Le conflit Israël-Palestine (II/III) : la force ne règle pas tout
Article rédigé par Roland Hureaux, le 10 septembre 2010

Il n'est pas rare d'entendre dire dans les cercles dirigeants israéliens : Les Arabes — que ces dirigeants prétendent connaître mieux que personne — ne sont pas un peuple comme les autres. Ils ne connaissent que la loi du plus fort et le seul moyen de les tenir est le bâton. De ce préjugé aux relents coloniaux procède la ligne dure de la politique israélienne : l'idée qu'en menant une politique de force (dont l'opération Plomb durci de la fin 2008 fut une illustration particulièrement spectaculaire), Israël viendra définitivement à bout de la résistance des Palestiniens.

Certains vont même jusqu'à ajouter que l'assistance sociale aidant, ce peuple sera progressivement amolli et se résignera à son sort.
Cette politique vise particulièrement la bande de Gaza où les dirigeants israéliens espèrent susciter la révolte contre le Hamas d'une population qui, de guerre lasse, finira par le rendre responsable de ses privations et de son isolement.
Il y a là aussi une dangereuse illusion.
Les Arabes sont un peuple comme les autres
D'abord parce qu'il n'y a aucune raison que les Arabes ne soient pas un peuple comme les autres. Si une majorité en leur sein se résigne à son sort, comme le firent pendant des millénaires les fellahs d'Egypte, il existe parmi eux, comme au sein de tous les peuples, une minorité, disons peut-être une élite — qui ne se résignera sans doute jamais. Que la résistance soit le fait d'une minorité fière et non de la masse, c'est ce qu'a par exemple illustré la sociologie d'Al Kaida : en opposition à la rhétorique simpliste sur la misère, terreau du terrorisme , on a pu voir que les terroristes se réclamant de ce label venaient presque tous de la bourgeoisie arabe, qu'elle soit saoudienne, yéménite ou égyptienne, souvent éduquée en Occident.
L'histoire de la décolonisation a d'ailleurs montré que ce genre de raisonnement, destiné à justifier la force et que l'on ressort aujourd'hui, sous d'autres formes, en Afghanistan, n'a jamais tenu : aucune puissance n'a, au XXe siècle, réussi à annihiler un mouvement national, quel qu'il soit, de cette manière. La répression tend au contraire à légitimer la minorité révoltée et à durcir la résistance. Les manuels de guérilla n'enseignaient-ils pas aux combattants de la liberté à provoquer une répression aveugle pour mieux rallier la population ? C'est là la force, jamais démentie au XXe siècle, du fait national : dans une situation d'affrontement, la population prend spontanément parti pour ceux de sa race, même si elle ne les aime pas. Au Vietnam, les bombardements avaient renforcé le Viet Cong.
De la célèbre conférence de presse du général de Gaulle du 29 novembre 1967, on a retenu la formule très controversée sur le peuple juif, peuple d'élite, sûr de lui et dominateur [1] ; on a un peu oublié l'annonce prémonitoire de ce qui devait suivre l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza : Israël ayant attaqué, s'est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu'il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu'il a pris, l'occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s'y manifeste contre lui une résistance, qu'à son tour, il qualifie de terrorisme. [...] Il est bien évident que le conflit n'est que suspendu et qu'il ne peut pas avoir de solution, sauf par la voie internationale.
La répression légitime les plus radicaux
Même si l'exemple de l'Autorité palestinienne, ainsi que l'évolution de certains pays comme l'Egypte, semblent, pour le moment, donner raison aux dirigeants israéliens, il ne faut pas en conclure que les Palestiniens de Cisjordanie ou les Arabes des pays voisins soient devenus des amis d'Israël [2] ; un incident et les vieux ressentiments remonteront vite à la surface. Quant à Gaza, la situation y est tout à fait spécifique : tant la concentration de population que l'absence de perspectives ne laissent pas augurer la pacification des esprits.
C'est pourquoi attendre, comme prétend le faire le gouvernement israélien, que le Hamas soit chassé du pouvoir à Gaza pour s'engager dans un processus de détente risque ne pas déboucher de si tôt.
Le discours radical du Hamas, comme autrefois celui de l'OLP, ne saurait être un obstacle à la recherche d'un accommodement de fait avec lui. La plupart des gouvernements du tiers-monde, encore plus que les Occidentaux, ont une vieille pratique du double langage : rappelons-nous l'immense hypocrisie à laquelle avait donné lieu en son temps le boycott de l'Afrique du Sud. Sans nul doute l'autorité islamiste de Gaza est-elle imprégnée du même état d'esprit. Le radicalisme verbal assure la légitimité et sauve la face, tandis que le pragmatisme permet de composer avec les réalités. Peut-être ne faut-il pas attendre que la Hamas déclare ouvertement caducs telle ou telle de ses prétentions pour prendre langue discrètement avec lui. Israël avait bien su, au temps de l'Irangate, traiter avec les ayatollahs qui pourtant le maudissaient jour après jour.
En privilégiant les interlocuteurs modérés, Israël referait la même erreur qu'en 1970, quand il protégea le royaume hachémite de Jordanie des entreprises de l'OLP, alors radicale. Beaucoup, dont l'ancien ministre Ygal Yadin, ont pensé qu'en permettant alors à Yasser Arafat de prendre le pouvoir à Amman, les Israéliens auraient certes eu, dans l'immédiat, un interlocuteur moins facile, mais facilité à terme la solution de la question palestinienne.

Il se peut que l'existence du Hamas constitue même une chance pour l'État d'Israël : si l'OLP reprenait, comme on parait en caresser l'espoir, de manière illusoire selon nous, le pouvoir à Gaza, il faudrait reconnaître un seul État palestinien qui ne serait, de toute façon, pas viable, car jamais les Etats coupés en deux, comme jadis le Pakistan, ne le furent. En revanche, la situation actuelle permet d'envisager deux États palestiniens au lieu d'un, entités plus faciles à gérer pour Israël qu'un interlocuteur unique et qui pourraient, le cas échéant, se fédérer avec Israël et, pourquoi pas ? la Jordanie. À situation complexe, solution complexe.

 

 

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[1] Nous pensons que pour quelqu'un d'aussi élitiste que Charles de Gaulle, cette expression, si elle était provocatrice, n'était cependant pas antisémite, comme il l'a lui-même précisé.
[2] D'autant que l'enseignement dispensé aux jeunes générations arabes dans les territoires est violemment antisioniste, voire antisémite.

 

 

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