Dialogue et Novlangue
Dialogue et Novlangue

Voici un de ces mots de la novlangue distillé par les symposiums onusiens, un de ces mots-talismans (ou plutôt mots-idoles) que notre époque a couronné avant même bien entendu d’en avoir déterminé son sens, (Dialogue social, dialogue interreligieux…).

C’est un peu comme homophobie (peur de son semblable) qu’on a à dessein vidé de son véritable sens insensé d’ailleurs, Trans phobie (peur de celui qui est de l’autre côté…on ne parle pas encore de cis phobie.) Peut-être que par opposition à « monologue », on finit par penser que dialogue est une conversation à deux (ou par extension, à plusieurs), mots qui se croisent en un simple échange verbal ; mais, cherchant l’étymologie, nous découvrons que dialogue ne contient aucune allusion numérique car ce mot n’est pas formé avec le suffixe di- qui exprime la dualité (comme dans dichotomie, dioxyde, dilogie et tant d’autres), mais par la préposition grecque dia, qui signifie « à travers, au moyen de ». Dialogue signifie donc littéralement « au moyen du mot » ou, si l’on préfère, « au travers de la raison » (si l’on part du principe que les mots sont l’incarnation d’une pensée rationnelle, chose qui au point où nous en sommes commence à devenir discutable) ; et il fait référence à la capacité humaine d’arriver à la compréhension ou pénétrer la vérité des choses au moyen du mot.

Mais dans l’acception qu’on donne communément à dialogue, le mot a cessé d’être un outil pour se transformer en fin. Il suffit que deux personnes se parlent pour considérer qu’il y a dialogue, même si les mots conduisent à un puits sans fond ou une impasse, ne sont que de pures circonlocutions qui ne conduisent à rien si ce n’est au point de départ (qui fréquemment est un point inexistant, un non-lieu inondé par le vide). Ainsi le dialogue perd sa nature éclaircissante pour se transformer en un salon de pipelettes, une cage à grillons, un comptoir de journalistes, et pour l’ensemble des radios ou chaines de télévision publique tout simplement  un débat qui se mue systématiquement en tribunal de salut public pour ceux qu’ils ont décidé d’exécuter et au bout du compte en antichambre du bannissement républicain ; « au moyen du mot » on sème seulement une plus grande confusion (beaucoup d’exemples de ce dialogue stérile et crétinisant nous l’offrent les médias lors de ce qu’ils appellent pompeusement « table ronde » lesquelles infestent les ondes et les écrans.

Cette conversion du dialogue en logomachie assourdissante - où les mots cessent d’être un moyen pour atteindre une fin et s’érigent en fins en soi- part d’une considération erronée sur la nature des dialogueurs. On considère que le titre nécessaire pour dialoguer est la dignité ou la liberté intrinsèque de la personne, au lieu de la science ou la connaissance exacte nécessaire qu’il possède sur le problème dont on traite. Personne ne peut imaginer que pour être joueur national de basket-ball la dignité intrinsèque de la personne suffise, ni sa liberté de choisir le métier qui lui plaise tout simplement parce que ce métier lui plait. Cependant, on regarde d’un œil favorable et avec un naturel désarmant que puisse s’exprimer sur n’importe quel thème, et avec l’air le plus entendu du monde, le tout-venant y compris celui qui n’a aucune compétence pour le faire ; et au cas où cette table ronde mettrait en scène quelqu’un qui domine et maîtrise, à force d’études et de recherches, le sujet débattu et un invité qui n’a aucune légitimité reconnue en la matière et dont l’activité y est parfaitement étrangère , on considère que leurs opinions sont « égalitairement » valides et respectables. C’est-à-dire que l’on considère que tout « citoyen », si tant est qu’il soit doté de raison, a les titres suffisants et toute légitimité pour débattre sur n’importe quel thème avec n’importe quel spécialiste. Le résultat de tels dialogues ne peut qu’obscurcir inévitablement les esprits ; et son efficacité persuasive se substitue à une discussion de café du commerce où « quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaitre à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui » (J.Swift), dont nous contemplons les résultats dévastateurs chaque jour, dans une société qui dialogue beaucoup mais ne réussit jamais à s’entendre sur rien.

