenir.

 

-       L’enfant à naître est un don de Dieu. Dieu instaure avec chacune de ses créatures une relation d’alliance perpétuelle, tel est son dessein d’Amour. L’enfant à naître est voulu par Dieu. « C’est toi Seigneur, s’écrit le psalmiste, qui m’a formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je te rends grâce pour tant de prodiges : merveille que je suis, merveille que tes œuvres » (Ps 139, 13-14). « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car leurs anges regardent toujours la face de mon Père qui est aux Cieux. » (Mt 18, 10). La volonté divine est que l’enfant à naître vive pour toujours. Il est un don pour l’éternité. L’enfant est « sacrement de la vulnérabilité de Dieu » qui fait dépendre sa création de notre bon vouloir. Le Dieu parfaitement libre nous veut vraiment libre, parce que responsable jusqu’au bout de la vie confiée. À en oublier les droits de Dieu, on en finit par oublier le sens des droits de l’homme.

 

Un enjeu de cohésion nationale et de confiance dans l’avenir

Notre société change de paradigme et celui-ci devient toujours plus technocratique, porté par un relativisme pratique. L’instinct de domination de la logique technocratique est prométhéen. Il imprègne la conception de la liberté individuelle érigée au rang d’absolu, de frénésie mégalomane, quand elle oublie la singularité d’autrui en son commencement. Constitutionnaliser la liberté d’avorter promeut un culte à l’idolâtrie libertaire sans racine. L’antidote à ce non-sens anthropologique et politique, finalement juridique, est d’appréhender la liberté comme une « liberté pour », parce que d’abord donnée « par » ce qui la transcende, d’abord le don de la Vie à chaque vie, et finalisée par le « tous responsables de tous » : pour l’accueil ensemble de toute vie, du premier instant jusqu’à sa fin naturelle. C’est en se reliant et non en se détruisant mutuellement que la vie sociale, elle aussi organique, grandit. Quel message voulons-nous adresser aux jeunes générations qui veulent de moins en moins d’enfants ?

Il en va de la santé de notre cohésion nationale. « Le plus grand destructeur de la paix aujourd’hui, affirmait Mère Térésa lorsqu’elle reçut le prix Nobel de la paix, est le crime commis contre l’innocent à naître. Si une mère peut tuer son propre enfant, dans son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à nous et à moi, de nous entre-tuer les uns les autres ? » Le respect de chaque unicité personnelle avec ses droits singuliers, et au premier rang desquels le droit de vivre, est le fondement de l’unité solidaire entre tous. Tous différents parce que tous uniques. Tous unis parce que tous vivants ! Sans le respect inconditionnel de la première norme fondamentale, celle du droit à la vie dès son commencement biologique, il n’y a aura pas de développement sociétal durable.

Évitons d’avoir des fleuves sans rives au risque sinon d’en subir les inondations et d’être toujours inquiets du lendemain. La vie est à protéger. Le droit constitutionnel en est le plus haut garant. Et chaque citoyen libre, parce que responsable d’autrui, peut en être les mains servantes. Ne nous voilons pas la face ! Remplaçons à l’avenir la constitutionnalisation de la liberté d’avorter par la constitutionnalisation de la solidarité à l’égard de l’enfant à naître et de sa mère. Nous en serons collectivement beaucoup plus fiers et les générations futures, vivantes, nous en remercieront !