L’idolâtrie « dialoguante » a oublié une autre condition, (qui est plus prémisse que condition d’ailleurs) c’est que le dialogue n’est possible que lorsqu’il existe un principe commun que les parties concernées acceptent ; et c’est à partir de ce postulat que peuvent se développer, « au moyen des mots », des arguments qui liment les aspérités et rognent les rugosités. Si tel postulat n’existe pas, le dialogue devient impossible ou improductif ( ce qui populairement s’appelle « dialogue de sourds ») parce que les participants refuseront inévitablement toute démonstration constructive se cimentant sur un principe qu’ils réfutent ; ou en tout état de cause, on aboutira à un accord de convenance mutuelle, ce qui au bout du compte est encore plus préjudiciable que le manque d’accord, malgré tout le déguisement de « consensus », car il se fonde sur le renoncement des principes, vêtu des oripeaux de « cessions » sélectives, et de la suicidaire soumission. Un dialogue, disons dans un cas extrême entre un débateur qui justifie l’assassinat sous toutes ces formes (avortement, euthanasie, infanticide, génocide, crime passionnel, assassinat politique, contrat, règlement de comptes, terrorisme, vendetta….) et son contradicteur qui le condamne sous toutes ses formes ne peut pas se résoudre dans la justification de l’assassinat dans des cas particuliers, ou en fonction de telle ou telle autre circonstance ;ce type de dialogue est aussi haïssable que la guerre même.

Hélas, tel est le labyrinthe dans lequel le dialogue, converti en une fin en soi, nous a introduit.

Dialogue s’est transformé en débat et « débattre », aujourd’hui consiste à affubler son contradicteur de noms de réac, facho, macho, sale blanc, catho et depuis peu homophobe, islamophobe, transphobe, et bientôt Cnewser, à l’accuser de sympathies pour les heures les plus sombres de l’histoire auxquelles il veut renvoyer autrui sans lampe sur le casque. 

Mises à part certaines radios ou chaines de télévision privées, c’est le lot de toute personne dont la pensée ou l’opinion n’est pas conforme à la pensée zéro et qui se fait massacrée au cours d’émissions assassines animées par les kapos sans scrupules ni règles déontologiques qui squattent à nos frais les médias. 

Quant aux heures sombres de l’Histoire, on ne sait jamais quelles heures de l’Histoire sont sombres : l’esclavagisme arabo-musulman ? le génocide vendéen ? Les massacres de septembre ? le nazisme et la shoah - 5 à 6millions de juifs exterminés- ? le communisme - cent millions de morts dont quinze millions sous le régime soviétique [l’Holodomor en Ukraine y fit entre 3 et 5 millions de victimes affamées par le régime stalinien], entre 45 et 72 millions de victimes sous la Chine de Mao, le tiers de la population cambodgienne exterminé par Pol-Pot et ses Khmers rouges ?…. Néanmoins s’il est heureux qu’on ne puisse manifester sous des drapeaux à croix gammée ni chanter impunément le Horst-Wessel-Lied, personne ni rien n’empêche de le faire sous les drapeaux frappés de la faucille et du marteau et de chanter l’Internationale. Le nazisme est mort grâce à Dieu ; le communisme continue de donner des leçons, de gouverner, d’emprisonner et d’exterminer. Comprenne qui voudra ou pourra…

Et pourtant, comme l’écrit Fabrice Hadjadj dans Comment parler de Dieu aujourd’hui ? , « Voilà le point capital : tandis que les autres animaux, par leur communication, ramènent tout ce qui existe au circuit de leur utilité, l’homme par sa parole, se porte au-delà de ce qui lui est utile, pour désigner les choses telles qu’elles sont…L’efficace de notre parole ne se trouve pas essentiellement dans le pouvoir d’engager les autres à un comportement qui nous est favorable : elle réside dans le pouvoir de dégager leur propre vocation ». 

 

Thierry Aillet

Ancien Directeur diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon.